Samuel Kaninda : « Les risques de corruption sont plus élevés dans les régimes d’exception… »

Samuel Kaninda, conseiller régional Afrique de l’Ouest et du Centre à Transparency international

CONAKRY-A l’occasion de la célébration de la journée mondiale de lutte contre la corruption, ce jeudi 9 décembre 2021, Africaguinee.com a interrogé le conseiller régional Afrique de l’Ouest et du Centre à Transparency international. Dans cet entretien, Samuel Kaninda revient sur la perception de la corruption en Afrique. Selon lui les pays riches en ressources naturelles sont les plus exposés en matière de corruption, mais le risque est encore plus élevé dans les régimes d’exception. Toutefois pour le cas de la Guinée, il souligne que la création de la Crief (cour de répression des infraction économiques et financières) est une bonne chose, pourvu qu’elle ne soit pas un instrument de règlement de compte.


 

AFRICAGUINEE.COM : Quelle est la situation de la corruption en Afrique ?

SAMUEL KANINDA : Pour tout observateur avisé, la situation de la corruption en Afrique reste préoccupante. Parlant des indicateurs macroéconomiques, de la croissance économique où le continent de façon globale est bien quotté, il y a beaucoup de pays qui se comportent bien. Par ailleurs, la situation générale des populations en terme d’indicateurs de base pour le développement, d’accès à l’eau potable, l’assainissement, l’éducation, l’emploi décent, en bref, tout ce qui constitue l’indice du développement humain, l’Afrique est encore à la traîne. Il y a des pays qui se distinguent, mais la grande majorité traîne le pas et nous pensons que la corruption y est pour beaucoup. Les ressources que nos pays peuvent dégager ne servent pas toujours la cause de l’intérêt général. Si nous voyons nos différents outils de mesure de la corruption, que ça soit l’outil de Mo Ibrahim qui est plus englobant, mais celui de l’indice de perception de la corruption qui est plus précis, vous verrez que la majorité des pays se retrouve toujours dans la zone rouge c’est-à-dire avec une note en dessous de 50 /100. Cela indique que la corruption reste endémique et systémique et que les quelques progrès observés ne sont pas encore suffisants pour changer ou renverser la tendance. Il y a encore du chemin à parcourir.

Comment expliquer qu’à chaque fois l’Afrique subsaharienne soit toujours le plus mauvais élève dans les classements en matière de lutte contre la corruption ?

Il y plusieurs facteurs. Il y a la question de volonté politique. Ça peut paraître un peu creux, mais le contenu de cette volonté politique, c’est d’abord reconnaître que la corruption est vraiment un frein, la majorité de nos responsables politiques, voire dans le secteur privé, dans le milieu associatif en conviennent. Maintenant, c’est la réponse qu’on y apporte qui démontre réellement notre volonté politique. Nous avons des lois, mais est ce qu’on s’emploie à ce que ces lois soient mises en œuvre de manière effective et efficace ? Nos institutions qui sont mises en place pour lutter contre la corruption, au-delà de l’institution classique du système judiciaire, les organes supérieurs de contrôle que toutes les institutions mises en places à la faveur de la Convention des Nations unies contre la corruption, la convention de l'Union africaine pour la prévention et la lutte contre la corruption et pour le cas de l’Afrique de l’Ouest où vous êtes basé, il y a le protocole de la Cedeao sur la lutte contre la corruption qui totalise 20 ans d’existence.

Tous ces instruments, ces normes et principes doivent être traduits dans les faits par des actions qui pourront faire qu’on investisse beaucoup plus dans la prévention de la corruption. Mais aussi le grand problème, ce que quand des cas de corruption sont rapportés qu’il y ait des enquêtes et que les coupables soient sanctionnés. Je crois que ce problème d’impunité est dû généralement au fait qu’il y a de personnes coupables des actes de corruption et qui se retrouvent parmi ceux qui doivent lutter contre ce fléau.  Donc, il faut cette volonté politique, un leadership affirmé qui fait que la justice fasse son travail sans interférence politique, que les institutions soient bien coordonnées et aient les moyens de leurs actions. Je pense aussi qu’il faut que les citoyens soient libres d’avoir accès à l’information sur les actes posés par les responsables publics et le cas échéant, demander des comptes sans entraves ou craintes de représailles.

Ces deux dernières années, il y a eu la Covid 19 avec ses corollaires de confinement. Est-ce que la pandémie a eu un impact sur le contrôle citoyen de l’action gouvernementale ?

