Nadine Barry victime du régime de Sékou Touré: « Les peulhs ont raison de dire ko hakkè… » (Interview)

Nadine Barry

CONAKRY-En marge de la commémoration des pendaisons du 25 janvier 1971 en Guinée, sous le régime de Sékou Touré, notre rédaction a rencontré une veuve de disparus. Dans cette interview, Nadine BARI parle de son combat, du transfert des restes de son feu mari, des réclamations de l’AVCB, et des  pendaisons de 1971, il y a 45 ans. Exclusif !!!


Africaguinee.com : Mme Barry bonjour

Bonjour Monsieur

L’association des victimes du camp Boiro (AVCB) commémore ce 25 janvier les pendaisons du janvier 1971. Parlez-nous-en ?

 Je précise que mon mari n’a pas été pendu. Pour moi, c’est un cas particulier. J’ai ramené ses restes parce que je savais où ils étaient. Je suis l’unique femme de disparus à savoir exactement où mon cher mari a été enterré. Jai ramené ses restes dans mon jardin.

Mais pour le 25 janvier nous commémorons à l’association des victimes du camp Boiro dont je suis adjointe du secrétaire général, Bah Abass qui est de Labé. Sur la liste (des pendus) je crois qu’il y a  87 ou 88,  des gens de conditions surtout modestes. Des gens totalement inconnus. A part les quatre de Conakry qui étaient des ministres ou des personnes très connues. Mais tous ceux de l’intérieur du pays, c’est des marins, des charbonniers, des chauffeurs, des sans emplois etc.

Y a-t-il une différence à votre avis?

Il n’ya pas de différence si vous êtes pendus. Vous êtes pendus, il y a rien d’autre, que vous soyez ministre ou puisatier. Ce que je vais dire ce sont des gens du peuple qu’on a pendu.

Nous voulons commémorer ce jour là parce que cette année nous avons  l’intention de faire deux nouveautés. L’une, pour la manifestation elle-même la marche sur le pont et puis au camp Boiro. La deuxième dont je ne peux pas indiquer la teneur pour l’instant au cours de la manifestation. Donc, on veut attirer l’attention. Parce que malgré tout,  ça s’est passé en le 25 janvier 1971.  Ça fait longtemps. Les guinéens ont tendance à oublier beaucoup. Le peuple est facilement amnésique.

 Mme Barry depuis 1985 vous menez un combat  pour  obtenir justice et la manifestation de la vérité.  Est-ce que vous avez obtenu gain de cause ?

Si nous avions obtenu gain de cause, on ne serait pas là à réclamer. Nous réclamons l’ouverture des charniers par exemple. On sait où se trouve la majorité des charniers dans le pays et il y en beaucoup. Dans certains charniers on connait qui est dans telle ou telle fausse commune. L’ancien ministre de l’intérieur Réné Gomez  qui était lui-même rescapé de Boiro, il a donné une douzaine de fausses communes dont nous connaissons les noms. Par contre il y en a d’autres que nous ne connaissons pas parce qu’ils se trouvent sur des terrains militaires, le plus souvent dont on n’a pas accès.

Je crois qu’au mois de mars, le président Alpha Condé avait fait un grand discours au palais du peuple. Il avait dit qu’il n’y aurait pas de réconciliation s’il n’y a pas restitution de corps aux familles. Nous n’avons pu retrouver le discours écrit de cette promesse là. Il l’a dit, la salle entière l’a entendu au palais du peuple.

Moi qui ai retrouvé où était enterré mon mari et qui ai pu transférer ses restes dans mon jardin ici à Kipé, je peux vous dire que ça pèse beaucoup sur le cœur de la famille de savoir et y a des femmes qui ne savent pas où est enterré le mari ou le père. Il y a des veuves de disparus qui m’ont dit Nadine on viendra prier sur la tombe de ton mari comme si c’était le nôtre parce que nous nous sommes jalouses de toi maintenant. Nous sommes envieuses, nous voudrions aussi prier sur une tombe. C’est grave, on n’a pas la culture de la mémoire ici.

Dans un discours du président Alpha Condé, il a dit qu’en Guinée, tout le monde a été victime et bourreau. Quelle lecture faites-vous d’une telle déclaration ?

C’est vrai et c’est faux ! Beaucoup de gens ont dénoncé, c’est en ce sens qu’ils ont aidé les autorités. Il y a eu beaucoup de dénonciations vraies ou fausses, de règlements de compte du temps de Sekou Touré. Mais dire que tout le monde a été bourreau, c’est un peu exagéré et tout le monde n’a pas été victimes non plus, il y a des familles qui n’ont pas de personne disparue au camp Boiro, au camp de Kindia, au camp de Kankan ou ailleurs. Donc, c’est un peu exagéré. Mais c’est vrai que dans certaines familles, vous trouvez les deux. ça complique un peu mais la réconciliation passe par la vérité, qu’on la dise, qu’on dise qui était qui ? Bourreau ou victime et  surtout qu’on fasse justice, qu’on le dise en justice,  si ces gens étaient vraiment des contrerévolutionnaires, des antipatriotes, des traitres à la patrie, il faut les juger, mais jamais ils n’ont été jugés. Vérité, justice et réconciliation. C’est d’abord vérité et justice avant d’aller à la réconciliation. Je pense qu’il faut être clair là-dessus et tous les pays  qui ont fait des conférences pour la réconciliation sont passés par les étapes vérité et justice et nous le réclamons aussi pour la Guinée.

