Restitution de biens : Dr Amadou Tounkara ouvre la « boîte de pandore »…
CONAKRY-Après la restitution des « cases Bellevue » à la famille de Sékou Touré, Dr Amadou Tounkara, membre de l'association des victimes de Camp Boiro a ouvert à la boîte à pandore. Ce médecin qui avait perdu son papa dans les geôles du père de l’indépendance de la Guinée interpelle le colonel Mamadi Doumbouya sur les biens qui ont été spoliés sous le premier régime. Il réclame lui aussi la restitution des biens de toutes les familles victimes d’abus. Dans cet entretien, le responsable de l'information et de la communication de l’AVCB parle aussi de la réhabilitation de Sékou Touré par Mamadi Doumbouya.
AFRICAGUINEE.COM : Le Colonel Doumbouya restitué les Cases de Bellevue à la famille de Sékou Touré. Qu’en dites-vous ?
DR AMADOU TOUNKARA : Ils ont restitué "les cases Bellevue" à la famille Sékou Touré, c'est normal. Mais ils doivent penser aussi aux nombreux biens qui avaient été saisis par Sékou Touré et qui n'ont pas été restitués. Je dirais qu'en ce temps, Sékou Touré et ses compagnons s'investissaient pour la nation. Certains avaient mis leurs biens à la disposition de l'Etat. La commune de Dixinn, c'est Elhadj Fofana, un guinéen comme Sékou Touré qui a acheté les lieux, construit la permanence et a donné l'état guinéen. Nous souhaiterions que cette commune soit restituée à la famille Fofana.
Les ambassades de Guinée en France, au Ghana ont été offerts par Fodéba Keita. Nous souhaiterions aussi que ces lieux soient restitués à leurs ayants droits.
Sékou Touré avait mis les cases de Bellevue à la disposition de l'Etat guinéen. Sa famille réclame à l'Etat ce que le papa avait mis à la disposition de l'Etat. Les autres aussi ont le droit de réclamer leurs biens.
Mon papa avait un terrain à Donka. C'est Sékou Touré, à travers la famille Moussa Diakité qui avait mis main sur notre concession en y construisant. Nous demandons aussi à ce que le Colonel Doumbouya nous le restitue. Les biens de Sékou Touré ont été restitués, nous demandons que les nôtres aussi soient restitués.
Quel appel avez à lancer à l'endroit du président du CNRD ?
Ce que je voudrais dire au Président du CNRD c'est de continuer sur la voie de la justice sociale car c'est seulement avec ça qu'on peut aider le pays. Beaucoup d'anciens Présidents ont posé des actes, ils ne sont pas critiquables dans leurs pays (Senghor, Houphouët Boigny.) Nous, association des victimes du Camp Boiro souhaiterions qu'il (Président du CNRD) continue sur la voie de la justice sociale.
37 ans après sa mort l’héritage de Sékou Touré continue de diviser les guinéens. Qu’en savez des victimes de son régime ?
Il faut d'abord qu'on sache qui a été victime du camp Boiro. Il y a eu des victimes anonymes qu'on ne connaît pas, des opérateurs économiques, des politiciens, des militaires qui ont disparu au Camp Boiro. Les politiciens qui ont disparu au Camp Boiro étaient des compagnons de l'indépendance de Sékou Touré. Parmi les victimes il y a eu des administrateurs qui se sont battus après l'indépendance pour l'organisation de l'administration guinéenne. Il y avait les ministres Fodéba Keita, Balla Camara. Des militaires il y avait le général Noumandjan Keïta, Colonel Kamaan Diaby, capitaine Boubacar Tounkara ainsi que d'autres personnes qui ont été créateurs de l'armée guinéenne.
Des médecins qui ont créé la faculté de médecine, Alpha Taran Diallo. Des guinéens qui se sont inspirés pour créer le Bembeya Jazz national, M. Émile Condé en était le pionnier, tous ceux-ci sont des compagnons de l'indépendance qui ont disparu au Camp Boiro. Ils ont été arrêtés dans des conditions extra judiciaires, jugés et condamnés dans les mêmes conditions. Ils ont connu la torture et ont été exécutés et enterrés dans des fosses communes. La Guinée est membre des Nations-Unies. Notre pays a ratifié la déclaration universelle des droits de l'Homme. Il y a des chartes aux Nations-Unies qui interdisent la torture, des Guinéens ont connu la torture donc la violation de leurs droits les plus élémentaires. Le responsable de tous ces maux c'est le Président Ahmed Sékou Touré et son régime. Il a planifié l'exécution de ces guinéens de 1958 à 84 pour faire de lui le responsable suprême de la révolution parce qu'en 1958 c'était un seul parti au pouvoir. Il ne pouvait pas se permettre tout ce qu'il a fait. Donc, II fallait planifier pour éliminer certains compagnons de l'indépendance. Il y a eu des personnes tuées.
