Moussa Solano sort de sa réserve : « Si Alpha Condé pense qu’avec les gens-là… »

Moussa Solano

CONAKRY-Discret depuis un certain temps, Moussa Solano, ancien « apparatchik » du PUP (Parti de l’unité et du progrès) sort de sa réserve. L’ex ministre de l’administration du territoire, de la décentralisation et de la sécurité, au temps du Général Lansana Conté, livre son analyse sur la gouvernance actuelle par Alpha Condé. A propos, il observe des tâtonnements. Il plaide pour un dialogue politique et la libération des détenus politiques. Entretien exclusif !!!


 

AFRICAGUINEE.COM : Ça fait un peu longtemps on n’a pas de vos nouvelles. Que devient Moussa Solano ?

MOUSSA SOLANO : Je suis là. Actuellement, je m’occupe d’une plateforme qui se charge des questions de paix. Nous avons essayé d’analyser la situation actuelle qui est dominée par certaines crises. On s’est rendu compte que la paix est violée dans maints endroits. Alors, nous n’avons pas le droit de nous asseoir pour constater sans que nous ne puissions réfléchir et voir dans quelle mesure, nous pouvons apporter un remède si possible. C’est dans cette perspective que nous avons créé la Coalition des acteurs sociaux pour la paix et l’entente en Guinée (CONAPEG). La CONAPEG est une plateforme qui, à notre entendement doit couvrir le pays. Pour le moment, nous avons des antennes au niveau des préfectures et nous voulons persévérer au niveau des sous-préfectures, des districts, des quartiers qui doivent être la base d’animation des questions de paix. Parce que, c’est à ce niveau véritablement que les questions de paix sont menacées. C’est à ce niveau que tous les actes de violence sont constatés.

Alpha Condé a été réélu pour un 3ème mandat. Etes-vous rassurés par ses premiers pas ?

Ce n’est pas à ce niveau qu’il faut prendre de l’assurance à mon avis. Le président est élu pour un mandat de 6 ans, il n’est pas à la première année. Il a déjà une expérience de 10 ans. Donc, ce n’est pas le fait qu’il y ait tâtonnement qu’on va dire qu’on est rassuré ou pas. On veut savoir quel est le programme qu’il va mettre en place, qu’est-ce qu’il veut réellement faire pendant les 6 ans, avec qui il va le faire ? C’est ça qui va rassurer. Les tâtonnements ne me disent pas grands choses. Il doit finalement parvenir à la mise en place d’un gouvernement d’hommes compétents, intègres, soucieux de l’avenir de notre pays et capables d’apporter la réponse aux questions et interrogations du peuple. Voilà comment je perçois tout ça.

Aujourd’hui beaucoup de responsables politiques, des acteurs de la société civile sont emprisonnés. Etes-vous favorables à leur élargissement pour davantage décrisper la situation politique ?

Quand quelqu’un est en prison sans raison fondamentale, il est mieux de l’élargir toujours. La décrispation du climat sociopolitique, si ça doit passer par-là, c’est important et c’est nécessaire. Maintenant, ils sont dans les liens de la justice, pour moi nous devons toujours faire en sorte que la justice soit hautement responsable. Et c’est à des occasions de ce genre, qu’elle doit traduire le sens de sa responsabilité judiciaire ou juridique. Souvent, les uns disent oui mais, quand les magistrats prennent leurs responsabilités, on les révoque. Je dois dire qu’on ne continuera pas à révoquer tout le monde. Il faut affirmer la responsabilité, personne ne l’affirmera à votre place. Il faut avoir le sens de devoir, personne ne le possédera à votre place. L’amour de la république, il faut l’avoir, personne ne l’aura à votre place.

Tout ce que nous vivons aujourd’hui, c’est parce que les gens doivent avoir en eux ces responsabilités, avoir en eux de se poser la question de savoir qu’est-ce que j’apporte de bien et de grand pour mon pays. Et nous tous, nous devons être capables de redresser la situation, l’essentiel n’est pas seulement de s’asseoir, de regarder et de dire oui en fait ça ne marche pas, les magistrats sont corrompus. L’essentiel n’est pas aussi de dénoncer seulement, il faut mettre en place des pédagogies appropriées, porteuses qui peuvent faire en sorte que le type se sente coincé et qu’il se dise oui mais moi, il faut que je prenne désormais mes responsabilités, advienne que pourra. Ça doit être comme ça pour pouvoir combattre le mal. C’est ça le sens de l’honneur, le sens des hommes dont on a besoin dans ce pays pour pouvoir gouverner, pour pouvoir assumer un certain nombre de responsabilités au sein de nos institutions. Nous n’allons pas nous alarmer sur nos problèmes en longueur de journée pour dire oui c’est le 3ème mandat. C’est vrai, la façon dont ça s’est fait, on est tous témoin mais c’est aussi notre laxisme, il faut le dire parce que nous ne prenons pas les choses au sérieux comme cela doit se faire.

