Menace de grève générale en Guinée : Entretien avec le Ministre Porte-Parole du Gouvernement… (Exclusif)

Damantang Albert Camara, Ministre Porte-Parole du Gouvernement guinéen  Photo-Africaguinee.com

CONAKRY- Comment faire éviter à la Guinée une crise sociale aux conséquences multiples pour l’économie du pays ? Face aux revendications des syndicalistes, le Gouvernement guinéen tente de convaincre. Le Ministre Porte-Parole du Gouvernement guinéen vient d’expliquer la motivation de leur décision de maintenir le prix du carburant à la pompe à GNF 8.000. Dans cet entretien exclusif accordé à notre rédaction, le Ministre Damantang Albert Camara revient sur les contours des négociations déjà entamées entre le Gouvernement et les syndicalistes, sous l’œil du patronat. Exclusif !!!


AFRICAGUINEE.COM : Monsieur le Ministre bonjour !

DAMANTANG ALBERT CAMARA : Bonjour Monsieur Souaré !

Une crise sociale plane sur le pays avec la menace de grève de plusieurs centrales syndicales. Comment le Gouvernement compte-il faire pour éviter un bras de fer avec les syndicalistes ?

Il y a deux nouvelles, une bonne et une moins bonne.  La moins bonne c’est qu’ils maintiennent leur détermination à obtenir quelque chose de très difficile pour le Gouvernement et pour notre économie. Celle qui est plus rassurante, est qu’ils nous donnent encore du temps pour être d’accord avec eux. Nous nous sommes donnés une bonne semaine de négociation, puisque c’est le 15 février prochain qu’ils comptent déclencher leur mouvement de grève, en espérant bien sûr qu’on s’entende avant cette échéance. Nous sommes parfaitement conscients de la pression qui est exercée sur eux. De la même manière que nous sommes conscients que notre économie ne peut pas se permettre un certain nombre de dérapages et encore moins une crise sociale.

Quels sont les points sur lesquels le Gouvernement pourrait faire des concessions ?

Est-ce que c’est la bonne manière de présenter la chose…  Sur tous ces points-là il ne s’agit pas de fléchir, mais de tout simplement prendre en compte les aspirations de la population. Et c’est le rôle naturel d’un Gouvernement que d’améliorer les conditions de vie des citoyens. La question qu’on se poserait c’est de savoir est-ce que c’est le moment, et quel délai on peut avoir avant de prendre en compte ces demandes là. Notre souci aujourd’hui (..), nos doléances vis-à-vis des syndicats c’est de leurs dire soyons ensemble encore, le temps d’en finir avec ce programme, le temps d’avoir de nouvelles ressources qui nous viennent de l’extérieur puisque notre économie à elle seule ne peut pas supporter toutes nos charges, le temps d’être définitivement sorti d’Ebola. Donc c’est une question de temps. La question se pose en terme de délais, pas en terme de principe, le principe de tenir compte de la baisse du prix de carburant à l’international, pour le baisser également chez nous. Maintenant est-ce que notre économie peut se le permettre ? Jusqu’à présent la réponse reste négative, et comment on fait pour concilier nos positions c’est cela la question. Sur toutes les autres questions on n’a pas de problèmes majeurs. Je crois que le syndicat lui-même l’a perçu. Nous n’avons pas de problème à revaloriser les pensions de retraite, notamment à ceux qui n’ont même pas de salaire minimum (SMIG). Nous n’avons pas de problème pour remettre à jour les conventions collectives, d’en adopter d’autres dans les secteurs concernés, nous n’avons pas de problème pour donner une subvention aux syndicalistes, en tout cas honorer ce qui est déjà fait actuellement. Ces points-là ne sont pas des points de litige en tant que tel, le véritable point d’achoppement comme on le dit, c’est la baisse du prix du carburant.

La fluctuation du prix du carburant à la pompe était l’un des engagements pris il y a deux ans par le Gouvernement. Doit-on parler de changement des règles du jeu ?

