CONAKRY- "Alpha Condé est le promoteur de l'ethno-stratégie en Guinée"; le ton est ferme de la part d'Elie Kamano qui fustige l'attitude de la classe politique guinéenne. Au cours d'une visite dans nos locaux, cet artiste reggeaman a exprimé son point de vue sur la situation socio-politique en Guinée.Son prochain défi? Réconcilier ses compatriotes grâce à la musique.Sans langue de bois, le “Général“ Elie Kamano s’est confié à notre rédaction…Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Bonjour M. Kamano !
ELIE KAMANO :Oui bonjour Mademoiselle Bah !
AFRICAGUINEE.COM : Merci de vous présenter à nos lecteurs s’il vous plaît…
ELIE KAMANO : Je suis Elie Kamano artiste reggae man, auteur et compositeur guinéen.
AFRICAGUINEE.COM : Quel regard portez-vous sur la culture guinéenne?
ELIE KAMANO : Je crois qu’on ne peut pas parler aujourd’hui de la culture guinéenne sans parler de ce qu’elle a été, après la colonisation et l’indépendance, la manière dont elle est rentrée dans l’histoire de la culture africaine. Je crois qu’aujourd’hui le constat est très amer parce que tout simplement il ya eu rupture entre cette culture qui représentait les valeurs culturelles africaines, et celle que nous vivons aujourd’hui. Je veux parler notamment du Bembeya Jazz, des Ballets africains qui étaient considérés comme des ambassadeurs de la culture africaine. Donc c’est très dommage que ces icônes disparaissent sans laisser de trace. Quant on dit que l’histoire africaine s’est traduite de bouche à oreille, je crois qu’aujourd’hui nous sommes en train de perdre. Aujourd’hui, on ne peut pas parler de culture sans rendre hommage à ces grands messieurs. Malheureusement on n’a pas assez de moyens pour que leurs connaissances soient transmises à la nouvelle génération.
Aujourd’hui tu peux rencontrer n’importe qui dans le milieu culturel et qui se dit artiste, il ne connait même pas la déontologie de la musique. Rien n’est réglementé pour sortir un album, c’est pourquoi les gens font et disent du n’importe quoi dans la musique et mettent à la disposition du public. Du moment où le département chargé de la culture ne fournit pas assez d’effort, c’est vrai qu’il y a pas assez de fonds, on a constaté que les autres ministères sont beaucoup plus financés que celui de la culture, parce que le gouvernement se dit que la culture c’est juste des artistes et les interprètes et pourtant s’il y a un volet qui vend et fait la promotion d’un pays c’est la culture. Pourtant c’est cette politique qui avait fait de la Guinée un grand Carrefour. Mais en Guinée la culture passe au second plan.
AFRICAGUINEE.COM : Peut-on savoir qu’est ce qui vous a amené à chanter la politique ?
ELIE KAMANO : Je ne chante pas politique, je défends un peuple. Mais si dans ce combat on me taxe d’être politicien ou d’être artiste politicien, je pense que faire de la politique est différent de ce que je fais. Je ne peux pas parler d’un peuple sans parler de ses gouvernants. Donc quand je parle de la souffrance et la misère de ce peuple, je pense que cela a un rapport avec les dirigeants du peuple. Je critique et dénonce parce que la musique est un instrument pour dire la vérité. Si dire la vérité sur des situations politiques en Guinée me fait passer pour un politicien, il n’y a pas de problème, peut être que demain je serais appelé à être un politicien et prendre les destinées de ce pays.
AFRICAGUINEE.COM : Lors d’une de vos sorties médiatiques, vous avez qualifié le président Alpha Condé d’être le “promoteur de l’ethno-stratégie“. Quelles sont les raisons de ces accusations ?