En 1984, lorsque le général Lansana CONTÉ a pris le pouvoir, il a ouvert les portes du Camp Boiro au public. Il a promis la réhabilitation des martyrs des victimes du Camp Boiro. Malheureusement les actes n'ont pas suivi les promesses. Comme le Colonel Doumbouya, Lansana CONTÉ a été entouré de certains qui lui ont fait perdre la bonne volonté de réhabiliter les victimes du camp Boiro. Les conséquences, la liste des victimes n'a fait que s'allonger. Les dignitaires de la Première République ont subi le même sort au Camp Boiro. Il y a eu maintenant les victimes de Bambéto, Hamdallaye, Wanindara, la liste n'a fait que s'allonger. Ce qui s'est passé en Guinée ne s'était jamais passé dans la sous-région en terme de violation des droits de l'Homme.
Pourquoi nous l'avons connu, c'est à cause du régime de Sékou Touré. Et maintenant c'est cette personne qui est gratifiée, honorée. Sur quelle base on cherche à l'honorer ? Le gratifier ? En principe une Cour doit exister, la justice doit se déterminer, l'Assemblée nationale doit se déterminer pour donner un tel honneur à un tel guinéen. Sékou Touré c'est lui qui a tué de façon extra judiciaires c'est un criminel. Alors, donner des honneurs à un criminel c'est faire l'apologie du crime. Le revers de la médaille, ce que le crime va continuer. Est-ce que c'est normal qu'on vive dans le crime ?
Le président Alpha Condé avait arrêté des guinéens, lorsque le Colonel Doumbouya a pris le pouvoir il les a libérés. Aujourd'hui il y a un des détenus qui est ministre. Les détenus de Sékou Touré ne sont pas sortis de prison. Ils n'ont pas été jugés et ils ont été exécutés. Faites une balance, de quoi on reproche aux détenus de Sékou Touré ils sont morts sans jugement ? Pourquoi les détenus de Alpha CONDÉ ont été libérés ? Pourquoi le porte-parole du gouvernement actuel était le détenu de Alpha CONDÉ ? C'est dire par exemple, si les détenus de Sékou Touré n'avaient pas été exécutés et libérés, on aurait eu des prisonniers comme Nelson Mandela. Car un Diallo Tely ce n'était pas n'importe qui en Afrique. Un Kamaan Diaby, un Noumandjan Keïta, c'est sûr ces guinéens allaient servir la Guinée.
La Guinée a eu un problème. Il y a eu rupture entre les générations. La génération qui a amené le pays à l'indépendance a été décimée par Sékou Touré. Créer un leader ce n'est pas du jour au lendemain. Donc, nous souhaiterions que le CNRD ravise sa position. Ils ont promis que la justice sera la boussole et donc il ne faudrait pas que le CNRD prenne position pour le bourreau par rapport aux victimes car la victime a sa place dans la société. Ces victimes ont subi, il ne faudrait pas encore qu'elles continuent à en subir.
Vous avez perdu votre papa sous le régime de Sékou Touré. Parlez-nous de lui ?
J'ai perdu mon papa, Tibou Tounkara, c'était un instituteur. C'était un vétéran du PDG RDA, il a donné toute sa vie pour la défense des idéaux du parti de la révolution. De 56 en 1971, il n'a fait que progresser dans les instances du Parti. C'est du jour au lendemain qu'il a été arrêté. Et une fois arrêté, la personne devenait complice, un ennemi, un contrerévolutionnaire. Normalement quand tu arrêtes quelqu'un il doit passer par le juge d'instruction, mais tu arrêtes quelqu'un tu l'exécutes un mois après, est-ce que tu as eu le temps de faire l'instruction.
Si nous ne sommes pas forts aujourd'hui, d'autres sont plus forts dans les rangs de l'administration. Ce qui doit prédominer c'est la justice. Nous souhaitons que la justice prédomine dans notre pays.
Vous aviez quel âge lorsque votre papa a été arrêté ?
J'avais neuf ans. Mais il faut aussi parce qu'on parle aujourd'hui de la restitution des biens. Au temps du régime de Sékou Touré, ils arrêtaient nos parents, on vidait les familles de leurs maisons, les enfants sortaient avec leurs valises, et tout le monde se débrouillait. C'était une époque où on parlait de 5ème colonne. Et donc une fois votre patent était arrêté, vous êtes virés de votre maison, on vous confiait à des familles et même ça vous aviez des difficultés à avoir un point de chute. Parce que tout le monde n'avait pas le courage de recevoir un membre de la 5ème colonne. C'était des conditions excessivement difficiles.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 17 décembre 2021 12:05Nous vous proposons aussi
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