Référendum et 3ème mandat pour Alpha Condé : quelle est la position de Maître Boucounta Diallo ?
CONAKRY- Il est connu pour sa proximité avec plusieurs acteurs politiques africains dont Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé. L’avocat sénégalais Maître Boucounta Diallo dont le nom a été cité par le Front National pour la Défense de la Constitution comme étant l’un des promoteurs d’un troisième mandat pour Alpha Condé vient à son tour de briser le silence. Après Albert Bourgi, c’est autour de l’ancien président de l’organisation de défense des droits de l’Homme du Sénégal d’officialiser sa position sur la question du référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution en Guinée. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Vous avez été cité comme étant l’un des promoteurs d’un troisième mandat pour le Président Alpha Condé par le Front National pour la Défense de la Constitution. Quelle est votre réaction ?
MAITRE BOUCOUNTA DIALLO :C’est une méconnaissance d’abord de ma personne et un mépris total de certaines considérations que je ne voudrais pas évoquer ici qui peuvent amener des personnes à me citer sur la liste de personnes qui font la promotion d’une réforme constitutionnelle ou de promotion d’un troisième mandat. Car ce serait de la tautologie même que de vous dire que ma position sur cette question en Afrique rejoint ce combat permanent que j’ai toujours mené un peu partout dans le continent pour empêcher les réformes constitutionnelles qui ont tendance à déboucher à l’instauration d’un troisième mandat. Le dernier que j’ai mené dans ce sens est celui qui a eu lieu au Congo Brazzaville pour défendre l’opposant Okombi André Salissa, qui a été poursuivi simplement parce que d’abord il était candidat aux élections présidentielles, mais surtout parce qu’il s’est opposé à un changement constitutionnel qui devait déboucher à un troisième mandat. Je pense que vous avez vous-mêmes les éléments de cette intervention au Congo, notamment cette interview dont vous avez fait part dans votre ligne de rédaction auprès d’une radio canadienne. Cela a été conforté par une position officiellement rendue publique au Sénégal le jour où je me retirai à la tête de l’organisation nationale des droits de l’Homme. En 2006, après avoir accompli deux mandats, pour laisser à la postérité un acte fort, j’ai dit en Afrique, nous n’avons pas l’habitude de nous arrêter lorsque nous avons fini avec deux mandats. J’ai dit que quelque soit la matière, j’estime que deux mandats suffisent pour réaliser ce qu’on a envie de réaliser. Et puisque nous sommes des donneurs de leçons, nous devons être les premiers à appliquer sur le champ ce principe. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de ne plus me représenter après deux mandats.
J’ai remplacé maître Sidiki Kaba qui a été élu à la tête de la FIDH et qui par la suite deviendra président de la Cour Pénale Internationale. Donc j’ai été élu par consensus, les textes me permettaient encore de rester, mais j’ai estimé que ce n’était pas une question juridique, c’était une position de principe que je dégageais à partir de là. Même si certains ont profité de l’occasion pour critiquer les autres organisations de la société civile et des organisations de défense des droits de l’Homme dont les dirigeants étaient là depuis plus de dix ans. J’ai tiré ma révérence et en partant j’ai expliqué que le mal africain est là. J’ai cité en exemple l’article 2 de la Constitution des Etats-Unis où il n’est pas dit que le président ne peut accomplir que deux mandats seulement. Mais par élégance républicaine, sans qu’un texte de loi, sans qu’une constitution ne le dise, les chefs d’Etat se retirent au bout de deux mandats. Donc, le problème n’est pas un problème constitutionnel, c’est la nature des rapports que cultivent les dirigeants africains avec le pouvoir.
Avez-vous été choqué de voir votre nom sur cette liste ?
Je ne pouvais jamais penser un seul instant qu’un africain qui a suivi mon parcours à travers les medias, à travers certaines actions et actes posés, pouvait imaginer que je pouvais manger de ce pain. Pour la simple raison qu’il suffit simplement de rentrer sur YouTube ou Google et de voir cette position officialisée depuis 2006 par l’agence de presse Sénégalaise l’APS pour se rendre compte que c’est soit par méconnaissance ou par ignorance de mon combat et également de mes positions largement affichées à travers les médias que maître Boucounta Diallo pouvait se permettre une telle chose.
