Transition en Guinée : Dr André Loua fait de pertinentes recommandations
Contexte socio-politique
L’histoire de la République de Guinée indique que le pays a connu deux types de régimes politiques. Président de la République depuis l'indépendance de la Guinée en 1958, Ahmed Sékou Touré instaura un régime totalitaire de parti unique, d'orientation socialiste jusqu’en 1984. Lansana Conté, Libéral et nationaliste, a dirigé le pays après la mort de Sékou Touré de 1984 à 2008 et a doté le pays d'une nouvelle Constitution qui autorisa le multipartisme intégral. Ses successeurs, Moussa Dadis Camara (de 2008 à 2009), Sékouba Konaté (de 2009 à 2010) et Alpha Condé (de 2010 au 5 septembre 2021), ont maintenu l’orientation libérale et renforcé le multipartisme avec souvent des entraves du fonctionnement des partis politiques. Depuis le 5 septembre 2021, le comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), dirigé par le Colonel Mamadi Doumbouya, a pris le pouvoir par un coup d'État.
L’examen de la situation actuelle de la Guinée montre que le bilan politique, économique et social de ses différents régimes politiques est globalement négatif de 1958 à 2021. Le pays se situe toujours parmi les pays les plus pauvres avec comme principales caractéristiques de cette pauvreté artificiellement créée et entretenue, entre autres :
- Un très faible accès des populations aux services sociaux de bases (eau, électricité, éducation, santé, etc.) ;
- Des infrastructures de transports déficientes (inexistence d’aéroports régionaux et de compagnie aérienne nationale, pas de trains ni de bus de transport intra-et interurbains adéquats, réseau routier et voiries urbaines en mauvais état dont certaines n’ont connu aucune couche de bitume, ni même un reprofilage depuis que la planète terre existe) ;
- Un environnement suffisamment pollué tant dans la capitale qu’à l’intérieur du pays, exposant les populations à des risques sanitaires et à des effets climatiques néfastes ;
- Un indice de perception de la corruption très élevé car la Guinée occupe la 150ème place sur 180 pays en 2021 selon transparency international ;
- Un tissu social profondément déchiré ; et
- Sur le plan politique, une hyperprésidence des régimes successifs et un multipartisme désordonné avec la plupart des partis politiques sans aucune base populaire, ni doctrine.
Contribution aux consultations populaires initiées par le Conseil National de la Transition
C’est dans le contexte susmentionné, que le CNRD a pris le pouvoir avec une volonté affichée de redresser tous les maux qui gangrènent le développement socio-économique du pays. Un gouvernement entièrement civil a été nommé et un conseil national de la transition (CNT) de 81 membres, faisant office de parlement de la transition, a été mis en place. Le CNT a déployé ses conseillers auprès des populations de la capitale et de l’intérieur du pays pour les inviter à donner leurs attentes et leurs perceptions sur cinq thématiques proposées et reprises ci-dessous. Les points saillants décrits ci-après donnent de manière succincte notre modeste contribution à cette importante consultation dont nous espérons qu’elle retiendra l’attention des nouvelles autorités du pays.
1. De la perception générale sur la conduite de la transition
- A l’instar des régimes politiques successifs en Guinée, l’hyperprésidentialisation du pouvoir persiste toujours dans la transition actuelle. Comme dans les régimes précédents, l’Etat guinéen n’a toujours rien à offrir au peuple, c’est le Président qui décide tout et qui donne tout à l’Etat et à la population.
- Malgré les revendications des acteurs de la société civile, comme le front national de défense de la constitution (FNDC), la composition du CNRD reste toujours opaque.
- Visiblement les prises d’importantes décisions concernant le fonctionnement de l’Etat, se font sans de larges concertations. L’attribution du nom d’Ahmed Sékou Toué à l’aéroport de Conakry en est un exemple illustratif parmi d’autres.
- L’action du gouvernement dont la mise en place a été saluée par toute la population, notamment en raison de l’équilibre régional dans la nomination de ses membres, n’est pas encore très bien ressentie par le guinéen lambda.
- La transition semble naviguer à vue dans la conduite des affaires de l’Etat au gré du CNRD, en raison de l’absence d’un chronogramme clair et du manque d’un cadre de dialogue avec les acteurs socio-politiques du pays.
- Le bureau du CNT a été choisi et mis en place par le Président de la transition alors qu’il devrait être élu par les conseillers eux-mêmes.
2. Du fonctionnement de l’administration territoriale ;
- Il est impératif de réduire drastiquement le pouvoir discrétionnaire dans les différentes nominations dans les sphères politico-administratives de l’Etat.
- L’administration territoriale doit être démilitarisée autant que possible ; et tous les administrateurs territoriaux civiles ou militaires (gouverneurs, préfets, sous-préfets, etc.) doivent être détenteurs de diplômes d’écoles d’administration publique.
- Les nominations des cadres de l’administration doivent se faire suivant un processus de recrutement transparent (publication de poste, sélection par un jury ad hoc, rapport de sélection), nomination du candidat sélectionné, et établissement d’un contrat de performance.
3. De la réconciliation nationale ;
- Le respect de l’équité dans les prises de décision doit s’imposer à tous sans exception
- L’organisation de consultations nationales sur les sujets de société doit être de rigueur.
- Les équilibres ethniques et régionales dans les nominations à des niveaux de responsabilités à l’échelon national doivent être recherchées et appliquées autant que possible.
- La non-ségrégation et stigmatisation d’une ethnie quelconque du pays au sein de la communauté nationale et toute violation de ce principe doit être punie par la loi en vigueur.
4. Du système politique à adopter ;
- Un multipartisme limité à trois devrait être instauré, afin de relever et d’apaiser le niveau des débats politiques et électoraux dans le pays.
- L’instauration d’un régime parlementaire de sorte que le parti majoritaire après chaque élection législative puisse diriger le gouvernement seul ou en alliance avec les deux autres partis de l’échiquier politique national, ceci évitera toutes velléités de changements constitutionnels à des fins de prolongation de mandat.
- L’instauration de la présidence tournante afin que chacune des quatre régions naturelles puisse gouverner le pays à tour de rôle.
5. Des grandes étapes de la transition.
- La définition d’un chronogramme de transition pour une durée maximale de 2 ans
- La révision de la constitution sur la base de celle de 2010 et son adoption par un référendum populaire supervisé par une institution indépendante et neutre.
- Le toilettage du fichier électoral par l’enrôlement de toutes les personnes ayant atteint l’âge de voter et l’exclusion des personnes décédées, des doublons, etc. avec l’appui d’un partenaire technique indépendant et neutre.
- L’organisation des élections de la base au sommet en respectant scrupuleusement la charte de la transition qui stipule que ni le Président et les membres du CNRD, ni les membres du CNT et du gouvernement ne sont pas candidats à ces élections ; d’où l’intérêt de publier la liste des membres de tous ces organes de la transition dès maintenant.
Dr André LOUA
Email : louaandre57@gmail.com, ou
Créé le 7 mars 2022 09:42Nous vous proposons aussi
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