Moyenne Guinée: A la découverte de Kiri, village isolé en manque de tout…
KOUBIA- En Guinée, il existe encore des localités très enclavées où les habitants vivent comme au moyen-âge. La bourgade de Kiri est l'une d'entre elle. Ce village situé à 45km de Koubia-centre, relève de la commune urbaine du même nom.
Arriver dans le district de kiri relève d'un véritable parcours de combattants. Doublement enclavé, le village est surplombé par une montagne qui culmine à une hauteur très élevée. Il faut aussi traverser une grande rivière nommé Dimma qui a inspiré le célèbre chanteur pastoral Mik Paraya, qui a chanté le fleuve Gambie qui y prend sa source. Cette montagne et la rivière rendent l'accès difficile au village Kiria.
Le calvaire des habitants surtout en saison pluvieuse est patent avec la crue du fleuve Dimma. Kiri manque de tous les besoins sociaux de base : pas de puits ordinaires, pas de forage, l’eau de source à laquelle les habitants font recours se situe très loin du village. Le seul poste de santé qui existe est éloigné également du village. Il n'est pas apte à accueillir tous les patients. Une école de trois classes est construite avec un seul maitre. L'instituteur s'organise pour dispenser des cours en groupes pédagogiques. Tenez-vous bien, il faut attendre 6 ans pour inscrire en 1ere Année. Mais à écouter les habitants de Kiri, leur préoccupation majeure aujourd'hui reste la construction du Pont. Reportage.
Mamadou Moussa Ly, décrit une période difficile que son village traverse en saison pluvieuse. Avec les noyades qui se multiplient chaque saison, les habitants ont pris l’initiative de construire un pont en bois en 2015. Malgré tout, le calvaire reste entier. Et pour cause : aucun véhicule ne peut traverser le pont.
"Notre village Kiri bien que très éloigné de Koubia centre relève de la commune urbaine. Nous sommes doublement isolés. D’un côté il y a une montagne et de l’autre il y a cette grande rivière. Toute la saison pluvieuse nous sommes coupés du reste de Koubia parce que nous avons peur que les gens continuent à se noyer ici. Maintenant c’est à l’approche des grandes pluies que nous allons au marché hebdomadaire de Songhessa (localité relevant de Pilimini à 3km de Kiri NDLR) pour nous approvisionner pour 3 ou 4 mois après avoir vendu nos bêtes. Si on ne le fait pas, même si nos parents qui sont à l’étranger nous rapportent quelque chose, nous ne pouvons pas l’avoir avant la fin des pluies", explique-il.
Pour amoindrir la souffrance les habitants ont eu l'initiative de construire un pont en bois. "Un de nos parents a dit qu'il faut au moins un pont en bois pour faciliter la traversée au moins. Nous avons sillonné partout pour trouver cet endroit là où ce pont est installé. La partie moins large, c’est 55 mètres. Nous avons fait appel aux menuisiers pour couper des gros bois, des fers à béton pour faire ce que vous voyez ici, ce n’est pas solide mais c’est ici qu’on se débrouille. Nos ressortissants ont trouvé du ciment et du sable, pour mettre 3 piliers en béton pour tenir un peu le pont, avec ces piliers en béton, un petit véhicule peut passer mais pas à tout moment. Il faut un consensus avec tout le monde. Nous ne risquons presque pas pour faire monter un véhicule ici. Ce que nous souhaitons aujourd’hui, c’est la réalisation d’un rêve : celui d'avoir avoir un pont en béton Ici. C’est un rêve que nos parents n’ont pas vu se réaliser toute leur vie » explique M. Ly.
Des dizaines de morts par noyade
Agé de 95 ans, Thierno Mamadou Dian est le doyen du village de Kiri. Aujourd'hui malvoyant, il se souvient des noyades qui ont fait des morts par dizaines lors des traversées sur le fleuve Dimma, affluent du fleuve Gambie.
« J'ai de tristes souvenirs quand je pense aux âmes qui ont péri dans le Dimma. Il n’y avait pas de pont en bois ou celui en liane. Les vagues ont surpris beaucoup dans le fleuve alors qu’ils cherchaient à traverser. Les recherches des corps des disparus pouvaient durer pendant 2 à 3 jours. Certains corps étaient retrouvés d’autres jamais. Depuis les chefferies traditionnelles, les cantons jusqu’à ces dernières années, nous gardons des tristes souvenirs. Dans certains endroits nous avons enterré 18 personnes noyées près de la rivière, dans d’autres c’est une vingtaine de victimes qui sont enterrées au même endroit sans compter les corps qui n’ont pas été retrouvés. Dans le champ que nous venons de traverser, nous avons enterré là-bas 9 personnes, mortes suite à des noyades", se souvient le nonagénaire.
