Transition en Guinée : Quel Etat pour la nouvelle République ?
La chute, le 05 septembre dernier, d’Alpha Condé président de la Guinée de 2010 à 2021, a suscité un grand soulagement en Guinée. Au-delà des libertés recouvrées et du retour des exilés, c’est l’occasion de pouvoir refonder l’Etat guinéen entièrement déliquescent qui anime une bonne partie de l’opinion guinéenne.
Le Colonel Mamadi Doumbouya, chef de la junte militaire qui a mené le coup de force délogeant Alpha Condé au petit matin du 05 septembre dernier, se dit ouvert à des propositions des guinéens afin de créer “un Etat de droit” en Guinée.
La rectification institutionnelle que préconise le Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) doit inclure plusieurs aspects majeurs. Un de ces aspects devra s’atteler à diminuer les pouvoirs du président de la République pour créer une chaîne de procédures de prise des décisions qui engagent l’Etat. La démocratie, quand elle est adaptée et appliquée, est belle.
Pour le cas guinéen, il s’agirait de faire un jumelage entre les traditions des régimes francophones et anglo-saxons. Ce qui reviendrait à mettre le Législatif et le Judiciaire au même niveau que l'Exécutif. Ce qui n’est pas le cas dans le système jusque-là en vigueur. Le président (chef de l'Exécutif) avait le pouvoir de nommer dans les plus hautes fonctions jusque dans les escarcelles du judiciaire (les juges et magistrats) sans aucun avis des autres pouvoirs, notamment du Législatif dont la mission est de surveiller l’action gouvernementale, entre autres.
Ce que je propose
Il est donc primordial de soumettre les choix du président de la République à l’avis et au consentement des représentants du peuple au Parlement, je dirai même du Sénat. Je préconise la nécessité de créer un Sénat en Guinée. En clair, la future Constitution guinéenne doit permettre aux élus du peuple qui sont les députés et/ou les sénateurs à donner leur avis (confirmer) les nominations importantes et stratégiques au sein de l’Administration publique.
La nomination du premier ministre et de chaque membre du gouvernement, pour le cas guinéen, doit recevoir la confirmation de l'Assemblée Nationale. De même pour l’affectation des ambassadeurs, des Directeurs nationaux, des juges, des membres de la Cour Suprême et des présidents des Institutions républicaines.
Il convient de rappeler que ce processus est en vigueur aux Etats Unis depuis plus de deux cents ans. Cet exercice permet au Sénat de fouiller pour ne pas dire enquêter sur l'intégrité morale et la capacité des nominés à honorer leurs fonctions. En Guinée, un tel procédé empêcherait les nominations fantaisistes influencées par les amitiés, les accointances politiques, parentales ou régionales. Le président de la République sachant que son choix sera soumis à un vote de confirmation, serait amené à réfléchir par deux fois avant de choisir les personnes à nommer à des postes de responsabilité. Il faut également signaler que cette procédure rapprocherait de plus le choix des citoyens dans les prises de décision du président de la République tout en pérennisant le dialogue national.
Ceci créerait donc une chaîne de procédures qui va lier le citoyen à la base représenté par le législateur (député et/ou sénateur). L'expérience a montré que les régimes hyper présidentialistes prêtent facilement le flanc au népotisme, au clanisme et au favoritisme. Cela ne concerne pas que les nations africaines d’ailleurs. Le pouvoir, s’il n’est pas contrôlé et maîtrisé, peut appeler aux abus. “Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser” disait Montesquieu qui enseigne citation : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Le système démocratique guinéen a toujours été en fondé sur la base des régimes hyper présidentialistes. Un système qui donne beaucoup plus de pouvoir à l'Exécutif qui écrase de facto les deux autres pouvoirs à savoir le Législatif et le Judiciaire. Il faut donc sortir de cela en élevant d’un cran le Parlement, les Cours et Tribunaux.
Un juge installé dans un tribunal suite à un vote parlementaire sait qu’il n’est pas là que par la volonté du président de la République et que son salut repose aussi sur sa propre probité morale et la confiance du peuple à travers les élus au parlement. Ce qui lui conférerait une confiance en soi et une indépendance. On ne rêverait mieux d’avoir des juges indépendants dans nos Cours et Tribunaux.
Administration Publique guinéenne
Un autre élément essentiel qui mine l'administration publique guinéenne est le chevauchement des institutions et agences gouvernementales. La conséquence de cela est d’une part la fuite des responsabilités, et d’autre part, le train de vie de l’Etat. Il est nécessaire d'élaguer l’Administration publique guinéenne. Il s’agit là de supprimer des Institutions, des directions nationales, de certains postes d’Administrateurs civils dont on a du mal à voir l'impact réel dans la gouvernance ou dont la mission se confond avec d’autres entités de l’Etat. Quelques exemples pour illustrer cet état de fait.
1- Les préfets : Un gouverneur de région efficace peut bien jouer le rôle de gouverneur et de préfet dans sa circonscription. J’estime qu’entre le préfet et le gouverneur de Faranah, de Boké, ou encore de Mamou, à titre d’illustration, il y a bien quelqu’un qui ne fait que de la figuration.
2- Chevauchement des institutions et directions nationales : On pourrait bien déléguer les pouvoirs de la Cour Constitutionnelle au niveau de la Cour Suprême pour que celle-ci devienne la plus haute Cour de justice de l’Etat susceptible de juger la constitutionnalité ou pas d’un acte administratif. On peut avoir maints exemples au niveau des directions et agences nationales. Un chevauchement dont les conséquences sont la confusion dans la gestion des projets de développement, la lourdeur administrative, et l’alourdissement du train de vie de l’Etat.
On aura beau chanter "séparation des pouvoirs”, tant que le président de la République n’est pas mis au même niveau que les juges et les parlementaires, on fabriquera des dictateurs. Et ce, quel que soit les garde-fous ou intangibilités inscrits dans la Constitution. Il faut que cette transition sème la culture de partage du pouvoir pour que ceci soit une tradition pour les générations futures.
Par Thierno Bah
Etudiant en Administration Publique
Medgar Evers College, New York
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