Il faut que nous-mêmes, nous prenions les choses au sérieux, nous sommes les fils de ce pays-là, personne ne viendra construire ce pays à notre place, c’est nous qui allons le faire. Et pour le faire, il faut que nous soyons convaincus que nous le faisons pour nous-mêmes et non pour autrui. Si quelqu’un croit que ce qu’il fait, c’est pour sa famille, c’est pour lui-même et non pour le pays, là on ne s’en sortira pas, on tournera en rond. La question ce n’est pas si on est rassuré mais plutôt est-ce qu’on s’en sortira ? Quels sont les hommes qui vont être là ? Si c’est les mêmes personnes qui sont reconduites dans le gouvernement et nous savons qu’ils sont incapables, est-ce que ça devient gouvernement crédible ? Parce que c’est lui (Alpha Condé, ndlr) qui recherche la crédibilité du gouvernement, pas nous. Nous, nous en cherchons parce que nous avons besoin du développement notre pays, est-ce qu’on va avoir ça en dormant ? Si on n’est pas responsables on n’aura pas ça. S’il reconduit les mêmes, le premier d’abord à rechercher la crédibilité, c’est lui parce que c’est lui le comptable de ce mandat. Le contrat entre le peuple et lui, c’est lui qui rendra compte, ce n’est pas vous ni moi, c’est lui qui va s’asseoir pour dire j’ai fait quelque chose ou je n’ai rien fait.

Qu’il le dise ou qu’il ne le dise pas, mais le constat sera sur le terrain. Vous savez, quand on a pris les commandes d’une nation il y a deux choses :  c’est la rentrée et la sortie. Mais il est plus facile de rentrer que de sortir. Parce que le combat pour rentrer est moins difficile que la façon dont on sort. Etre grand, c’est avoir rempli la mission pour laquelle on est là et au service du peuple. C’est lui qui recherche ça plus que vous et moi. Donc, lui il est conscient. S’il pense qu’avec les gens-là il peut faire quelque chose, on verra bien. Moi je pense qu’il a dit qu’il va gouverner autrement, les gens vont faire des déclarations des biens avant d’être nommé, est-ce qu’ils l’ont fait ?

Tantôt vous avez évoqué des tâtonnements dans le choix des hommes. Est-ce que le président Lansana Conté, que vous avez côtoyé s’est confronté face à une telle situation ?

Le président Lansana Conté ne choisissait pas au sein de son parti, le PUP. Lui, il choisissait des guinéens. Il n’a jamais regardé le parti (PUP, parti de l’unité et du progrès ndlr) jusqu’à sa mort. Moi j’étais membre du bureau politique national, mais nous étions seulement deux ministres au sein du gouvernement qui venaient du bureau politique national du PUP, c’était Alpha Ousmane et moi. Au départ, il y avait eu deux ministres qui venaient du PUP, Germain et feu Sékou Konaté sur les 15 membres du bureau politique national. Ensuite, il avait pris un gouverneur, Alpha Ousmane, et il m’a nommé secrétaire général du ministère de l’intérieur. Donc, au total il n’avait pris que 4 personnes au sein du PUP. Tout le reste c’était des guinéens. Pour Lansana Conté, ce n’est pas un problème politique mais un problème national et ce n’était pas un problème où le parti avait la part du lion.

Est-ce que c’est ce qui a fait que le PUP n’est pas resté plus fort qu’il ne l’était avant ?

Exactement, parce qu’on n’a pas misé sur les hommes du parti pour gouverner. Quand on est dans le système libéral ce sont ceux-là qui appartiennent au parti qui sont désignés pour pouvoir gérer la nation. Maintenant, il faut savoir quelle est leur densité intellectuelle, professionnelle, politique. C’est tout ça qu’on met dans la balance (…). C’est ça la politique, on ne peut pas prendre d’autres qui ne connaissent pas le parti. Parce que le parti a un projet de société, une éthique et une ligne politique. Si vous prenez des gens qui ne connaissent pas le parti, alors ils viennent fausser la ligne politique pour imposer des règles qui ne sont pas connues au sein du parti. C’est ça que nous avons vécu avec le Président Lansana Conté.

Quel est votre dernier message ?

Je voudrais d’abord vous remercier pour tout l’effort que vous faites pour relayer les informations et informer le peuple de Guinée. Progressez dans ce sens. Mon message, c’est qu’aujourd’hui, nous devons cultiver la paix. Nous devons faire en sorte que nous nous entendions mieux que par le passé. Parce que les problèmes qui se dressent devant nous sont des problèmes de développement de notre nation. Nous ne pouvons les aborder si nous ne nous parlons pas, si nous ne nous remettons pas en cause. Ce sont les discussions qui remettent en cause les uns et les autres, ce sont les débats à travers lesquels on rencontre son insuffisance réelle et on essaye de s’améliorer. S’il n’y a pas de débats, de discussions, d’échanges, si on ne se parle même pas, ça devient difficile pour la nation.

Nous devons faire en sorte que notre société puisse retrouver son homogénéité et que les questions identitaires s’arrêtent, qu’on tourne le dos à ces frustrations qui sont à l’origine de la montée de ces questions d’identitaires, qu’on arrête les haines qui sont en train d’affliger certains et qui les amènent à poser des actes qui sont inconcevables. Tout cela est un ensemble de faits que nous résumons dans notre lutte pour la paix. Il faut que nous fassions la paix. Le dialogue est devenu nécessaire, si nous ne faisons pas de dialogue, nous ne pouvons pas trouver des solutions à nos problèmes. Mais nous avons besoin d’un dialogue qui est au-dessus de certains dialogues.

Le dialogue politique est devenu nécessaire et imminent. Parce que la question des élections divise les guinéens et remonte les questions identitaires. Donc, il fait mettre en surface des barrières entre les guinéens, ce qui est une mauvaise chose. C’est pourquoi nous devons lutter et faire en sorte de nous dépêcher pour que nous puissions tenir notre dialogue. Et je crois que le chef de l’Etat a tendu la main, c’est vrai, nous voulons qu’il soit encouragé.  Il nous permettra d’avancer et d’avoir des solutions dont nous avons besoin.

 

Oumar Bady Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 1 février 2021 13:35

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