Moura : « Dès que l’appareil faisait bip devant quelqu’un, on le tuait… »

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Haut fait de l'armée malienne en reconquête ou massacre de civils sans précédent au nom du combat antidjihadiste ? Deux versions diamétralement opposées s'affrontent sur les évènements survenus fin mars à Moura, dans le centre du Mali.


Le 30 mars, à Moura à 17 kilomètres au nord-est de Kouakjourou dans le cercle de Djenné, l'armée malienne effectue un raid qui élimine 203 djihadistes et interpelle 51 personnes.  Mais que s'est-il vraiment passé ?

Deux versions de cet évènement s'opposent. L'une et l'autre ont pour toile de fond la reconfiguration en cours depuis que la junte au pouvoir s'est détournée de la France et de ses alliés européens, et tournée vers la Russie pour reprendre le terrain perdu aux djihadistes depuis 2012.

Victoire ou massacre ?

S’agit-il d'une des victoires les plus retentissantes de l'armée, qui a revendiqué l'élimination de 203 djihadistes en se contentant de rapporter des morts dans ses rangs sans plus de précision ? Ou selon les mots de l'ONG Human Rights Watch (HRW), du "pire épisode d'atrocités" commises contre des civils en dix ans ? L’ONG fait état dans un rapport de l'exécution sommaire de 300 civils par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, présumés russes.

Que dit l’armée malienne ?

L'armée a mené du 23 au 31 mars une opération de "grande envergure" dans cette localité de plusieurs milliers d'habitants dans le centre du Mali, indique l'état-major dans un communiqué diffusé le 1er avril alors que les remontées de Moura commençaient à proliférer.
Le centre est l'un des principaux foyers des violences sahéliennes et un terrain privilégié de groupes affiliés à Al-Qaïda.
En dehors de 203 "terroristes" tués, 51 autres ont été capturés, dit l’état-major malien. Les forces maliennes ont procédé "aux nettoyages systématiques de toute la zone". Après avoir pris le contrôle de Moura, elles ont procédé à un "tri" et identifié des "terroristes" dissimulés dans la population, a-t-il précisé le 5 avril dans la soirée, dans un nouveau communiqué.

Que disent les témoins sur place ?

Les soldats maliens et des étrangers blancs seraient arrivés le 27 mars, jour de marché aux bestiaux. HRW, citant des témoins, rapporte que des djihadistes se trouvaient dans la foule pour leurs propres affaires, dans une localité quasiment passée comme d'autres sous leur coupe, quand les soldats ont fait leur apparition.
L'analyse d'Ousmane Diallo, chercheur pour l'Afrique de l'Ouest au sein d'Amnesty International.

Un témoin direct a dit à l'AFP avoir vu surgir quatre hélicoptères avec "plus d’une centaine de militaires noirs et blancs". "Il y a eu rapidement des exécutions" décrit-il. Un combattant blanc passait en revue des hommes arrêtés et faisait sonner un appareil devant certains: "Dès que l’appareil faisait bip devant quelqu’un, on le tuait. Je n’ai jamais vu autant de morts. Il y en a eu plus de 350", raconte ce témoin. Les hommes exécutés étaient "presque tous des civils. Il n’y avait presque pas de djihadistes".
"Sur plusieurs jours, il y a eu des attaques, des tueries, des morts", a déclaré un aide-soignant d'un centre de santé local, "les civils sont les plus nombreux" à avoir été tués.
Selon HRW, après les affrontements initiaux du 27 mars, les soldats ont capturé des centaines d'hommes et les jours suivants, ils auraient exécuté par balles et par petits groupes des dizaines de captifs.

"La grande majorité" des hommes exécutés étaient Peuls, un groupe dans lequel les djihadistes ont largement recruté, dit HRW.

Y-avait-il des mercenaires Wagner ?

HRW parle de soldats maliens associés à des étrangers, présumés être russes parce qu'ils ne parlaient pas français et qu'il a beaucoup été question de l'arrivée de soldats russes ces derniers mois pour aider à combattre les djihadistes.
Un témoin parlant à l'AFP a accusé les soldats maliens et des membres du groupe de sécurité privé russe Wagner, aux agissements décriés, y compris dernièrement en Ukraine.
La France et les États-Unis se sont dits préoccupés devant les informations faisant état d'exactions commises par des soldats maliens et des membres de Wagner.

L'état-major malien, dans ses communiqués de vendredi 1er avril et ce mardi 5, ne mentionne aucune présence de soldat étranger. Mais il dit que l'opération a engagé cinq hélicoptères de transport et de combat de conception et fabrication soviétique et russe, sans préciser qui les pilotait. 
Les autorités ont toujours démenti le recours à Wagner et mettent en exergue le partenariat ancien avec l'armée russe, ravivé ces derniers mois à mesure que les ponts brûlaient entre la junte, la France et ses alliés.

Comment faire éclater la vérité ?

La mission de l'ONU au Mali (Minusma) a dit être "en concertation avec les autorités maliennes pour établir les faits". Human Rights Watch a réclamé que, pour la crédibilité des choses, la Minusma, avec l'Union africaine, soit associée à l'enquête que réclament l'ONG, la France, les États-Unis, mais aussi – fait notable – la Commission malienne des droits de l'Homme.
Face aux nouvelles mises en cause, l'état-major a parlé ce 5 avril "d'allégations infondées" visant à "ternir l'image" de l'armée. Il a répété que le respect des droits était "une priorité dans la conduite (des) opérations".
Les vérifications indépendantes sont très compliquées faute d'accès à une zone reculée et dangereuse. Les témoins ont peur de parler à découvert.

 

AFP

Créé le 6 avril 2022 08:17

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