C’est vrai qu’avec le FMI, on avait pris l’engagement de nous mettre d’accord sur un système de flexibilité automatique avec la variation du prix du carburant. On l’ a couché sur papier, il y a environ deux ans, mais le principe était évident depuis très longtemps, si on avait vraiment appliqué le principe de flexibilité, le Gouvernement guinéen n’aurait pas eu à injecter 2100 milliards GNF pour subventionner le prix du carburant. Et c’est la population qui aurait eu à supporter cet écart qu’a eu à supporter le Gouvernement. Malgré ce principe de flexibilité, lors des dernières négociations avec le FMI, alors qu’effectivement comme vous le dites, et comme le prévoit cette flexibilité, le carburant aurait dû être moins cher à la pompe. Mais le FMI a demandé à la Guinée d’augmenter le prix du litre à 10. 000 GNF. C’est tout simplement parce qu’au delà de la volonté du gouvernement de respecter ses engagements, mais surtout  de soulager les populations, il y a la réalité économique qui s’impose à tous. Tout le monde connait la notion de force majeure.  Aujourd’hui c’est exactement à cela que la Guinée fait face. On peut avoir les plus beaux accords du monde, il arrive des moments où certains d’entre eux sont difficiles à mettre en œuvre tout simplement parce que la situation ne le permet pas. Vouloir se priver des recettes précieuses que nous fournit la petite plus value que nous avons actuellement sur le carburant serait suicidaire pour notre économie.

Le Chef de file de l’opposition guinéenne, Cellou Dalein Diallo, accuse le Gouvernement de vouloir faire payer aux populations le prix de sa « mauvaise gouvernance ». Qu’en dites-vous ?

C’est le rôle de Monsieur Cellou Dalein de critiquer le Gouvernement. Après c’est le rôle également des économistes et des observateurs de prendre les choses avec discernement et avec du recul. Le FMI a très bien compris que les dépenses que nous avions engagées l’an dernier pour soutenir notre économie, puisqu’il n’y avait plus aucune activité, était absolument nécessaire. C’est bien la raison pour laquelle le FMI a descendu le seuil de notre endettement d’environ un peu moins de deux cent milliards à mille huit cent milliards. Exactement l’endettement qui était le nôtre. Cela veut dire que ces dépenses étaient vraiment nécessaires, parce que notre économie ne tournait plus du tout. Il n’y avait aucune activité, et si ces investissements n’avaient pas été faits pour alimenter un peu notre économie et rendre un peu nos activités dynamiques, la Guinée aurait été dans une situation plus catastrophique. Il ne s’agit pas de gabegie, il s’agit d’un soutien à notre économie qui a été salutaire, mais qu’il faut aujourd’hui assumer en évitant d’autres dérapages. C’est aussi simple que ça.

Certains observateurs estiment que l’utilisation des moyens de l’Etat lors de la campagne électorale en faveur du Président Alpha Condé lors du scrutin du 11 octobre dernier, a été dévastatrice pour l’économie guinéenne. Qu’en dites-vous ?

C’est vrai que chacun surfe sur un peu sur tout et n’importe quoi pour utiliser cette situation et la tourner à son avantage ou l’utiliser à des fins politiques. Je pense qu’à un moment donné, il faut laisser les politiciens faire leur travail, développer leurs arguments et se rendre compte de la réalité. Je crois que les données économiques sont claires. La campagne à été à un seul tour et n’a pas coûté plus qu’une campagne n’aurait dû coûter. Les mouvements de soutien qui ont accompagné le président de la République ont fait leur travail et je crois qu’aujourd’hui, chacun même est étonné du fait qu’elle ait coûté si peu d’argent en termes de communication. Alors si d’un point de vue image ou de communication les gens ont vu qu’il y a beaucoup d’argent qui a été dépensé, c’est peut-être parce que beaucoup de soutiens se sont manifestés. Ce n’est pas forcement ou nécessairement l’argent de l’Etat qui a été engagé dans la campagne. Il faut savoir faire la part des choses et être beaucoup plus rationnel dans son analyse. Si une simple campagne présidentielle peut nous mettre dans cet état là, c’est que nous avons une économie faible. Ce n’est pas le cas. Je le dis et le répète, des investissements ont été faits dans plusieurs domaines pour pouvoir soutenir notre économie, des investissements qui devaient venir n’ont pas été faits, notamment dans le secteur minier. L’aide public au développement, notamment, une somme d’environ 40 millions de dollars que devait nous donner la Banque Mondiale n’est pas parvenue. Aujourd’hui tout ce monde -à attend la validation de notre programme avec le FMI pour pouvoir intervenir en Guinée. C’est aussi simple que ça. Il n’y a pas à aller chercher ailleurs les raisons de nos difficultés. Ce qui est étonnant, c’est que personne, bien entendu mis à part le Gouvernement, ne se rappelle qu’il y a eu Ebola en Guinée pendant deux ans et que cela a complètement mis notre économie à mal. Et là les gens font semblant de ne pas s’en rendre compte.