Thierno Mamadou Dian explique que c’est vers la fin de leur jeunesse qu'ils ont eu l’idée de faire un pont en liane afin de diminuer les noyades. Un travail hardi et plein d'ingéniosité puisque pour réaliser ce pont en liane, il fallait des gens qui savent vraiment nager.
"Même avec le pont en liane certains ont chuté et ont trouvé la mort dans les eaux. Il y avait au moins 5 endroits par lesquels les gens s’efforçaient à traverser, il n’y a pas un seul point où des personnes n’ont pas péri. Un jour nous avons dit qu'il fallait une solution… nous avons marché en bordure du fleuve jusqu’à trouver une partie moins large. Nous avons plongé des pierres dans l’eau pendant 6 jours pour pouvoir marcher et traverser sur les pierres en saison sèche. Avec un bon aménagement, pour la première fois un camion a traversé pour rentrer dans notre village. Après, tout a coulé pendant la saison des pluies qui a suivi. Le pont en bois qui est là aujourd’hui est récent, c’est un soulagement parce qu’il y a moins de noyade maintenant. Mais nous voulons plus » soupire le doyen du village de Kiri.
Ibrahima Sory Diallo, parent d’une victime de noyade dans le fleuve Dimma se souvient encore de cette triste journée. "C’était mon frère, vendeur de bétail, il revenait d’un marché hebdomadaire. Accompagné de deux garçons. C’était au coucher du soleil après une forte pluie. Il a foncé le premier, les enfants l’ont attendu. Arrivé au beau milieu, l’eau était plus forte que lui il s’est noyé. Ses compagnons sont allés se débrouiller sur des lianes pour traverser et venir nous informer. Toute la nuit nous sommes allés fouiller avec des torches sans le retrouver. C’est le lendemain que nous avons tapé les tambours pour alerter tous les villages voisins pour venir au secours. C’est dans l’après-midi que son corps a été retrouvé coincé sur des lianes. Nous l’avons enterré auprès de la rivière ici il y a plus de 10 ans maintenant. Ceux qui ont péri dans cette rivière, nous ignorons le nombre exact, chacun ne parlera que de ses proches noyés » explique ce septuagénaire.
L’éducation des enfants à travers l’école pose problème à Kiri
Après l’effondrement de l’unique salle de classe en banco qui servait d’école, Kiri a bénéficié d’une école de trois salles de classes pour un seul enseignant qui évolue avec deux groupes pédagogiques. C’est après que ces deux groupes arrivent en 6ème Année qu’on inscrive encore pour la première année. Soit une privation de 6 ans des enfants qui ont l’âge d’aller à l’école. Mme Fatoumata Sow, parente d’élèves n’est pas instruite mais le déroulement des cours ne lui convient pas dans son village :
« J’ai deux enfants à l’école ici, l’un fait la 3ème année et l’autre la 4ème Année. C’est un seul enseignant qui les entretient, mais avec la maladie du nouveau coronavirus, il est absent pour le moment. A cause du manque d’enseignant on n’inscrit pas les enfants à chaque rentrée des classes. Si le maitre inscrit cette année en 1ère A, il évolue avec la même classe jusqu’en 6ème A. même si un élève redouble il est obligé de continuer avec lui jusqu’à l’examen. Ceux qui sont admis continuent en ville ou ailleurs pour le collège, ceux qui échouent abandonnent ou reprennent ailleurs selon les moyens des parents. Après le maitre recommence en première année. Ce qui n’est pas fréquent. Cette année 2020, nous avons la 3ème et le 4ème A. il faut que ces classes arrivent en 6ème pour recommencer encore en classe de 1ère Année. Nous voulons des enseignants pour compléter le cycle scolaire » se plaint cette mère de famille.
Bah Mamadou Saliou, un autre parent d’élève indique que depuis la construction de cette école dans leur village, aucun groupe d’élèves n’a terminé un cycle. Il explique cette situation par le manque d’assiduité des maitres qui quittent parfois sans plus revenir.
