Troisième mandat : « ça ne passera pas… », prévient Abdourahmane Sanoh
CONAKRY-Commet la société civile guinéenne s’organise-t-elle pour défendre la Constitution ? Alors que de plus en plus des voix s’élèvent dans les rangs de la majorité pour défendre l’idée d’un troisième mandat en faveur du président Alpha Condé, la société civile prévient sur les risques d’une aventure pour la Guinée. Abdourahmane Sanoh, leader de la PCUD (plateforme national des citoyens unis pour le développement) invite le président Condé à céder son fauteuil en 2020. Dans cet entretien, M. Sanoh dénonce aussi l’attitude de certains acteurs politiques qui selon lui ont pris le pays en otage. Interview exclusive !!!
AFRICAGUINEE.COM : Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique de notre pays caractérisée ces derniers moments par des crises à répétition ?
ABDOURAHMANE SANOH : La situation sociopolitique actuelle de notre pays est une situation préoccupante, je dirais même très préoccupante au regard des autres aspects notamment les crises socio-économiques. Cela nous amène à penser que la Guinée est en train de traverser une situation extrêmement difficile et qui pourrait être vraiment dangereuse.
Comment la société civile s’organise-t-elle pour éviter à la Guinée de plonger dans le chaos ?
Je pense que nous sommes arrivés à un niveau où le problème qui se pose à notre pays interpelle tout le monde. C’est une responsabilité nationale qui incombe tous les patriotes guinéens épris de justice et de paix qui souhaitent voir l’Etat de droit se renforcer dans notre pays et qui souhaitent voir le guinéen sortir de la misère tel que nous la vivons aujourd’hui. Dans cet esprit-là, le besoin de se mettre ensemble pour faire face à la situation devient même plus qu’un besoin mais une obligation pour tous. Il est vrai qu’il faut un leadership pour pouvoir mobiliser tous autour de cet idéal, je pense que des initiatives sont actuellement en cours. Mais à ce stade, je ne peux pas en dire plus.
La résolution de cette crise passera-t-elle selon vous par une alternance politique en 2020 ?
Nous, notre problème ce n’est pas un problème de mouvance et de l’opposition. Notre problème c’est un peu les conséquences néfastes des événements que nous vivons sur les populations. Notre problème c’est la gestion du pays par rapport aux intérêts des populations. N’étant pas un acteur politique, je ne suis pas bien placé pour me prononcer sur ces questions de capacités ou d’incapacités d’alternance. Sous cet angle-là ce n’est pas une question qui est d’intérêt pour nous.
Les deux camps (mouvance-opposition) que vous venez de citer sont en tiraillement permanent. Les élections communales en sont un exemple illustratif. Beaucoup de morts, assez de biens matériels détruits. Comment la société civile compte s’organiser pour dire « halte » aux politiques qui sont souvent derrière ces drames ?
Nous n’envisageons pas les problèmes de la Guinée en termes de deux camps. Nous nous pensons que la Guinée est une et indivisible et que tout citoyen guinéen a le droit dans la limite de la loi d’exercer sa citoyenneté. Les lois fixent déjà nos devoirs et nos obligations. Nous envisageons les problèmes dans cet esprit-là. Nous envisageons les questions en termes de gestion du pays et en termes des retombées pour la population. Qu’il y ait maintenant des acteurs politiques ou des partis politiques qui soient dans des débats contradictoires dans le but de conquérir le pouvoir tel que prévu dans leur mission, nous pensons que cela est tout à fait naturel autant que toutes les parties respectent la loi. C’est cela qui fonde la bonne santé de notre démocratie, lorsque cela passe sans violence, qu’on considère cela comme étant de l’ordre normal des choses et que ça soit un débat civilisé qui porte sur les enjeux qui concernent et qui intéressent la population, c’est ça notre rêve.
Maintenant comme nous avons très mal posé notre perception du pouvoir d’Etat, du service publique qui est une perception patrimoniale, comme nous avons mal posé le débat de conquête du pouvoir qui est un débat ethnique, effectivement nous nous retrouvons aujourd’hui dans une sorte d’impasse où tout semble être opposé à tout. Or tout devrait pouvoir nous unir. Même lorsqu’on est opposé à la conquête du pouvoir, la finalité de cette conquête c’est une gestion qui crée le bien-être des populations, nous devrions être unis pour cela. Nous savons que notre responsabilité aujourd’hui en tant qu’acteur de la société civile c’est de travailler à inverser cette perception là et à faire en sorte que les guinéens soient unis autour de ce qui est essentiel, qu’on ne dise tout le temps bleu contre rouge vert contre jaune non ! Qu’on dise effectivement ce projet est un projet important, voilà les faiblesses qu’il peut avoir, si on le corrige comme ça. Ça sera en parfaite cohérence avec les attentes des populations quel que soit le porteur du projet.