Le Gouvernement vient d’annoncer l’augmentation de la TVA et de plusieurs autres taxes. Qu’est-ce qui motive cette autre décision de l’exécutif ?

De manière directe ou directe et toute proportion gardée, tous les guinéens subissent ces charges là. Il ne faut pas qu’on oublie que tous ceux qui ont eu la chance d’avoir échappé à Ebola, sont des privilégiés. Certains en sont morts et d’autres en supportent encore les séquelles. Des gens qui ont perdu leur travail et leur activité économique et se retrouvent sans rien. C’est vrai que ça sera difficile à supporter. Certains n’ont pas l’occasion d’affronter les difficultés que nous affrontons, parce que eux ils sont morts de cette maladie. Nous les survivants, sommes également des victimes et nous nous battons pour relever notre économie, notre système de santé. Par exemple, nous avons doublé le budget du ministère de la santé. Vous savez à un moment donné il faut savoir prendre ses responsabilités et faire le choix. On peut choisir aujourd’hui de prendre des mesures cosmétiques et populistes et se retrouver, dans trois ou quatre mois dans une situation catastrophique, ou alors on assume ce que nous sommes, c'est-à-dire une économie sinistrée à cause d’une épidémie qui a tué certains d’entre nous et qui a mis les autres dans des difficultés économiques et que nous devons supporter. C’est cela le débat.

Avant l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), le Gouvernement avait tenu quasiment le discours en demandant aux populations de serrer la ceinture. Jusqu’à quand ces populations devront-elles attendre de voir le bout du tunnel ?

Le temps que notre économie se relève. Pour qu’elle se relève il faut que les investisseurs reviennent. Pour que les investisseurs reviennent il faut que la Banque Mondiale et le FMI valident le programme que nous avons avec eux. Il faut que les autres soient rassurés. Il faut aussi que nous soyons totalement sortis de l’épidémie d’Ebola. Donc de la période de 90 jours qui courent jusqu’à fin mars. Voilà les préalables qu’on ne peut pas écarter. Quelque soit le Gouvernement en place, il ne peut pas échapper à ses préalables là. Si on n’intègre pas ça, on perd la vision qu’on a sur les objectifs qu’on doit s’assigner et effectivement on se perd dans des conjectures qui ne feront pas avancer le pays. Ça n’a pas été voulu, on n’a pas cherché à avoir Ebola, ça s’est imposé à nous, d’autres pays ont vécu des catastrophes naturelles, ils en sont sortis, parce qu’ils ont pris conscience et que la Nation entière a fait front.

A vous entendre on croirait que l’espoir pour un dénouement heureux de cette crise est très petit…

Tout dépend de ce qu’on appelle dénouement heureux. Est-ce que c’est de prendre une décision que nous allons payer très cher dans trois ou quatre mois ? On peut estimer dans les jours qui viennent, chacun se tapera la poitrine en disant que j’ai réussi à faire plier le Gouvernement. Le Gouvernement dira, j’ai réussi à désamorcer une crise pour se retrouver dans une situation pire que celle que nous vivons aujourd’hui. Nous avions mis en garde les syndicalistes il y a un an lors des négociations en leur disant que nous prenons des décisions qui risquent de nous rattraper demain. Cette ferveur, cette surenchère médiatique, ce populisme que certains entretiennent nous font perdre de vue l’essentiel. A quoi va servir la diminution du prix du carburant ? Posons-nous la question exactement. Qui va en bénéficier ? Nous avons procédé l’année dernière, sans que le syndicat nous le demande, à une première diminution de 10.000 à 9000 GNF, ensuite de 9000 à 8000GNF. Dans les deux cas, les syndicats des transporteurs ont refusé de répercuter le coût de cette baisse sur le transport. Cela veut dire qu’aucun citoyen guinéen, mis à part ceux qui on des véhicules, n’a bénéficié de la baisse du prix du carburant. Aucun franc en moins sur une banane, sur le riz, sur l’oignon, aucune des conditions de vie du guinéen n’a changé. Par contre, les syndicats des transports se sont enrichis sur le coût du transport puisque le coût qu’ils mettaient dans le carburant a lui diminué. L’Etat a perdu des ressources précieuses qui lui auraient permis d’éviter tout ce gouffre financier qu’il a accumulé, de faire des investissements, et peut être de créer de l’emploi et de combler un certain nombre de charges. Ne serait-ce que payer la dette intérieure ce qui aurait donné une bouffée d’oxygène à nos entreprises et nos PME locales et qui  auraient permis d’entretenir des emplois. Voila un peu le genre de décisions qu’on prend et qui, demain ne démontrent rien de concret.

