Penser la transition en Guinée…

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La chute d’Alpha Condé semble redonner aux Guinéens un espoir quant à la construction d’une société démocratique et pacifique. Ce regain d’espoir s’observe dans les élans de solidarité à l’endroit du Colonel MamadI Doumbouya. C'est comme si le coup de force du 5 septembre a libéré une bouffée d’oxygène sur un peuple asphyxié par la précarité des conditions de vie et les pratiques autoritaires du pouvoir. La page Condé étant tournée, c’est désormais à l’architecture de la transition que travaillent les esprits.  


Bilan critique 

Seulement, le pays n’étant pas à sa première transition, on peut se demander sérieusement ce que cette nouvelle transition pourrait apporter de nouveau sur le plan tant politique qu’institutionnel. Il ne s'agit pas d’être pessimiste, mais d’adopter un optimisme mesuré pour la raison que la chute du régime Condé doit être interprétée avant tout comme un échec des transitions politiques (1984-1993 ; 2008-2010) qu’a connu le pays : le troisième mandat et les contradictions au sein du régime qui ont conduit à déposer Alpha Condé sont révélateurs d’une logique de violence et de criminalité politique que les transitions précédentes ont reconduit. En ce sens d’ailleurs, il faut aller au-delà de la personne d’Alpha, et lire le chaos politique et social guinéen comme la conséquence d’une trajectoire historique et politique marquée par une triple crise : une crise de la légitimité, c’est l’armée, et non la souveraineté du peuple, qui a toujours fondé le pouvoir politique ; une crise de la légalité, les pouvoirs publics se sont toujours affranchis des lois, le droit ayant cédé sous le poids de l’arbitraire des tenants du pouvoir ; et plus important, une crise éthique, l’arbitraire traverse les comportements tant individuel que collectif. Il est instructif, pour les débats à venir, de noter que certaines autorités morales et religieuses, les acteurs sociaux et politiques ont contribué, par leur manière de se rapporter au pouvoir, à accentuer cette triple crise en normalisant une culture de la domination. Il y a ainsi une réalité sociale et une histoire politique qui méritent d’être analysées et comprises si les Guinéens veulent que cette présente transition réalise les attentes légitimes en matière de paix, de juste, d’égalité et de liberté. Par où donc commencer ? Comment penser la transition vers un régime démocratique ?  

Qu’est-ce qu’une transition… DÉMOCRATIQUE ?  

Je fais remarquer tout d’abord que les Guinéens, depuis 1990, adhèrent aux principes formels de la démocratie, et veulent par conséquent organiser leur société sous la forme d’un État de droit. Or, non seulement la signification du régime démocratique n’est pas réductible à l’organisation d’élection démocratique, mais la démocratie, du moins dans son acception moderne, repose sur anthropologie et une morale qui conçoivent l’individu comme un être libre et égal aux autres. Nul besoin de rappeler ce que les démocraties libérales occidentales doivent à la conception moderne de l’homme et à la philosophie politique et morale des Lumières. L’Occident moderne est une révolution scientifique, anthropologique et intellectuelle, dont le mouvement de la Renaissance a donné le coup d’envoi.  

Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’Afrique et la Guinée en particulier doivent s’inspirer de la modernité occidentale. Mais choisir la démocratie et l’État de droit, c’est accepter de se regarder comme des égaux et des sujets libres, c’est consentir à des relations de réciprocité et non de subordination.  

Il est vrai que les luttes anti coloniales ont fait la démonstration que les Guinéens aspirent à la liberté et à l’égalité. Mais de Sékou Touré à Alpha Condé, en passant par Lansana Conté, le système politique guinéen s’est caractérisé par une instrumentalisation autoritaire du pouvoir politique. Et cette continuité de l’autoritarisme politique, contrairement à des pays comme la Chine, n’a pas été parallèle à un progrès économique.  Cet échec de l’autoritarisme en Guinée et la difficulté à implanter un régime démocratique tiennent à une conjonction de plusieurs facteurs endogènes : les solidarités communautaires, le manque de volonté politique, la politisation et l’ethnicisation de l’armée, le recyclage des acteurs sociaux et politiques, le triomphe des pratiques infra institutionnelles, l’absence de normes minimales collectives et contraignantes.   

Les maux de la société guinéenne, donc, ont des causes historiques et systémiques qui exigent que la transition soit pensée comme un processus impliquant deux phases, une phase courte et une phrase longue. La première phrase consiste à rebâtir la société guinéenne sur les bases morales, politiques et institutionnelles qui réorganisent les pouvoirs publics et contraignent les comportements individuels et collectifs. Pour ce faire, un gouvernement inclusif de refondation doit être mis en place pour créer les conditions favorables à la restauration durable de l’État de droit et au développement économique. Après un travail de 12 à 18 mois, il reviendra aux nouvelles autorités démocratiquement élues de continuer l’entreprise de refondation en accomplissant une véritable transition vers un régime démocratique.

C’est l’étape longue de la transition (dix ans au moins), qui sera mise en œuvre, en intégrant les acquis de la phase précédente, par un nouveau gouvernement, le gouvernement de la transition. C’est à ce dernier qu’il incombera la lourde et exigeante tâche de signer l’acte de naissance d’une société guinéenne démocratique en substituant à la culture de l’arbitraire une culture du droit, celle qui éduquera les individus au respect des lois publiques et rendra effectif un cadre juridico institutionnel capable d’arbitrer en toute neutralité les différends sociaux et politiques. 

Amadou Sadjo Barry

Professeur de philosophie

Cégep de St-Hyacinthe

Québec, Canada 

Créé le 27 septembre 2021 14:32

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