L’important, ce que le projet réalisé apporte au pays. Lorsqu’on oriente nos débats, notre intelligence, nos efforts dans ce sens-là on verra que tout doit converger. La Guinée est une et appartient à tout le monde, nous avons le drapeau rouge-jaune-vert, nous avons notre hymne nationale, une équipe de football nationale et chaque fois que ces choses-là sont en cause nous sommes unis. Nous avons une carte d’identité de même couleur, un passeport de même couleur, nous avons la même nationalité, nous payons tous les impôts d’une façon ou d’une autre et je ne vois pas trop pourquoi le reste de la répartition équitable de nos richesses ne va pas faire en sorte qu’on soit unis.
Et tout l’enjeu du débat politique aujourd’hui réside à ce niveau. Les gens veulent prendre les richesses du pays à leur propre compte et l’écrasante majorité des populations en est exclue et ça fait des combats qui n’ont aucun n’intérêt pour les populations.
Ces derniers temps on a assisté à des incidents que beaucoup de citoyens jugent dangereux pour la Guinée. Ce sont les attaques ciblées contre le véhicule de commandement de Cellou Dalein Diallo. Quelle lecture en faites-vous ?
Ça, ce sont des incidents qui sont extrêmement dangereux. En octobre on avait suivi avec la mort dans l’âme cette situation qui est extrêmement dangereuse pour le pays. Il faut bien le reconnaitre que lorsque les gens sont arrivés à des niveaux des symboles, il faut éviter de jouer à certains jeux vis-à-vis d’eux, ce n’est pas une manière prendre la personne comme un messie. C’est effectivement la même chose que la tentative d’assassinat du Président de la République en juillet 2011, ce sont des situations qui sont très dangereuses pour le pays parce que ça peut basculer et nous conduire rapidement dans une guerre civile. Et je pense que le pouvoir doit sur ce plan ou les forces de maintien d’ordre doivent revoir leur façon d’agir. Nous avons condamné ce qui s’est passé en octobre, nous regrettons beaucoup ce qui s’est passé le samedi dernier parce que ce ne sont pas des choses qui sont de nature à préserver la quiétude dans le pays. Ce n’est pas juste et ce n’est pas normal.
Le paysage politique se recompose à un rythme assez rapide. On vient d’assister à la création d’un nouveau bloc dénommé « Convergence de l’Opposition Démocratique » alors qu’il y a d’autres blocs au sein de cette opposition. Quel regard en faites-vous ?
On doit accepter le principe de la démocratie. Si les gens veulent se regrouper ils ont le droit de se regrouper. Ça, ça ne doit pas être perçu comme contre quelqu’un. On a biaisé le débat politique ici, dès lors que ça tourne, l’engagement politique même sur le plan de la société civile vous voyez très bien des leaders qui sont mus par leur intérêt personnel. Lorsque l’engagement dans le débat public dans l’espace public est sous tendu par des intérêts privés, effectivement on a toujours tendance à penser que ses intérêts privés sont menacés dès lors qu’on voit naître un courant qu’on ne contrôle pas. C’est toute la problématique de la gestion politique dans notre pays. C’est pour cela que notre gestion politique est chaotique parce que le fond c’est personnel, c’est égoïste, c’est privé. Tous les gens doivent être libres conformément à la constitution, à nos lois, de se regrouper comme ils veulent pourvu que cela ne mette pas en danger la cohésion nationale et que ça ne mette en danger les institutions de la République, que cela soit fait dans les règles de l’art, dans les limites de la loi. Tout le reste vraiment lorsqu’on contrarie, on est totalement dans le déni de la démocratie, que ça vient de n’importe où. Les gens doivent être libres de se constituer. Et je pense que là, ça doit être un défi pour les leaders politiques : la capacité de réunir tout le monde.
Beaucoup disent que Cellou Dalein Diallo va droit vers un isolement politique. Etes-vous de cet avis ?
Moi je suis en train d’analyser en tant qu’observateur de la vie politique. Vous savez très bien qu’aujourd’hui lorsque vous dites quelque chose qui ne plaît pas à l’autre on dit que tu es contre. C’est pour cela même tout le monde est dans ce piège-là. Dès qu’on pose un problème, on ne voit pas la pertinence du problème ni son fond, on le voit par rapport à quelqu’un d’autre. Et ce débat-là c’est un faux débat nous ne voulons pas rentrer dedans.
2019 est l’année à laquelle les guinéens attendent les élections législatives. Beaucoup d’observateurs craignent que ces élections soient de nouveau reportées sine-die. Qu’est-ce que la société civile envisage comme actions sur le terrain pour contraindre le pouvoir d’organiser ces élections ?