ELIE KAMANO :Je le confirme ! Comment voulez-vous que quelqu’un qui se réclame être un rassembleur et le “ Mandela“ de la Guinée puisse agir de cette façon ? On a vu Mandela qui est sorti de sa prison, il a réussi à rassembler les victimes et les bourreaux en Afrique du sud. Aujourd’hui le monde entier est en train de lui rendre hommage. J’ai dis qu’il (le président Alpha Condé, Ndlr) est le promoteur de l’ethno stratégie parce qu’un président qui est arrivé dans des conditions que nous connaissons tous, et qui se compare à Mandela parce qu’il a aussi fait la prison, ne doit pas gouverner de cette façon. Quand il est arrivé au pouvoir, pour moi le premier geste à faire c’était de remettre le peuple ensemble, pour qu’il travail main dans la main avec les opposants. Qu’on brise cette barrière de méfiance et qu’on reparte sur de nouvelles bases, parce que la Guinée n’a jamais connu une déchirure à ce niveau. Aujourd’hui, nous vivons un fléau qui est dangereux.
AFRICAGUINEE.COM : Êtes-vous de ceux qui pensent qu’on peut parler de réconciliation sans passer par la justice ?
ELIE KAMANO : Je connais ce slogan qui dit qu’il faut faire la justice avant de parler de la réconciliation. On ne peut pas faire de justice sans la réconciliation. Quand Mandela avait prit le pouvoir, il avait demandé aux africains de se pardonner et il a fait son gouvernement au sein duquel, il y avait des blancs et des noirs. Ensuite, il a fait une commission qui avait été dirigée par Desmond Tutu pour faire la vérité sur les choses. Tant que le bourreau n’a pas reconnu qu’il est le bourreau, tant que la victime ne reconnait pas qu’elle est la victime, tant que le bourreau et la victime ne comprennent pas qu’ils peuvent se parler et même manger ensemble, franchement on ne peut pas parler de justice. Je crois que dans ce pays chaque guinéen est victime de quelque chose. C’est pourquoi j’ai chanté le morceau “pardonner“ au temps de Conté (Général Lansana Conté, ancien président de la république, Ndlr), car de justice en justice et de contradiction en contradiction, le pays ne va pas avancer. Pour moi, il est tant qu’on pose d’abord des bases solides sur les quelles ont pourrait rendre justice.
AFRICAGUINEE.COM : On aurait aussi appris que récemment vous avez eu à rencontrer un certain nombre de leaders politiques notamment Cellou Dalein Diallo. Peut-on savoir de quoi il a été question lors de ces différentes rencontres ?
ELIE KAMANO :On (Takana Zion, et lui, ndlr) a été longtemps considérés comme des artistes ennemis de par nos divergences philosophiques et idéologies. Aujourd’hui nous avons décidé de nous mettre ensemble, pour mettre l’intérêt supérieur de la Guinée afin de réconcilier la jeunesse. Nous nous battons pour la réunir en passant par les leaders politiques. Nous avons déjà rencontré Monsieur Sidya Touré, monsieur Cellou Dalein et aujourd’hui nous avons rendez avec Jean Marie Doré. Nous allons les rencontrer tous pour leur dire que la jeunesse dont nous sommes, les leaders ont besoin d’être unis et cela en passant par des concerts que nous allons organiser à travers toutes les villes de la Guinée et terminer par un concert au palais du peuple. Donc on a besoin de leur soutien moral et matériel.
AFRICAGUINEE.COM : Selon vous la participation de la classe politique est indispensable pour réconcilier les guinéens ?
ELIE KAMANO : Elle est indispensable parce que directement, il y a un impact sur les militants. Notre pari c’est de faire en sorte que le jour du concert que les acteurs politiques et le Président de la République soient là. Et je pense que nous pouvons le réussir, parce que nous le faisons pour que les militants à la base voient qu’au-delà des camps et des divergences, il n’y a pas d’animosité, que nous sommes guinéens. Cela va calmer les tensions, parce qu’aujourd’hui ce que les grandes personnalités n’ont pas réussit à faire, nous, nous allons le faire. Parce que ce sont eux qui ont divisé ce peuple et c’est par eux que nous allons passer pour rassembler les guinéens. Parce que le projet vise à consolider la paix dans le pays.
