Sébastien Nadot : « La France doit rompre le silence sur le cas guinéen… »

Sébastien Nadot

CONAKRY-Sébastien Nadot Député de Haute-Garonne, membre de Commission des affaires étrangères, suit de près la situation politique en Guinée. Il a posé une question écrite au Ministre des Affaires étrangères Jean-Yves LE DRIAN dans laquelle il alerte le chef de la diplomatie française sur la situation politique et sociale en Guinée.


L'élu fustige le "silence" du gouvernement français face à la situation "dramatique" que traverse la Guinée, au lendemain d'un scrutin présidentiel particulièrement meurtrier. Un dernier bilan des violences fait état de près de 50 morts. Alors que plusieurs opposants font l'objet de poursuites judiciaires, Sébastien Nadot appelle à un changement dans l'action diplomatique de la France.

Dans cet entretien exclusif qu'il nous a accordé, il prévient qu'il n’est pas question de laisser les élections à celui qui se considère en position de force par rapport à celui qui émanerait de la volonté populaire. Interview exclusive.

AFRICAGUINEE.COM : Il y a quelques jours, vous avez interpellé le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian sur notamment ce qui se passe en Guinée. Vous dites que la France doit reconsidérer son action diplomatique vis-à-vis de certains pays africains dont la Guinée qui vient de boucler une élection présidentielle contestée qui a été extrêmement violente. Dites-nous pourquoi ?

SEBASTIEN NADOT : La France n’a pas du tout été présente, tant diplomatiquement que médiatiquement, au moment de l’élection présidentielle guinéenne. Cela dit, à travers la voix de Josep Borrell, Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l’Union européenne s’est inquiétée de la manière dont le scrutin s’est déroulé. Elle a mis en question la remontée des procès-verbaux et le décompte final des votes de l'élection présidentielle. Mais cela, c’était avant la validation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle. Il n'y a rien eu depuis la validation par la Cour constitutionnelle qui entérine la victoire du président Alpha Condé.

La moindre chose, me semble-t-il, serait pour la France d'exprimer sa position vis-à-vis des fortes suspicions autours du scrutin présidentiel. Mais la France ne réagit pas, ne commente pas, ne dit pas ce qu’elle pense de ce résultat affirmé comme définitif, sans recours légal possible. Dans le même temps, la situation politique et sociale est explosive, avec des oppositions extrêmement violentes et fortes entre forces de sécurité et population, et aussi entre communautés. Pendant ce temps, les principaux opposants politiques sont convoqués devant la justice et menacés de lourdes peines. On est en présence d’un régime qui réprime les opposants politiques. En tant que parlementaire français, j’ai la responsabilité de demander des comptes à mon gouvernement, de contrôler son action ou son inaction. Et pour l’instant, du côté du gouvernement français, c’est le silence.

Vous dites également que la France prend le contrepied du discours d’Emmanuel Macron tenu en 2017 à Ouagadougou qui promettait à l’époque de rompre avec la nostalgie françafrique. Que voulez-vous dire concrètement par cette observation ?

Ça me semble assez clair. J’ai questionné à plusieurs reprises le ministre des Affaires étrangères en commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Il y a un président qui, contre la Constitution de son pays, se présente à nouveau, qu’est-ce que vous en pensez ? Sa réponse était : «ce n’est pas mon problème. Ces pays sont souverains». Or, le discours serait plutôt de dire : « on va arrêter de peser pour essayer d’infléchir les résultats vers telle ou telle candidature. » Ce n’est un secret pour personne que la France, dans un passé plus ou moins récent, a essayé de faire basculer des élections dans un certain nombre de pays africains. Quand il s’agit d'un jeu d’opinions, on peut éventuellement dire que ce n’est pas un problème en soi. Mais quand il s’agit de ne pas regarder la réalité d'un scrutin qui, à l’évidence, est complètement truqué, là ça devient un problème. Le discours d’Emmanuel Macron de Ouagadougou, c’était justement de dire qu’on allait rompre avec cette manière de procéder. Donc de deux choses l’un : soit on est complétement absent, ce qui n’est pas le choix de la diplomatie française, soit on est présent. Mais alors quand il y a des irrégularités démocratiques évidentes, la France doit le dire et le signifier clairement.

Par ailleurs, quand ces irrégularités démocratiques vont jusqu'à occasionner une flambée de violence, comme on peut le constater aujourd’hui dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest, la France doit porter ces questions au Conseil de sécurité des Nations unies. Or, elle ne le fait pas. Le dernier exemple en date ça concerne la partie séparatiste du Cameroun. La France avait la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies au mois de juin et donc avait une maitrise sur l’ordre du jour. J’avais demandé au représentant français de mettre la situation du Cameroun à l’ordre du jour, mais la France ne l’a pas fait. Alors qu’on assiste à une situation extrêmement grave au Cameroun, avec de risques pour les populations, la France n’a rien fait au niveau des Nations unies.

