Papa Koly : « Je regrette d’avoir soutenu Alpha Condé… » (Interview exclusive)
CONAKRY- Allié du Président Alpha Condé jusqu’en 2015, El hadj Papa Koly Kourouma vient de révéler la cause de son « divorce » avec le locataire du Palais Sékoutoureya. Sans langue de bois, l’ancien Ministre de l’Energie s’est prêté à nos questions. De la crise dans la région de Boké aux prochaines manifestations de l’opposition, El hadj Papa Koly Kourouma, leader du parti « Générations pour la Réconciliation, l’Union et la Prospérité » s’est confié en exclusivité à notre rédaction…
AFRICAGUINEE.COM : Quelle lecture faites-vous des évènements violents que connaît la région de Boké depuis quelques jours ?
PAPA KOLY KOUROUMA : Ce qui se passe à Boké est le résultat de la mauvaise gestion de l’étude d’impact environnemental. On ne se lassera pas de le dire (…), nous insistons sur cet aspect. Si toutefois il y en avait eu, les résultats n’ont pas été pris en compte et les conclusions de cette étude n’ont pas été mises en œuvre (…), c’est ce qui fait qu’il y a toujours des problèmes dans la cité. L’objectif principal d’une étude environnementale et sociale pour une exploitation minière ou n’importe qu’elle exploitation consiste à répertorier l’ensemble des impacts négatifs que vont subir les populations riveraines et de trouver des solutions d’atténuations de ces impacts. Le second, c’est de repérer tout ce qu’il y a comme avantage pour ses populations et de trouver des règles et des moyens de multiplier ses bienfaits. Ceci est clôturé par une audience publique où l’on explique l’envergure du projet avec ses impacts positifs et négatifs, les dispositions prises pour atténuer les impacts négatifs (…), ainsi les populations adhèrent aux causses du projet. Mais malheureusement ces audiences n’ont jamais eu lieu malgré qu’on ait dit que des réunions ont été faites, mais j’ai dit que c’est contradictoire que les populations adhèrent à cette idée et qu’un mois après cette population se lève contre le projet, ce n’est pas possible.
Vous parlez de quel projet, parce qu’il y a plusieurs sociétés qui évoluent dans la région ?
Oui il y a plusieurs sociétés (…) mais je crois que la CBG (Compagnie des Bauxites de Guinée, Ndlr) est épargnée, GAC (Guinea Alumina Corporation, Ndlr) aussi, tout le monde parle de la SMB (Société Minière de Boké, Ndlr) qui crée des problèmes aujourd’hui. Mais le cas de ces remous aujourd’hui à Boké est la mauvaise gestion du premier cas. L’Etat est allé faire des propositions qu’il n’a pas respectées et c’est aussi le danger de la gouvernance actuelle qui préfère des solutions conjoncturelles que de prendre des solutions durables. On a proposé et on n’a pas réalisé et voilà ce qui arrive. Il n’appartient pas aux miniers de donner du courant à Boké, ce n’est pas possible, il n’appartient pas aussi à ces miniers de faire des routes pour Boké. Mais il appartient à l’Etat, à partir des impôts payés par ces sociétés de mettre tout en œuvre pour améliorer les conditions de vie des populations parce qu’on ne dira pas que la SMB ne paye pas les impôts, mais c’est l’Etat qui est défaillant.
Que proposeriez-vous à l’Etat pour ramener le calme dans cette région ?
La première des choses à proposer c’est la reprise des études d’impact environnemental et social (…), d’aller négocier avec les populations, de faire une véritable étude, de comprendre le comportement des individus avec lesquels on à affaire et de faire en sorte que cette exploitation minière soit profitable aux populations (…), c’est possible. Quand j’étais ministre de l’environnement, nous avions scellé un partenariat entre le ministère de l’Administration et celui des mines pour trouver des solutions. Vous savez toute exploitation minière engendre la dégradation de l’environnement que l’exploitant a l’obligation de réparer. C’est de l’argent que l’on y injecte, c’est plusieurs emplois qui rentrent en ligne de compte. Nous avons donc dit de faire en sorte que la réparation de l’environnement revienne aux collectivités locales. Généralement après les remblais c’est le reboisement et beaucoup d’autres activités qui sont évaluées à plusieurs millions de dollars. Il faut donner l’opportunité à ces collectivités d’être les bénéficiaires de cet argent (…), ceci est un gage de bonne cohabitation.