Quel impact aurait une diminution du prix du carburant à la pompe sur l’économie guinéenne ?

Entre 2011 et 2015, l’Etat a subventionné 2700 milliards GNF pour le carburant. Les différentes plus-values qu’on a eues en fonction des baisses jusqu’à maintenant se sont élevées à environ 600 milliards. C’est-à-dire quand on fait le rapport entre ce que nous avons subventionné et ce qui est récolté, il y a 2100 milliards en subvention pour le Gouvernement. L’Etat c’est tout le monde, c’est vous c’est moi. Donc c’est au bénéfice pour le peuple de Guinée, c’est une manière de supporter le pouvoir d’achat du guinéen. Ce qu’on sait, si nous diminuons de 1000 GNF le prix du carburant à la pompe, nous perdons 763 milliards de GNF sur l’année, environ 65 milliards par mois. Est-ce que notre économie peut se le permettre ? Je ne crois pas qu’en ce moment cela soit raisonnable. Sans compter que la transposition de la grille salariale va coûter de l’argent, le relèvement des retraites va aussi coûter de l’argent, nous devons payer les Universités privées, nous avons des arriérées dans les ambassades. Nous sommes dans une économie vraiment tendue, où tout dérapage risque de nous coûter excessivement cher dans les mois qui viennent.

Une autre grève plane sur le pays, c’est celle des universités et Instituts d’enseignement supérieur privés. Comment comptez-vous gérer cette autre crise ?

Nous avons commencé à la gérer dès l’instant où le ministre de l’enseignement supérieur a rencontré les fondateurs des Universités privées qui se sont mis d’accord sur une sorte d’échelonnement de remboursement des arriérés. Une somme de 59 milliards a été payée sur les 134 milliards que nous leurs devons. Le reste sera payé progressivement. Nous faisons en sorte que eux et nous, nous nous associons pour mettre de l’ordre dans ce secteur qui souffre d’une opacité qui ne profite pas aux meilleures Universités privées, alors que d’autres qui n’ont pas forcement la qualité requise profitent de ce flou global dans le secteur de l’enseignement privé.

Avez-vous un message à l’endroit des syndicalistes, aux fondateurs d’Universités privées, mais aussi aux autres citoyens ?

Il faut qu’on ait conscience, qu’en plus d’une situation économique tendue, alors qu’on vient à peine de sortir d’Ebola. Si l’on ajoute à cela une crise économique, une crise sociale, on ne ferait que démultiplier les contraintes qui pèsent sur notre société et notre économie et on va forcement le payer tôt ou tard. La question ne se posera plus de savoir qui est responsable de cela, mais comment nous allons nous en sortir. Je crois qu’on aura perdu de précieuses années à construire notre Nation. Il ne sert à rien de consentir tous ces sacrifices pour essayer de vouloir rattraper à tout prix  tout ce qu’on a pu perdre qui était inéluctable en courant le danger de remettre notre économie à zéro.

Merci Monsieur le Ministre !

C’est moi qui vous remercie Monsieur Souaré !

 

Entretien réalisé par SOUARE Mamadou Hassimiou

Pour Africaguinee.com

Tél. : (+224) 655 31 11 11

Créé le 8 février 2016 23:20

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