Rabiatou Sérah parle : »Ce que je propose au Pr Alpha Condé pour une sortie de crise… »
CONAKRY-Longtemps restée silencieuse, la présidente du Conseil Economique et Social (CES) a brisé le silence sur l’actualité sociopolitique qui agite la Guinée. Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction, Hadja Rabiatou Sérah Diallo flétrit la persistance des violences en Guinée. L’ancienne syndicaliste répond également à ses détracteurs qui l’accusent d’être une « vendue ». Au président de la République, l’ex-présidente du Conseil National de la Transition (CNT) lui a livré un appel particulier pour sortir de la crise actuelle. Lisez plutôt exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Comment réagissez-vous face aux violences qui ont fait plusieurs morts la semaine dernière dans notre pays dans des manifestations contre le changement constiitutionnel?
HADJA RABIATOU SERH DIALLO : Je vous remercie de m’avoir donné l’opportunité de présenter mes condoléances à tous ceux qui sont décédés et prier pour le repos de leur âme. Que leur âme repose en paix. Mais j’ai le cœur serré, je suis déprimée. Je ne sais même pas comment qualifier tout ce qui se passe dans le pays. Parce que j’en sais quelque chose, je viens de loin. C’est vrai que j’étais toute heureuse d’être au Conseil Economique et Social (CES) parce que cette institution est une maison de paix, de dialogue. Conformément à la Loi Organique N° 91/04 CTRN, nous donnons avis et recommandations et c’est pourquoi d’ailleurs nos sessions ne sont pas rendues publiques. Parce que quand tu conseilles quelqu’un, tu ne peux pas mettre ça sur la place publique. Il y a beaucoup qui me condamnent aujourd’hui qui disent elle ne parle pas, elle ne fait pas quelque chose. Mais ils oublient que je n’ai plus la même mission. La mission syndicale est différente de celle du Conseil Economique et Social. Ce n’est pas que je sois une personne vendue ou une personne qui ne peut pas réagir. Nous sommes 45 membres ici et nous devons nous conformer et respecter la loi qui nous régisse. Sinon même les concertations qui ont eu lieu à la primature, nous avons dit au premier ministre que nous nous conformons à la loi qui régisse c’est-à-dire donner avis et recommandations.
Déjà, avant tous ces événements nous avons réfléchi et nous avons fait un rapport qui a été publié sur les crises sociales récurrentes à tous les niveaux. Nous, nous parlons social ici donc même des politiciens qui veulent venir ici, quand ils viennent ils laissent leur manteau politique parce qu’on est apolitique. Donc je pense que ce qui est en train de se passer aujourd’hui dans mon pays c’est très dommage, c’est malheureux parce que je vois les mêmes acteurs qui étaient là pendant les moments difficiles qui doivent analyser aujourd’hui, qui doivent se dire qu’est-ce que j’ai fait hier pour mon pays ? Qu’est-ce que je dois faire aujourd’hui et demain pour faire avancer le pays ? Le guinéen n’a pas besoin simplement de parler politique, le guinéen a besoin aujourd’hui d’accéder à l’éducation. Regardez les résultats des examens de nos enfants. C’est pénible, c’est honteux, c’est un recul. (…) Qu’est-ce que nous sommes devenus ? Est-ce que nous qui donnons vie, chacune de nous pense de l’avenir de nos enfants ? Vous les jeunes, l’avenir de ce pays vous appartient. Il ne faut pas qu’on prépare un lourd fardeau à laisser entre les mains des jeunes. C’est pourquoi il faut que le guinéen accepte de se parler, c’est une maison commune, il s’agit de notre pays, de notre nation, il ne s’agit pas d’un système ou d’un homme. Non. Il s’agit de notre pays la Guinée. Et nous voulons de la paix, mais si on ne ne parle pas, on ne se regarde pas en face ça va nous servir à quoi ? On ne peut pas avancer.
Il y a des extrémistes à tous les niveaux, des allumeurs de feu qui ne pensent pas au bien-être de ce peuple, qui n’ont pas pitié de ce peuple. On se ment, au lieu de lutter contre la corruption et l’impunité pour que pareils cas ne se répètent pas en Guinée. Qui sait le rôle que la Guinée a joué par rapport aux autres pays ? Quand il y a eu la guerre en Sierra Léone, au Libéria, en Côte d’Ivoire, c’est la Guinée qui a reçu tous ces réfugiés, c’est la Guinée qui a aidé beaucoup de pays africains à accéder à l’indépendance. Et quand on voit le brassage dans notre pays qui est très profond entre Malinkés, Peuhls, Soussous et Forestiers, le brassage est très profond. Donc quiconque qui se réclame de cette Guinée, qui connait le parcours que nous avons eu jusque maintenant est peiné et se demande quoi dire. Moi je ne sais plus quoi dire. Je ne sais pas quels sont les mots qu’il faut avancer.