Voulez-vous dire que vous n’avez jamais soutenu l’idée d’un troisième mandat ou d’un changement de constitution pouvant permettre à un chef d’Etat en exercice de prolonger son bail à la tête d’un Etat ?
Lorsque j’ai senti que le débat allait tourner autour de cette question, je me suis éloigné de la Guinée. Depuis le début de l’année, personne ne m’a vu en Guinée et je défie quiconque de me prouver le contraire. Donc, ce débat qui concerne les guinéens ne devait pas être à l’époque ma préoccupation d’autant plus que tous ceux qui devaient connaître ma position, connaissaient déjà celle-ci. Et je n’avais pas besoin d’influencer une frange de l’opinion en Guinée à travers ma position connue, affichée. Mieux, à partir du moment où j’étais plus présent au Congo pour défendre quelqu’un qui s’est battu contre le changement constitutionnel et le troisième mandat, je trouve contradictoire et étonnant qu’on puisse m’associer de l’autre côté à une démarche contraire. Ça ne me ressemble pas. J’étais plus présent au Congo qu’ailleurs. Mieux je n’ai jamais assisté à une rencontre en Guinée dont l’objet portait sur le changement constitutionnel.
Pensez-vous que vous êtes entrain de payer les frais de votre proximité avec le Président Alpha Condé ?
Ce serait de faire preuve d’une légèreté déconcertante pour des intellectuels, des militants de la justice et de la bonne cause que d’associer le nom de maître Boucounta Diallo uniquement sur la base de telles considérations. Je vous étonnerais tout de suite sur la foi de mon serment d’avocat et sur le saint coran que nous partageons ensemble, que certains ont préféré bafouer pendant une période de ramadan où il y a une sorte de trêve même quand on veut calomnier, pour éviter de citer abusivement des noms de personnes respectables, je trouve cela malheureux, triste à la fois. Donc sur la foi de ces considérations et de ces croyances, je vous le dis et le répète encore une fois de plus, moi je ne me sens pas du tout concerné par ce débat parce que je ne suis pas guinéen. Et par ailleurs, je n’ai même pas lu jusqu’à ce jour le projet constitutionnel qui fait débat. Encore une fois s’il y a quelque chose, qu’ils me le disent, parce que le président n’a jamais échangé sur ce sujet avec moi comme pour la plupart de ses amis.
Par contre, ce n’est que le 03 mai 2019 à 6H25 du matin lors du dernier séjour du Président (Alpha Condé, ndlr) en Turquie que ce dernier m’a appelé pour me faire part d’une déclaration d’un ami commun qui disait que Boucounta est fâché contre le président à cause de la question du troisième mandat. C’était le seul prétexte qu’il m’offrait pour la première fois d’évoquer avec lui ce sujet. C’est la raison pour laquelle c’est vous-même qui m’apprenez à travers la position de Bourgi que ce dernier était contre le troisième mandat. Parce que maitre Bourgi et moi, nous n’en avons jamais parlé, comme ça été entre le président et moi. Mais cette fois-ci au moins, j’ai saisi l’opportunité pour dire au Président : « vous me donnez aujourd’hui l’occasion de vous exprimer mon point de vu par rapport à cette question à savoir que je suis foncièrement opposé à un troisième mandat par principe ». Ça je l’ai fait le 03 mai 2019, bien avant même la démission du ministre de la justice, et bien avant même que le débat ne soit mené par ce front. J’ai fait part au président de la république, mon ami, le Pr Alpha Condé ma position.
C’est pourquoi quand vous m’avez suivi, j’ai dit que je n’ai pas besoin de m’exprimer, en vous disant adressez-vous au président Alpha Condé, adressez-vous à Cellou Dalein Diallo que j’ai reçu à plusieurs reprises à Dakar des semaines avant que cette liste n’existe. Je l’ai reçu et il connait ma position sur cette question, tout comme Bah Oury, Sidya Touré, maître Kabélà Camara.
Mais ce qui est important, c’est plus que cela. A savoir, en tant que sénégalais, je me devais de m’abstenir d’un débat qui est purement guinéen. C’est ça qui explique mon silence depuis lors.