Quel est votre avis sur l’accord-cadre signé entre la Guinée et la Chine ?
Mon analyse s’articule autour de trois points (…). En premier lieu, je félicite le Gouvernement pour avoir signé cet accord qui est avantageux pour la Guinée si toutefois on se met au travail et on met en place des projets biens évalués, biens ficelés et bancables. C’est la condition première pour pouvoir décaisser un seul franc des chinois. La seconde chose, il ne faut pas applaudir trop tôt pour ces 20 milliards car rien n’est gagné. Ces accords-cadres n’ont aucune valeur juridique contraignante(…). Cela ne veut absolument rien dire, c'est juste une manifestation d’intention (…), donc il n’y a pas d’argent à décaisser tout de suite (…), il faut des projets fiables. Je vais vous parler des signatures avec Mubadala avec les 13 milliards, où sont-ils ? On a signé des accords avec le Maroc, on avait signé des accords avec la Turquie, on en a avec l’Inde et le Japon, où en sommes-nous avec tous ces accords? Donc c’est vous dire que ces accords ne veulent pas dire grand-chose. Voilà, l’information que je donne un peu. Aussi, j’ai un questionnement, je m’interroge (…) , en 2012 on aurait pu avoir plus de vingt-trois milliards , l’opportunité était là (…), quand le chef de l’Etat a fait son déplacement en Chine en 2011, il a demandé au gouvernement Chinois 23 milliards de dollars pour la réalisation des infrastructures de développement dans notre pays. A son retour une délégation de la Banque de Développement de Chine qui est la banque détentrice d’une manne importante et qui finance toutes les actions faites à l’extérieur par ce pays. Ils étaient venus selon eux pour apporter la bonne nouvelle, pour dire qu’ils ont accepté à 100 %, qu’ils sont prêts à le faire entre 2012 et 2013 mais en contrepartie ils veulent qu’on leur donne les blocs 1 et 2 de Simandou. Figurez-vous qu’une bonne oreille n’a pas été prêtée à cette requête. Donc on aurait pu avoir cela en 2012 (…), cela a été juste un manque de stratégie et de pro-activité. Des propositions ont été faites, j’ai partagé une étude de Ousmane Kaba dans ce cadre que j’ai bien appréciée, si ça avait marché on en serait pas là. Mais quelques années après, la partie de Rio-Tinto est revenue aux chinois avec Chinalco. Imaginez quand Chinalco prenait des actions avec Rio, c’est cette base qui a payé 14 milliards USD pour plus de 41% des actions. Qui a gagné ? C’est Rio Tinto! La Guinée n’a rien gagné de concret. Ce sont des choses qui nous amènent à nous poser des questions (…), mais à la réponse on se dit mieux vaut tard que jamais.
Je résume en disant qu’un pays doit avoir trois choses. La force d’action et de réaction est fonction de la gouvernance et des hommes qui sont là. Comme je vous dis la force de l’action et de réaction est inversement proportionnelle à l’âge du chef parce que le poisson pourri par la tête. Quand l’âge augmente, la force de l’action diminue (…), le président aurait été un très bon président dans les années 90 ; mais aujourd’hui il n’en est pas car il n’a plus la force nécessaire d’action et de réaction. C’est ce qui fait qu’on a un pilotage à vue (…).
Au lendemain de la signature de cet accord, l’opposition dont vous êtes membre a décidé de battre le pavé à partir du 20 septembre. Quelles sont vos motivations ?
Cela n’a absolument rien à voir avec la signature des accords. La preuve, lors de la plénière qui a décidé de la reprise des marches, nous n’avons pas évoqué ce cas (…), nous n’avions aucune information sur la signature puisqu’on ne savait même pas la nature de ces accords.
Mais ce n’est pas la première fois que l’opposition décide de battre le pavé. Jusqu’où elle est prête à aller cette fois-ci ?