La pandémie a pris la majorité de pays notamment en Afrique au dépourvu. Dans la réponse, comme dans toute situation d’urgence, il y a des mesures qu’il faut prendre toute suite. Il y a eu des mesures qui sont allées dans le sens de restreindre les libertés publiques y compris en matière de redevabilité, les organisations de la société n’ont pas forcément pu suivre les questions liées à la réponse à la Covid-19 même si c’est nuancer selon les pays. Beaucoup de ressources ont été mobilisées pour la riposte à la pandémie, mais il y a eu aussi le volet économique qui fait qu’il y a une réduction d’activités avec tout ce qu’il y a eu comme confinement, télétravail qui n’est tellement pas appliqué en Afrique comme en Europe ou en Amérique. Mais il y a eu quand même un ralentissement des activités économiques et le besoin d’appuyer les couches les plus vulnérables. Au Nigeria et en Afrique du Sud, il y a eu de cas des pratiques assimilées à la corruption de la gestion des ressources destinées aux populations les plus vulnérables. Etant donné qu’on était dans une période d’exception, le contrôle citoyen de l’action publique était affaibli et n’a pu faire le suivi et de demande de redevabilité.  Ce qui a fragilisé davantage nos systèmes qui étaient sous pression notamment le secteur de la santé.

Le rapport 2020 de Transparency international avait souligné que les pays riches en ressources naturelles étaient les plus touchés par le fléau de la corruption. Est-ce que la tendance est toujours la même ?

Il n’y a pas d’évolution significative. Au bas de l’échelle, nous avons les pays comme le Soudan, la Somalie, le Soudan du Sud. Le contexte peut être compris avec la crise, mais il y a la Guinée équatoriale, la Libye, la RDC, ce sont des pays riches en ressources naturelles. La RDC est le deuxième poumon mondial même en terme de réponse au changement climatique. Mais il y a encore beaucoup de défis en matière de gouvernance. Des progrès sont observés avec la mise en place de certaines mesures. Mais, comme je le disais tantôt, le résultat se constate au-delà de la mise en place des structures, des institutions ou l’adoption des lois. C’est La mise en œuvre de ces politiques et l’efficacité de ces institutions qui donnent des résultats.

La majorité des Etats ont pris des engagements qu’il va falloir traduire par des actes concrets. Quand je parle d’engagements, je fais allusion à la signature apposée par responsables des différents Etats à la Convention des Nations unies, de l'Union africaine et d’autres pris dans le cadre du partenariat pour la gouvernance ouverte où plusieurs pays africains s’y retrouvent. Il y a des engagements pour une gestion plus transparente et plus de redevabilité pour faire face à la question de la corruption.

Plusieurs pays africains sont engagés dans une période transition notamment la Guinée, le Mali et le Tchad. Est-ce ce que les pouvoirs militaires exposent ces différents Etats à plus de risque de corruption ?

C’est vrai qu’il s’agit ici des régimes d’exception qui arrivent suite à des coups d’État. Je ne vais pas m’étendre sur les causes de ce changement. Pour revenir à votre question, oui cela peut poser des problèmes. Je prends l’exemple de la Guinée où le Conseil national de la transition (Cnt) n’est pas encore mis en place alors que c’est lui qui jouerait un rôle de contrôle législatif qui permettrait de suivre les actions de l’exécutif. Si les dispositions qui permettent un suivi de l’action publique, le mécanisme de redevabilité et qui permettent aussi d’exiger une certaine transparence de la part des dirigeants sont suspendus, les risques de corruption sont plus élevés. Nous estimons que là où il y a plus de pouvoir discrétionnaire sans mesure contrôle et de redevabilité, les risques de corruption sont plus élevés.

C’est important pour nous que dans tous ces régimes d’exception, les mesures qui permettent que le contrôle de l’action publique soit effectif demeurent. Etant donné que ces régimes ne sont pas le fruit d’un processus démocratique lié à des élections, Il est souhaitable que, très vite, les institutions se remettent en place pour que tout ce qu’il y a comme mécanismes de contrôle, que ça soit dans le cadre du pouvoir législatif ou les autres organes et institutions qui jouent ce rôle, soient en position d’assurer leur rôle pour que l’équilibre demeure et que s’il y a des cas de malversations, de manque d’intégrité ou de corruption que les institutions compétentes s’assument.

En Guinée, la junte militaire au pouvoir a annoncé la création de la Cour de répression des infractions économiques (CRIEF). Est-ce rassurant ?

A priori, c’est une bonne idée parce que la Guinée en souffre comme plusieurs autres pays africains. Les crimes économiques sont lésions et c’est ce qui appauvrit la majorité de la population parce qu’une minorité qui a accès aux ressources et qui a le pouvoir de décider sur leur gestion, vise l’enrichissement rapide. Cette Cour pourrait jouer son rôle pour autant qu’elle fasse son travail de manière indépendante, impartiale et en mettant l’intérêt général au-devant de tout. C’est ce qui ferait que cette Cour soit d’un apport particulier dans le renforcement de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption en Guinée. Mais il ne faudrait pas, comme cela s’est observé dans certains cas, que la Crief soit perçue comme un instrument de répression de ceux qui ne sont pas en accord avec ceux sont actuellement aux affaires. La création de la Crief est une bonne chose pourvue qu'elle évolue dans son indépendance dans l’impartialité

Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 669 91 93 06

Créé le 9 décembre 2021 15:46

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