Dans son contenu, je trouve le discours de Ouagadougou intéressant, pertinent parce qu’il y a bien cette prise en compte de la diversité des pays africains, contrairement aux pratiques qui pouvaient y avoir avant. Mais depuis la déception est complète car concrètement on n’a pas vu de traduction dans les actes et sur le terrain. Et les grandes déceptions sont toujours problématiques, inquiétantes. Les attentes déçues ne peuvent que nourrir le ressentiment et la colère. Le pire est qu’on ne voit même pas d’intention d’essayer de mettre en œuvre le discours de Ouagadougou. Je pense qu’on peut comprendre que la France ne peut pas tout, bien évidemment. La France n’est pas responsable de tous les malheurs du monde. Elle n’est pas responsable des malheurs de la Guinée. Mais elle a une responsabilité de soutenir les défenseurs de la démocratie.

Il est inquiétant que la France reste silencieuse dans un moment aussi dramatique que celui qu’est en train de vivre la Guinée. Dramatique parce que finalement, il n’y en a eu de démocratique que l’annonce de l'élection présidentielle dans le pays. Tout le reste du processus ne répond pas aux règles d'un fonctionnement démocratique normal. Si on avait eu une attention forte vis-à-vis du processus démocratique guinéen, on aurait pu organiser une mission d’observation des élections. Cela n’a pas été fait. Ça veut dire que dans les faits on abandonne la Guinée à son triste sort, alors que au contraire il fallait l’aider dans sa transition démocratique.

Quelle position souhaiteriez-vous que la France adopte face à la nouvelle donne en Guinée ?

On est dans une situation où la crédibilité des résultats est fortement interrogée, dans la mesure où la validation des résultats par la Cour constitutionnelle n’a pas véritablement répondu à un certain nombre de réclamations de la part de l’opposition. La Cour constitutionnelle, aux mains du pouvoir en place, considère seulement qu’il y a eu des problèmes à la marge, qui ne suffisent pas pour faire basculer le vote. La première chose à faire serait de réaffirmer les doutes vis-à-vis de la sincérité du processus démocratique en Guinée et faire pression sur M. Alpha Condé sur la manière dont il va conduire le pays dans les jours qui viennent. Il s’agirait de dire que « compte tenu d'un scrutin qui est loin d’être clair, vous êtes sous le regard de la communauté internationale, faites attention à ce que vous faites. »

La situation guinéenne, qui peut basculer dans une grave crise politique et sociale, nécessite à mon sens  que le ministre des Affaires étrangères français aille rencontrer M. Alpha Condé ainsi que le principal opposant M. Cellou Dalein Diallo.

Il y a beaucoup de multinationales françaises qui ont énormément investi en Guinée. A votre vis le silence de la France ne traduit-il pas une crainte de représailles du régime de Conakry vis-à-vis de ces compagnies alors que la Chine, la Turquie, la Russie sont présentes aussi sur le sol guinéen ?

Bien sûr que tout ceci rentre en ligne de compte. La France n’a pas à se cacher pour protéger ses intérêts économiques, comme tous les pays le font vis-à-vis de pays étrangers. Défendre ses intérêts économiques n’est pas anormal. Ça devient anormal à partir du moment où les intérêts de long terme sont sacrifiés au profit d’intérêts de court terme de quelques grandes entreprises françaises. Ce n’est pas en effet en se conduisant de la sorte en Afrique de l’ouest que la France va maintenir et développer dans le temps ses intérêts. D’autant plus que sur le terrain de la défense des contrats des grandes entreprises françaises, la concurrence est de plus en plus rude avec des acteurs comme la Chine.

Ce qu’il faudrait au contraire développer dans le temps long, c’est les relations économiques entre TPE et PME au travers de coopérations économiques respectueuses. Mais à cause du sentiment anti-français, nourri par le comportement de quelques grandes entreprises françaises, les TPE-PME françaises ne peuvent bénéficier d’un terrain propice de confiance pour s’installer dans les pays d’Afrique de l’ouest, à commencer par la Guinée.

Tout miser sur le pouvoir en place est risqué. Cela permet peut-être de sécuriser à court terme quelques gros contrats, pour deux ou trois ans. Mais c’est surtout prendre le risque de tout perdre et de casser durablement les liens d’amitiés et de confiance entre la France et les pays d’Afrique de l’ouest comme la Guinée. Il y a 20 ans, peut-être qu’en effet, il fallait nécessairement passer par l’Etat central de Guinée. Mais aujourd’hui, on peut travailler ensemble différemment. Le numérique a changé les pratiques.