AFRICAGUINEE.COM : Donc selon vous la musique est un vecteur de la paix ?
ELIE KAMANO : La musique est un vecteur, mais elle peut être aussi un vecteur de violence. Ça dépend de la façon dont tu donne l’orientation de ta musique. Parce qu’il y a des gens dans la musique, ils incitent à la violence. Il y a des gens qui adhérent à des partis politiques, des artistes qui chantent pour soutenir un président. Pour moi, la musique est un instrument de vérité et non un instrument de propagande. La musique est un vecteur d’unité, puisse que grâce à la musique aujourd’hui vous allez voir que Takana et moi pouvons réunir autour de nous plus de 50 mille jeunes pour faire passer notre message.
AFRICAGUINEE.COM : On dit souvent que la musique guinéenne n’est pas bien écoutée surtout à l’étranger. Partagez-vous cet avis ?
ELIE KAMANO : Au cours d’une tournée dans 14 pays africains, j’ai compris que mes musiques étaient écoutées comme celle de mon frère Takana aussi. Lors de mes différents concerts le public a reprit en cœur toutes mes chansons. Ça veut dire que nous, on n’était pas conscients de ce que nos musiques faisaient en dehors de la Guinée. C’est vrai à un niveau aussi j’accuserais les promoteurs guinéens qui n’ont rien fait pour propulser la musique de notre pays surtout la musique urbaine. Et je crois qu’aucun promoteur aujourd’hui n’a grandit un artiste, comme d’autres le font au Sénégal, en Côte d’Ivoire et Burkina Faso. On n’a vu les Ismaël Isaac et les Alpha Blondy, moi je n’ai rien à les envier. Mais si on avait des gens qui pouvaient nous encadrer comme eux nous ne serions pas là. Ce n’est pas l’inspiration et le talent qui nous manquent, mais ce sont les personnes qui sont sensées nous aider qui nous tuent, qui se battent pour que nous ne percions pas, pour qu’ils soient les seuls riches et pour qu‘ils contrôlent les dessus de la musique. Et ça c’est très mauvais. La chance que nous avons en Guinée, c’est que nous artistes nous sommes capables de faire drainer plus de 10 mille personnes dans un concert. Et chez les autres aujourd’hui ça n’existe pas. C’est pour dire que les gens refusent de faire bénéficier des artistes ces atouts là et nous nous battons sur nos maigres moyens pour relever ces défis.
AFRICAGUINEE.COM : Quelle est votre particularité par rapport aux autres artistes guinéens ?
ELIE KAMANO : Je suis patriote et intègre. Je suis impartial dans ce que je fais. Je ne supporte qu’un seul parti, c’est le parti de la Guinée. J’aimerais que tous les artistes fassent autant.
AFRICAGUINEE.COM : Parlez-nous de vos perspectives, à quand le prochain album de Elie Kamano ?
ELIE KAMANO :Ça arrive, l’album s’intitule ‘’ MafiAfrique’’. Cet album va encore prouver ma maturité.
AFRICAGUINEE.COM : Votre mot de la fin ?
ELIE KAMANO : Je vous encourage dans tout ce que vous faites, parce que je lis souvent vos articles. Et s’il y a un site que je consulte souvent c’est Africaguinee.com! Ça me fait plaisir qu’aujourd’hui je sois dans vos locaux pour parler de tout ce que nous avons eu à dire, restez impartial et dénoncez le gouvernement ou l’opposition quant-il s’agit de dire la vérité.
AFRICAGUINEE.COM : Merci M. Kamano !
ELIE KAMANO : Merci à vous aussi !
Entretien réalisé par Bah Aissatou
Pour Africaguinee.com
Tél : (+224) 664 93 46 23
Créé le 16 décembre 2013 16:01