Vous savez bien que la classe politique a exclu les candidatures indépendantes pour ces élections et la présidentielle. Ce sont eux les acteurs politiques qui ont fixé les règles du jeu. Toutes ces maladresses qu’on a connues fondées sur l’intérêt personnel et égoïste de l’engagement des politiques sont en train de nous rattraper aujourd’hui. Au CNT (conseil national de la transition) c’est eux qui étaient les dominants. Ils ont voté des lois et aujourd’hui nous sommes en train d’être rattrapés par beaucoup des choses. Il est vrai que dans le fond, c’est notre incapacité à gérer qui a fait que les élections législatives n’ont pas été organisées à temps. Mais la CENI c’est qui ? C’est encore la classe politique pour la plus part, ce sont eux qui sont là-bas. Ils ont pris toutes les institutions en otage et ils veulent soumettre les institutions sous leur caprice égoïste. Maintenant le pays se retrouve progressivement dans des situations un peu bloquées.
La Guinée est à la croisée des chemins, nous, nous regrettons beaucoup cette situation, nous sommes en train de voir comment il faut le régler. Mais dès lors que la décision pour régler cela relève de ceux qui ont créé le problème ça devient complexe. Aujourd’hui il faut le reconnaitre que le pays est pris en otage par ces acteurs politiques et nous sommes vraiment désolés de la situation dans laquelle ils mettent le pays. Et ça c’est une responsabilité partagée mais cela ne devrait pas nous amener à penser qu’il ne faut pas réfléchir à des solutions pour nous sortir de cela. Les politiques ont imposé leur dictature pour qu’il n’y ait d’acteur légitime dans ce pays-là qu’eux. Donc aujourd’hui c’est tout cela qui est en train de nous rattraper. Il faut voir comment régler. Il faut bien qu’ils (les acteurs politiques ndlr) le comprennent tant qu’ils sont en train de ramener les problèmes du pays et les confondre à leur intérêt personnel, ils vont toujours créer des problèmes et à susciter des tensions qui ne finiront jamais et qui n’iront que crescendo.
Alors selon vous comment sortir la Guinée de cette situation ?
C’est une réflexion profonde. Peut-être que ça viendra après, mais je crois qu’eux-mêmes sont en train de réaliser qu’aujourd’hui le leadership est arrivé aux limites. Maintenant la seule expression qui leur reste c’est la violence, la loi du plus fort. Vous avez vu la militarisation de la ville. C’est l’expression de ce blocage, ils n’ont pris aucune solution logique, normale, légale aux problèmes auxquels on est confronté.
On sait que la société civile veut vraiment défendre la constitution guinéenne et les lois de la République, mais depuis un certain moment, il y a des voix qui se lèvent pour promouvoir un 3èmemandat pour le Président Alpha Condé. Comment la société civile s’organise-t-elle pour éviter une révision de la constitution ?
D’abord les forces sociales sont d’arrachepied sur cette thématique. C’est un défi pour nous tous d’œuvrer à ce que 2020 soit l’occasion de l’encrage de l’Etat de droit dans notre pays à travers une alternance apaisée. Je pense que tout le monde doit œuvrer pour défendre la constitution que nous avons actuellement et permettre au Président de la République qui a prêté serment trois (3) fois parce qu’en 2015 la prestation de serment a été reprise, je pense que nous devons l’aider à comprendre qu’il en sortira plus grand lorsqu’il acceptera que le problème du 3èmemandat n’oppose pas les guinéens et que du sang ne soit versé pour cette question qui est une initiative très dangereuse et inopportune. Il (Président Alpha Condé ndlr) doit pouvoir comprendre que les hommes ne finiront jamais de réaliser leurs projets, on meurt toujours avec un projet en suspens qu’on n’a pas pu réaliser.
Donc ceux qui sont en train de vendre l’illusion que le 3èmemandat est une possibilité, je pense que ce sont des guinéens qui sont de cette classe qui ne défendent que des intérêts personnels au détriment de ce qui est bien pour le pays. C’est une démarche assez dangereuse qu’on doit éviter pour le pays. Parce que c’est une aventure très aléatoire et qui risque de nous exposer tous à une issue imprévisible, tout le monde va courir le risque-là et personne quel que soit le résultat ne s’en sortira indemne, il y va de la stabilité de la Guinée et de l’encrage de la démocratie. Nous ne pouvons pas être à contrecourant de l’histoire, ce n’est pas possible. Donc il ne faut pas que des opportunistes, des escrocs, des démagogues nous conduisent tout simplement dans le mur juste parce qu’ils sont en train de défendre quelque part des intérêts égoïstes. Le Président doit refuser d’endosser une telle responsabilité pour l’histoire.
Un dernier mot ?
J’appelle les guinéens à l’unité et au patriotisme.
Interview réalisée par Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 666 134 023
Créé le 25 février 2019 14:41Nous vous proposons aussi
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