Les différentes marches de l’AVCB se tiennent au pont 8 Novembre, est-ce que la modernisation du pont n’efface pas le souvenir odieux que vous gardez de cet endroit ?

C’est sûr ! On avait même demandé  aux autorités lorsque le pont a été transformé en échangeur de nous donner les rambardes du pont de l’ancien pont où on avait pendu les quatre de Conakry. Ces rambardes sont mises sur conteneur de l’entreprise qui a reconstruit le pont. On nous a promis de faire une remise officielle et jusqu’à maintenant on n’a pas récupéré ces barres. On a simplement obtenu un camion de pierres, de gravât qu’on a stocké dans une  des familles des pendus. Donc, dans l’idée qu’un jour on pourrait faire un monument sur ce pont pour rappeler ce qui s’est passé. Non seulement, les pendaisons mais aussi du temps de Lansana Conté. Les jeunes qui sont morts sur ce pont, on voulait mettre une plaque commémorative, mais tout ça, nous n’avons pas pu le faire. Peut-être qu’avec le deuxième mandat du président on pourra.

Parlant toujours des pendaisons de 1971 avez-vous été témoin ?

J’ai vu ceux de Conakry, je ne suis pas allé à l’intérieur du pays. Mais dans chaque préfecture, il y a eu deux ou quatre. A Coyah c’est quatre. Je pense que c’est 83 dans tout le pays, j’ai la liste mais pas les chiffres en tête, retenez que dans chaque préfecture et dans certaines sous-préfectures il y en eu. Et tenez-vous bien, il y a eu des gouverneurs à l’époque qu’on appelle des préfets ou des gouverneurs de région qui ont reçu des gens qui étaient morts en cours de route parce qu’ils avaient été maltraités et ils ont réclamé des vivants. On est allé dans la prison voisine chercher un citoyen Lambda  que personne ne connaissait et qui n’avait absolument pas de choses à se reprocher sur le plan politique qui a été pendu à la place du mort. Vous trouvez ça normal ?

On dit que les vivants qui ne voient pas les morts, mais les morts voient les vivants. Pensez-vous que Djibril Abdoulaye est satisfait du combat que vous avez mené jusque-là ?

Je pense qu’il peut l’être parce que ça fait 43 ans depuis qu’il est mort. Le combat, je le continue il n’y a pas que mon mari, y en eu d’autres. D’abord il y a les maris des françaises et d’étrangères, j’avais même crée une association du temps de Sekou Touré (des familles françaises des disparus politiques en Guinée). Je continue maintenant le combat au sein de l’AVCB parce que c’est un combat national et tant qu’on n’aura pas fait tourner la page de cette période là, il y aura toujours des problèmes. A mon avis les peulhs ont raison de dire ‘’Ko hakkè’’ (le péché) et ça pèse sur le pays ce hakkè . Tant qu’on n’aura pas vidé l’abcès, je pense qu’on aura de difficultés à décoller.

Mme Barry quelle est nature des relations que vous entretenez avec votre belle-famille de Mamou(Timbo) ?

Absolument, j’ai des bonnes relations avec ma belle famille. Ma belle-mère était là. Elle est décédée, il y a quelques années, mais enfin, j’ai des belles-sœurs, je continue à les voir, avoir des bonnes relations. Ils sont contents de mon combat je dois dire, ça honore aussi la famille de mon mari, et je ne savais qu’en épousant mon mari,  j’épousais non seulement sa famille, mais aussi toute la Guinée (rires)

Un mot pour conclure ?

Il faut toujours lire une page avant de la tourner. Dans l’histoire du pays, un certain nombre de choses se sont passées qu’il faut connaitre et les jeunes d’aujourd’hui doivent connaitre la mémoire de cette période là.  Parce que l’histoire a tendance à se répéter et il ne faut pas qu’on recommence pareilles exactions. Surtout comme on dit : il y a des bourreaux et des victimes, dans chaque famille,  il peut avoir des gens qui dénoncent en période de troubles, c’est dans ce sens qu’il faut éviter de tomber dans les mêmes.

Alors le 25 janvier prochain, il y aura la manifestation habituelle qui part du cinéma liberté, qui monte sur le pont des pendus qui est le pont 8 novembre et puis de-là nous à pied sur le trottoir au camp Boiro. Nous allons faire le sacrifice du bœuf, la lecture du saint coran. Chaque année on s’y rend, bien qu’aujourd’hui y a beaucoup de veuves qui ne peuvent pas marché, on a beaucoup plus d’enfants et des petits-enfants. L’année dernière il y avait un arrière petit-fils de disparus et un autre petit-fils qui avait la photo de son père qu’il transportait sur son cœur jusqu’au camp Boiro. Ils ont assisté à la lecture du saint coran, ils étaient très émus.

Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah

Tel (0024) 657 41 09 69

Créé le 25 janvier 2016 13:10

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