Il ne s’agit pas de dire comment ça va se passer. Nous voulons que les lignes bougent et faire comprendre au Gouvernement qu’on ne peut pas continuer à jouer au dupe et au dupé qui tournent en rond. Je crois que depuis longtemps l’opposition et le gouvernement fonctionnent comme cela. L’opposition a décidé de sortir de ce cadre et de taper sur la table pour dire qu’on en a marre et qu’on doit avancer. Pour exprimer au Gouvernement il faut faire parler le langage de la rue (…), nous allons faire usage de ce langage et j’espère que les lignes vont bouger. Qu’on nous dise que le chronogramme proposé par la CENI c’est un programme de quatre mois et il va se réaliser, ça c’est leur problème. Mais ce calendrier dont la projection est faite pour 120 jours doit nous être présenté avec la copie de chronogramme. On peut compresser pour faire en sorte que les élections aient lieu avant fin Décembre 2017. Il y a une mauvaise volonté politique pour la tenue de ces élections mais nous de notre côté nous allons prendre des dispositions et nous allons proposer nous aussi un autre chronogramme. On nous parle d’un budget proposé à mains levées à 330 milliards GNF, qu’est-ce qui prouve que c’est ce budget qu’il faut. Cette somme n’est fondée sur rien.
Est-ce que l’opposition craint un couplage des élections en 2018 ?
Pour le moment on n’a rien à craindre, on veut des élections avant décembre 2017. Et elles vont se tenir avant cette date (…), croyez-moi il y aura des élections.
A part la rue vous avez quels autres moyens de pression ?
Après la rue, les choses vont bouger (…), on est prêt à y rester jusqu’à la satisfaction de nos revendications. Aujourd’hui, je voudrai qu’on nous présente ce chronogramme pour qu’on y travaille de notre côté. On démontrera que celui qu’on nous a présenté est compressible et on peut faire des élections avant fin 2017.
Elhadj Papa Koly, quand on parle de vous, on vous voit comme cet opposant qui est également conseiller du président de la république. Comment expliquez-vous cela ?
Un conseiller par définition est celui qui conseille et aide à la prise de décision de celui qu’on conseille. Celui qui ne le fait pas on l’appelle comment? (…). Donc je ne le fait pas et par ricochet je ne suis pas conseiller.
Qu’est-ce qui a servi de déclic, parce que vous étiez un des alliés du chef de l’Etat? `
On a fait une alliance où chacun a pris des engagements (…), quand vous vous rendez compte que les engagements que vous avez pris ont été respectés et de l’autre côté les engagements pris n’ont pas été respectés c’est une cause de rupture de contrat. Donc il n’y a plus de confiance et le second aspect, nous sommes en train de faire exactement ce que nous avons condamné. S'il y a quelqu’un qui a bien critiqué le régime de Lansana Conté, c’est bien Alpha Condé, mais il fait pire que celui de Lansana Conté. Ce n’est pas ce qu’on s’était dit (…), nous sommes venus pour le changement; Mais le changement prôné n’a pas réussi pour plusieurs raisons. Moi quand je suis arrivé au niveau de la présidence, c’est là que je me suis aperçu que tout ce qu’on a dit était du bluff. C’est ce qui a fait que j‘ai pris un recul.
Il y a forcément eu un fait, c’est-à-dire la goutte d’eau qui a fait déborder le vase…
J’étais très heureux d’aller à la présidence de la république parce que pour moi c’était une promotion. Quand on part de la gestion du sectoriel à l’élaboration de la stratégie et de la mise en œuvre de la politique du chef de l’Etat, croyez moi que c’est une promotion (…), j’étais très heureux, tous ceux qui étaient avec moi peuvent le témoigner. J’ai pensé pour une fois que je pouvais donner le maximum de moi-même puisqu’on était à un niveau de travail sensible. Le président me dit qu’il a souhaité qu’on vienne auprès lui en tant que conseiller spécial (…), c’est la plus haute fonction qu’un homme puisse assumer dans l’administration guinéenne.
Vous avez été ministre du sectoriel, ministre d’Etat et vous devenez conseiller spécial du chef de l’Etat avec rang de ministre, j’avoue que c’est une grande responsabilité. Mais j’ai constaté au bout de quelques temps que le président ne sait même pas ce que cela signifie (…), je me suis rendu compte qu’on est venu là-bas pour scruter le ciel, la mer ou le port autonome. Une fois-là, je pensais travailler et j’ai vu que j’étais plutôt dans un garage (…), moi je ne suis pas un homme de garage mais un homme d’action. Donc j’ai préféré m’occuper des actions de quitter le garage et attendre qu’on se rende compte que je ne suis pas un homme de garage (…), Voilà comment je suis parti.