Même dans un foyer, si Madame et Monsieur ne s’écoutent pas, c’est un foyer qui n’a pas une longue vie. Quand on n’écoute pas les enfants à la maison, vous ne savez pas qu’est-ce qu’ils veulent, vous allez rater l’éducation de vos enfants. Et pourtant la Guinée a cette expérience à tous les niveaux. Ceux qui ont des prix Nobels ailleurs, quand je prends le cas de la Tunisie, c’est la Guinée qui a donné le ton, au Mali ou ailleurs, c’est la Guinée, on était en première ligne. Donc moi je pense qu’il faut que les gens se ressaisissent aujourd’hui, qu’on remette la balle à terre.
Ceux qui ont organisé ces événements-là aussi, chacun est libre de dire OUI ou de dire NON, c’est ça la démocratie. C’est un sentiment, même quand on est en couple la femme peut adhérer à quelque chose et l’homme aussi peut adhérer à autre chose, cela n’est pas interdit, c’est ça la démocratie. Cela ne signifie pas que nous devons mettre le feu dans notre maison, cela ne signifie pas aussi que ça doit amener la déperdition ou le divorce dans les foyers. Il faut qu’on se parle, c’est le dialogue qui peut résoudre toute crise. Même en temps de guerre on finit par être au tour de la table. La haine détruit le cœur, on est devenu haineux, on n’aime son prochain. Donc tout cela ça nous affaiblit, c’est devant la porte de chacun de nous, on est tous concerné.
Vous dites qu’il faut que les acteurs acceptent de se parler pour sortir de cette crise mais aujourd’hui on voit que les deux camps ont des positions figées, chacun campe sur sa position. Quel va être le rôle de votre institution pour renouer le fil du dialogue dans le contexte actuel ?
J’avoue qu’individuellement et collectivement on s’investit dans ce sens pour ramener les uns et les autres à être ensemble. On ne croise pas les bras parce que ça nous préoccupe à plus d’un titre. On tape à toutes les portes. Donc, on joue notre rôle. Que ce soit en Guinée ici ou sur la rêne internationale, nous demandons à tout un chacun, nous faisons appel aux chefs religieux, que chacun joue son rôle. Que la jeunesse ne soit pas instrumentalisée, qu’elle joue son rôle. 2006-2007 c’était ça. Nous avions fait de porte à porte à l’époque dans le mouvement syndical pour appeler les politiciens, la société civile, c’est ce qui nous a amené le 9 février 2009 à parler d’une même voix devant le groupe de contact international. Sinon quand le groupe de contact international venait ici il recevait les partis politiques, les femmes, les syndicalistes, la société civile séparément mais nous avons dit non, il s’agit de notre pays, on se concerte, on voit ce qui est bien pour le pays et on parle d’une même voix. C’est ce qui fut fait. On était uni mais aujourd’hui il y a cette division. Cette division ne paye pas, ça fait que chacun va de son côté. Donc qui perd ? C’est le peuple qui va payer le plus lourd fardeau.
C’est pourquoi il faut savoir aussi pardonner. Je pense par exemple ceux qui sont arrêtés-là, au lieu qu’il ne soient condamnés, c’est vrai que le gouvernement a donné une main tendue pour revenir à la table des négociations mais il faut il faut éviter les frustrations dans le cadre des négociations. Cela fait partie des techniques d’une bonne négociation. Donc les libérer pour apaiser les uns et les autres. C’est une des démarches à faire pour qu’on arrive à s’écouter. Mais quand certains sont morts, il y a des familles qui sont endeuillées, si nous n’allons pas vers eux pour qu’ils sachent qu’un guinéen de moins touche chacun de nous même si tu ne connais pas la personne. Donc qu’on partage la douleur avec ceux qui sont endeuillés et ça c’est de toutes les parties, tout un chacun peut le faire pour prouver que nous partageons leur douleur. Que tu sois de l’opposition, du gouvernement, de la mouvance, il faudrait le faire. C’est notre culture qui nous le demande. On a tendance à oublier même notre propre culture et à ce moment c’est à partir de ça qu’on peut trouver des solutions. Parce qu’on ne peut pas rester éternellement dans ça. Le peuple de Guinée n’a pas besoin de ça, on ne peut pas créer l’emploi dans ça, les investisseurs ne peuvent pas venir dans notre pays quand le pays est sous haute tension.