Finalement, on fait comme si on était encore en 1990, sauf qu’on est en 2020. Je suis profondément inquiet pour mon pays parce que je vois, d’une part, qu’on ne promeut pas la démocratie. D’autre part, en matière économique, d'échanges et de relations avec un pays comme la Guinée, je considère que la France ne fait pas non plus les bons choix.

Craignez-vous pour l’avenir des intérêts français en Guinée ?

Ça me semble évident. D’une part, si la France ne fait pas valoir des aspects dont elle pourra s’enorgueillir comme la question des droits humains, pense-t-elle qu’elle puisse rivaliser avec la Chine sur le terrain strictement économique ? Sur le prix de la main d’œuvre, de la capacité à construire des ponts, des bâtiments ? Non. Bien sûr, c’est une inquiétude de voir que la Chine est en train d’investir l’Afrique de manière importante, au détriment de la France. Je n’ai rien contre la Chine, sauf que ce n’est pas le modèle politique que je souhaite voir prévaloir partout à travers le monde. Je trouve qu’on s’y prend très mal pour résister aux avancées de la Chine. A ce jour, la France ne montre pas de capacité à s’adapter au nouveau continent africain où les choses ont vraiment changé.

En tant que député comptez-vous porter le débat sur la situation en Guinée au niveau du parlement européen ou ailleurs pour alerter sur sa gravité ?

Aujourd’hui pour différentes raisons, les Nations unies sont en grande difficulté. Je ne crois pas que l’élection de Joe Biden va changer radicalement la donne. Les Nations unies sont en grandes difficultés dès qu’on veut résoudre un conflit, une problématique locale ou régionale, on se retrouve avec des grandes puissances qui savent comment bloquer les Nations unies. Nous n’avons pas d’entité suffisamment solide pour imposer des médiations fortes, notamment sur les questions des droits de l’homme. L’Union européenne devrait pouvoir prendre une position plus affirmée dans ce registre. La France y trouverait pleinement sa place.

Je crois beaucoup dans l’interpellation, la mobilisation au niveau de l’Union européenne, pour faire de la diplomatie au-delà des incantations. La réaction de l’Union européenne à la suite des élections guinéennes était pertinente. Mais ensuite, en France, on n’a pas eu une indignation à la hauteur de la situation. Il faut aussi comprendre qu’on est dans un moment où la France a le regard tourné vers l’intérieur, qu’elle est aux prises avec ses propres difficultés liées à la crise du coronavirus. Mais pour autant, à mes yeux, la France ne peut pas rester silencieuse face à une situation politique comme celle de la Guinée. Même s’il faut se garder de donner des leçons, a fortiori quand on apprend que le Conseil constitutionnel français avait validé les comptes de campagne de Jacques Chirac lors de l’élection présidentielle française de 1995 alors que ceux-ci étaient manifestement anormaux.

La Guinée est dans le top des pays demandeurs d'asile chez les mineurs en France.  Ne craignez- vous pas qu'une instabilité en Guinée n'exacerbe davantage la situation ?

L’instabilité et l’insécurité conséquente à la situation politique en Guinée amènera immanquablement à une augmentation du flux migratoire vers l’Europe, notamment chez les plus jeunes. La France, compte-tenu de son histoire, de la diaspora guinéenne et de sa langue, est à l’évidence une destination privilégiée parmi les pays européens. Ce qui se passe en Guinée a des conséquences multiples en France.

Quel est votre dernier message ?

La première chose que je retiens ce que pour l’instant, le principal opposant a toujours dit qu’il opposerait une résistance pacifique à ce qu’il juge comme un résultat électoral illégitime. En étant pacifique, on peut rester très fort. Il faut trouver des voies pacifiques pour que la démocratie puisse s’ancrer en Guinée comme dans bien d’autres pays. Il faut vraiment un appel de tous les leaders, y compris certains du camp d’Alpha Condé. La force pacifique existe, c'est possible, et l’histoire nous l'a montré. Il faut trouver une voie dans cette direction. Mais cette voie passe aussi par l’aide internationale de ceux qui veulent voir vivre la démocratie le plus possible sur cette planète. Ce n’est pas forcément un discours à la mode actuellement. Je compte bien à mon niveau le faire vivre au Parlement en France et à travers des partenaires d’autres Parlements européens. Il n’est pas question qu’on laisse filer partout comme cela, comme en Guinée et ailleurs, les élections à celui qui se considère en position de force, alors que le vote populaire a désigné un autre candidat.

Interview réalisée par Diallo Boubacar 1

Pour Africaguinee.com

Tél. : (00224) 655 311 112

Créé le 16 novembre 2020 01:43

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