« Depuis le régime de feu Général Lansana Conté jusque maintenant, aucun élève de notre village n’a atteint la 10ème à plus forte finir l’université. Tous les maitres qui se sont succédé ici peuvent aller avec un effectif jusqu’en 5ème A les enfants se dispersent, le maitre part on envoie, un autre maitre vient recommencer avec de nouveaux élèves en première année. D’ici à Koubia centre c’est 45 km, aucun enfant ne peut aller étudier là-bas et revenir. Les parents d’élèves aussi ne prennent aucune mesure pour pérenniser l’éducation des enfants, tu vois un enfant qui fréquente 2 mois seulement, son père ou sa mère lui donne du travail à la maison ou dans les champs. C'est la fin pour lui à l'école. Le maitre ne cherche pas de son côté à savoir pourquoi l’enfant ne vient pas. L’effectif peut bien commencer avec 40 ou près de 40 élèves mais après quelques mois de cours, il se trouve que c’est moins de 20 qui répondent à l’école, ça décourage l’enseignant. Si l’enseignant vient à l’école, il ne trouve pas 10 élèves, il dit aux élèves rester un peu et rentrer. Lui il disparait. C’est malheureux pour nous les parents d’élèves et nos enfants. J’ai envoyé deux de mes enfants à Labé pour étudier faute de sérieux ici » révèle cet autre parent d’élèves soucieux de l’avenir du village.
Des malades transportés dans des hamacs
Autres difficultés auxquelles sont confrontés les habitants de Kiri, c'est l'accès aux soins. Le calvaire pour les femmes enceintes pour les consultations prénatales et la vaccination des enfants de 0 à 9 mois est entier. La couche féminine en souffre à cause de l’enclavement du village. Trouvée en train de faire allaiter son bébé, Aïssatou Bah 37 ans, décrit l’enfer qu’elle traverse avec d’autres femmes du village pour les soins.
« Nous souffrons en tant que femmes pour nous-mêmes et nous souffrons pour nos enfants s’agissant des soins. Si nos bébés tombent malades, c’est pénible avant d’arriver au poste de santé. Nous avons un infirmier dans le village, mais il manque de médicaments souvent au poste. Il arrive des moments où on transporte des malades sur des hamacs vers l’hôpital, puisque pour déplacer une moto il faut avoir de l’argent. Même pour les campagnes de vaccination des enfants il arrive des fois où on saute carrément notre village à cause des difficultés d’accès. Mais pour les vaccinations des nouveau-nés le chef de poste sillonne de temps en temps le village pour voir les carnets. A défaut, il faut absolument aller à Koubia centre », explique cette jeune maman.
Le poste de santé existant est très éloigné du village. Un seul agent y est muté. Docteur Tolno Joseph Kolako, chef de poste de Kiri est le seul à avoir le courage de rester dans ce village.
« Ce qui nous fatigue beaucoup plus ici, c'est l’accès. Le poste de santé est très éloigné du village. Et si un patient vient ici, je ne suis pas en mesure de le traiter il faut une référence. Et dans tout Koubia il y a qu’une seule ambulance qui se trouve à Koubia centre à 47km d’ici. Si l’évacuation du patient coïncide au déplacement de l’unique ambulance pour un autre village c’est un problème. Pour les cas d’accouchements nous sommes obligés de conduire certaines femmes à Moto vers l’hôpital préfectoral. En période hivernale, l’unique pont de fortune qui sert de franchissement est souvent submergé par les eaux, nous devons attendre que les eaux baissent pour pouvoir franchir. Quel que soit la situation, c’est par ce pont en bois que nous passons alors que pendant ce temps, le patient ou la patiente continue à se tordre de douleur.
Quant à la vaccination des enfants je suis obligé aussi d’aller de village en village, de famille en famille pour les vacciner. Donc, les difficultés sont énormes, je suis le seul agent, parfois j’utilise ma femme comme stagiaire, elle a fait la santé aussi. C’est des patients souvent épuisés qui arrivent à l’hôpital faute de moyens. Le poste de santé aussi est un bâtiment prêté par un ressortissant, comme vous le voyez il est très loin du village, le bâtiment n’est ni pour l’Etat encore moins pour la communauté. Le bâtiment sert à la fois de poste de santé que d’habitation pour moi et ma famille. Mais le problème clé c’est l’isolement du village enclavé à travers le fleuve Dimma », explique cet agent de santé.
Les habitants du village de Kiri ont aussi des difficultés d’accès à l’eau potable. Pour se procurer de l'eau, il leur faut marcher une longue distance. Selon certains d'entre eux, le fait d’être rattaché à Koubia centre qui est très loin, les empêche de bénéficier des aides de développement. Leur souci aujourd’hui c’est comment se rattacher à Pilimini où ils espèrent avoir l’attention des autorités. Mais ce souhait reste calé dans les tiroirs car il n’a pas été exprimé officiellement pour le moment.
Un reportage réalisé par Alpha Ousmane Bah(AOB)
De retour du village de Kiri
Pour Africaguinee.com
Tel: (+224) 664 93 45 45
Créé le 5 août 2020 10:51Nous vous proposons aussi
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