Donc chacun peut jouer son rôle. Les sages ne sont pas là pour rien, tout le monde ne cherche pas des postes de responsabilités ni d’être dans le gouvernement, tout le monde ne réclame pas de l’argent, c’est parce que tu es concerné. C’est parce c’est devant ta porte. Quand tu veux, tu peux le faire. J’en suis sûre et certaine que les guinéens peuvent le faire. Donc ce que je peux demander aux uns et aux autres, c’est de penser à ceux qui n’ont pas les moyens, ceux qui sont les sans voix. Tout le monde parle du peuple oui c’est vrai mais qu’est-ce qu’on fait pour ce peuple pour défendre ce même peuple ? Chacun peut laisser un peu de sa dignité dans son salon pour aller vers son prochain. Et quand tu as cette volonté je ne vois pas qu’est-ce qui peut retenir ?
On dit aujourd’hui qu’on a neuf (9) morts mais moi je pense qu’on a plus de neuf (9) morts. Vous savez pourquoi ? Il y en a qui sont tellement stressés, ils peuvent piquer une crise dans la maison en famille et en mourir. Ou bien des gens qui sont malades qui n’ont pas la possibilité de rejoindre l’hôpital, ils peuvent mourir parce qu’ils n’ont pas de secours. Est-ce qu’on a pensé à tout ça ? Certains peuvent mourir de faim ou de soif. Il y a les pêchés qui pèsent sur la Guinée, nous devons nous ressaisir et prier même Dieu. Parce que quelquefois je me dis que Dieu même est fâché contre les guinéens. Je ne sais pas, parce que ces crises sont en répétition. Ça ne sert à rien. Que ce soit le gouvernement, la mouvance, l’opposition que ce soit la société civile ou les syndicats, nous devons unir nos forces pour aller de l’avant pour développer notre pays. Parce que ces destructions, ces tueries-là ne feront que faire reculer la Guinée, nous allons être perpétuellement dans la pauvreté. Il faut qu’on évite cela. Et puis, quand tu critiques, il faut le faire objectivement. Parce que si on ne te dit pas tes défauts tu ne pourras pas t’améliorer.
Avez-vous un dernier message à lancer aux guinéens?
Mon dernier message, je voudrais que tout un chacun accepte le dialogue, de se regarder en face. Que chacun puisse prendre la responsabilité d’amener l’apaisement, de demander la paix qui n’a pas de prix. Il y va de notre intérêt pour construire notre pays. Mais je demande particulièrement au Président de la République qui est le père de la Nation, à qui Dieu a donné le pouvoir. Si Dieu te donne le pouvoir, c’est pour que tu veilles sur tout le monde. Ceux qui sont pour toi et ceux qui ne sont pas pour toi, c’est les membres de ta famille. C’est comme dans une famille, tu peux avoir des menteurs, des voleurs, des lâches mais c’est quand même des membres de ta famille, c’est à toi de trouver les voies et moyens pour amener la cohésion et amener les uns et les autres à être ensemble.
J’en appelle au chef de l’Etat, c’est à lui que Dieu a confié la destinée de ce pays, qu’il accepte de réunir tout son peuple, bon ou mauvais, celui qui l’aime ou celui qui ne l’aime pas, mais Dieu est là pour trancher mais en attendant c’est de dire moi je rassemble tout le monde. Acceptez de pardonner tout le monde, reprendre le dialogue à tous les niveaux. Que personne ne l’induise en erreur, que personne n’arrive à lui mentir. S’il a foi en Dieu moi je pense qu’il doit pouvoir pardonner. Et tous ceux qui aiment chef de l’Etat, tous ceux qui sont pour lui qui le soutiennent doivent pouvoir l’aider dans ce sens à rassembler son peuple, ils doivent pouvoir le soutenir.
Parce qu’il faut reconnaitre qu’il a eu des acquis irréfutables. Donc moi je pense que tout le monde doit s’inscrire dans ce sens. Mais non pas le détruire, détruire le peuple de Guinée, détruire la nation guinéenne. C’est ce que je peux lancer à tous les acteurs qu’ils soient de l’opposition, de la mouvance, de la société civile, femmes, jeunes, que tout le monde sache qu’on le fait pour notre pays. C’est cet appel que je lance à tout le peuple de Guinée et en particulier aux décideurs.
Interview réalisée par Diallo Boubacar &
Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 311 112
Créé le 23 octobre 2019 16:34Nous vous proposons aussi
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