Comment se fait-il que le Président Alpha Condé ne vous ait jamais parlé de cela avant le 03 mai malgré votre proximité ?
Ce qu’il faut noter et qui est fondamental, c’est qu’entre nous, le Pr Alpha Condé et moi, il y a une ligne rouge qui délimite notre amitié et nos convictions personnelles. On ne fait pas la confusion entre les deux. Et chacun respecte les choix de l’autre. C’est pourquoi il n’a jamais voulu aborder ce sujet avec moi, ni avec aucun collaborateur. Puisque même des collaborateurs à lui sont venus se plaindre à mon niveau en disant qu’il ne m’a jamais parlé de ça. J’ai répondu que je suis dan la même situation que vous. Peut-être comme la presse internationale l’a toujours dit, le Président Alpha Condé n’a pas encore dit son dernier mot à qui que ce soit. Et si nous en avons parlé la dernière fois (le 03 mai, ndlr) au téléphone, c’est parce que justement il m’avait interpelé par rapport à la déclaration d’un ami commun qui disait que j’étais fâché contre lui. J’ai dit voilà une opportunité pour moi d’aborder un sujet qu’on n’a jamais abordé.
À vous entendre on sent une certaine frustration à cause de cette accusation. Envisagez-vous une action judiciaire contre le Front National pour la Défense de la Constitution ?
Comme l’administration américaine, j’ai félicité le président Alpha Condé de n’avoir jamais mis ses opposants en prison. Mieux, je l’ai conseillé et encouragé à ne jamais le faire. Alors, moi je ne voudrais pas m’inscrire dans une logique contraire. Là où je conseille et j’ai toujours conseillé à mon ami de ne jamais mettre ses opposants en prison, de ne jamais le faire aussi pour les journalistes. Alors je me garderais moi de faire le contraire, même si je me sens blessé, je me sens diffamé. Parce que ce qui aurait été recommandé à mes accusateurs, c’est d’abord de mener leurs investigations, une fois que cela est fait, l’humilité, l’honnêteté intellectuelle et la rigueur morale auraient voulu qu’ils corrigent d’eux-mêmes leur erreur. Mais malgré la discussion franche que j’ai eue avec deux éléments du groupe à savoir Monsieur Aliou Bah et monsieur Abdourahmane Sanoh, malheureusement, ils ont persisté dans l’erreur. Moi je resterais constant avec mes convictions en me gardant de les attraire devant une quelconque juridiction guinéenne. La justice de Dieu me suffit pour nous départager. Il fallait comprendre que même le journaliste qui se trompe rectifie et donne l’opportunité à la personne de s’exprimer. Se tromper une fois ce n’est pas grave, mais persister dans l’erreur c’est abject et répréhensible.
Vous êtes un homme de l’ombre mais très présent dans les rouages des pouvoirs. Il se dit que c’est vous qui aviez facilité la dernière rencontre entre Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo pour décrisper la situation et permettre un règlement du contentieux électoral né des élections communales. Parlez-nous-en !
C’est la première fois que j’accepte d’évoquer ce sujet. Et c’est la première fois depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir que je m’exprime devant un journaliste guinéen. Alors si j’ai réussi cette prouesse, c’est parce qu’avant de m’engager, j’avais déjà obtenu des assurances auprès des deux parties sur leur détermination à rechercher une solution de sortie de crise. Fort de cet atout j’ai effectué le voyage sur Conakry pour matérialiser ces engagements par la rencontre que vous avez suivie. Et si l’opinion a été informée, ce n’était pas de mon fait, mais plutôt des confidences que ces deux leaders ont partagées avec des personnalités guinéennes, voire même des Hommes de presse.
Récemment j’ai reçu Cellou Dalein à Dakar. Il m’a dit : « Boucounta la dernière fois vous m’avez convaincu d’aller vers la rencontre pour régler cette question épineuse guinéenne liée au contentieux électoral dans le cadre de mes rapports avec le président Alpha Condé. Vous devez aujourd’hui encore vous mobiliser pour continuer le même travail pour éviter à la Guinée une nouvelle crise majeure ». J’ai dit au président Cellou Dalein Diallo que je comprends votre démarche, mais aujourd’hui, depuis le début de l’année je n’ai pas mis les pieds en Guinée, je suis resté dans cette logique parce qu’au moment où on parle de troisième mandat, je ne voudrais pas du tout être associé à ce qui se fait ou à ce qui se dit dans ce sens. J’ai ajouté que je voudrais également laisser le soin aux guinéens entre eux pour le moment de s’exprimer. Après on verra parce que je me tiens toujours prêt pour apporter des solutions de sortie de crise chaque fois que c’est nécessaire.