Certains observateurs pensent aussi que le divorce est né des différends entre le chef de l’Etat et l’ancien chef de la Junte, Dadis Camara qui est un de vos proches. Qu'en dites-vous ?
Cela s’est passé bien après (…), j’ai pris ma décision de partir bien avant ça. Ce qui s’est passé c’est entre les deux, moi je ne suis pas au courant de cela. J’en parle en tant qu’homme politique. Ce qui s’est passé ; moi je suis venu pour assumer une fonction et il n’y avait pas de contenu à cette fonction, j’ai élaboré un contenu que j’ai présenté et qui n’a pas intéressé celui que je suis venu pour conseiller donc il n’y avait pas de travail.
Vous avez fait le choix de rejoindre l’opposition républicaine…
Non d’abord j’ai rejoint l’opposition dans un premier temps, ensuite l’opposition républicaine. Dans pareil cas ou vous soutenez le gouvernement ou vous êtes contre lui (…), il n’y a pas d’autres alternatives dans notre pays. Soit vous êtes de la mouvance présidentielle ou vous êtes de l’opposition. J’ai choisi d’être dans l’opposition parce que j’ai choisi de ne plus accompagner le président de la république dans la mesure où je ne me retrouvais plus dans ce qu’il faisait avant de rejoindre l’opposition républicaine qui est une plate-forme de revendications.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que votre parti n'a plus le même poids qu'en 2010?
Il y a beaucoup qui pensent que le parti n’a plus le poids, j’approuve mais le poids qu’on dit qu’on n’a pas est un poids virtuel. Si on se réfère aux élections de 2015 pour peser le poids du parti GRUP on se leurre. La consigne était systématiquement donnée à tous ceux qui étaient dans les bureaux de vote de retirer systématiquement les bulletins votés en notre faveur. A partir de là vous ne pouvez pas donner le poids du parti GRUP. Notre parti est, il demeure encore et il est grand. C’est ce qui nous a amené à penser à la sécurisation des voix dans les urnes, nous avons mis en place un système de vote informatique que nous sommes en train d’évaluer. Nous avons terminé avec l’étude des algorithmes et nous avons pu les traduire et l’on a mis en place le prototype qui marche bien.
Vous pensez pouvoir créer la surprise lors des prochaines échéances ?
Ce n’est pas une surprise, c’est clair et nette (…), nous avons l’un des partis les plus implanter du pays. Ce qui a joué en notre défaveur c’est de signer une alliance avec des gens qui étaient plus contre nous que l’opposition elle-même. Ils ne voulaient pas notre émergence mais par contre ils voulaient nous piétiner et faire en sorte qu’on soit à la queue et qu’ils nous remorquent à tout moment. Nous au parti GRUP on s’est affranchit de cet esprit (…), c’est pour cela ils ont mené une lutte contre nous. En conférence de presse, j’ai brandi nos bulletins de vote qui ont été déterrés sans parler de ceux brûlés.
Vous regrettez aujourd’hui d’avoir soutenu le professeur Alpha Condé en 2010 et 2013 ?
Entièrement (…), c’est un regret total. Mais ce n’est pas un regret qui m’affaiblit mais plutôt il m’a fait grandir. Quelqu’un disait qu’il y a des échecs qui deviennent des fiertés pour celui qui est battu (…) ceci est un regret qui m’amène à me dépasser et à aller plus loin.
Le parti "GRUP" envisage t-il de nouer des alliances avec d'autres formations politiques?
Cela n’est pas exclu, je suis déjà en alliance avec le FND qu’on appelle la coalition antisystème. Nous avions initié le FUDAG qui a attendu très longtemps l’arrivée d’un des présidents qui n’est pas encore là.
Monsieur Papa Koly Kourouma merci.
Je vous en prie.
Interview réalisée par SOUARE Mamadou Hassimiou
Pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 18 septembre 2017 16:37Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Interviews, Papa Koly