Ce n’est pas la première fois que je m’implique dans la résolution de crises en Guinée. Parce que lorsqu’il y a eu cette crise qui faisait que le président Alpha Condé et le président de la Guinée Bissau Cherif Niamadio se rencontraient dans les sommets, ils ne se parlaient pas, j’ai moi-même pris l’initiative à partir de Conakry d’appeler le président Chérif Niamadio dont je suis l’avocat et l’ami pour lui dire que je ne peux pas accepter que deux personnes dont je suis l’avocat puissent se rencontrer à des sommets de l’Union Africaine sans se parler. Je voudrais donc que tous les deux, que vous vous rencontriez et vous parler. Et dans les 48heures, le président de la Guinée Bissau s’est rendu à Conakry, vous avez vu cette rencontre qui a débouché sur le communiqué final conjoint des deux Gouvernements qui ont abouti au dégel de ce qui glaçait dans les rapports entre la Guinée Conakry et la Guinée-Bissau.
Toujours dans ce même combat, plus près au Sénégal, j’ai réussi ce qui était inimaginable. A l’époque une médiation entre le président Senghor et Cheick Anta Diop qui ne se sont jamais rencontré pendant 30 ans d’opposition politique. En 1985 j’ai réussi à provoquer la rencontre de ces deux opposants et leaders africains. Ce fut d’ailleurs l’unique rencontre de leur vie. Si Dieu m’a permis de réussir cette prouesse, je ne peux pas m’inquiéter en ce qui concerne la rencontre entre Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé. Je l’ai fait et je n’ai fait que remplir un devoir patriotique, mais un devoir de panafricaniste qui souhaite que le dialogue et la paix s’instaurent entre les différents acteurs politiques dans notre continent.
Pensez-vous pouvoir encore jouer un rôle de médiateur dans une éventuelle crise guinéenne ?
Ceux qui ont tenté de me citer sur cette liste avaient peut-être pour objectif de réduire mon champ d’activité. Mais ils se trompent. Rien ne peut me décourager lorsqu’il s’agit d’œuvrer pour la paix, la consolidation de la paix et de la démocratie en Afrique. J’ai des amis au niveau des Chefs d’Etat, mais mes positions et mon engagement continental transcendent ces amitiés. Pour preuve, dans ce cadre vous pouvez comprendre que je puisse aller combattre un ami du président Alpha Condé en l’occurrence le président Dénis Sassounguesso qui ne s’est même pas gêné de me faire arrêter avec une mesure de reconduction à la frontière. Suite à la manifestation des avocats congolais, et la protestation de la communauté internationale et de l’ambassadeur du Sénégal en Guinée, je fus libéré au bout de quelques heures, après avoir partagé avec mon client sa cellule. Et rien ne pourra me décourager sur cette voie, tant qu’il sera possible d’aider la Guinée, le Sénégal à franchir des moments, des étapes difficiles de leur coexistence. C’est la raison pour laquelle, si vous vous souvenez, lorsque les guinéens se battaient à l’époque, les syndicats se battaient, il y avait beaucoup de blessés et des morts, en tant que président de l’organisation nationale des droits de l’Homme du Sénégal, tous les jours, je recevais les malades avec mon directoire, je recevais les blessés graves pour les interner dans les hôpitaux. Je ne me lassais pas de le faire même tard dans la nuit. C’est la presse guinéenne qui saluait ce geste de ma part pour avoir accompagné ces blessés pour les faire hospitaliser à mes frais. Parce que c’est ce qui me lie avec la Guinée. Mon combat, mon engagement continental et plus particulièrement pour la Guinée vont demeurer quelque soit les intrigues et les jeux de bas étages qui se développent pour m’empêcher de pouvoir continuer cette œuvre.
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 24 juin 2019 17:44Nous vous proposons aussi
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