Massacres du 28 septembre 2009 : les révélations « choc » de Bah Oury…
CONAKRY- Ce sont des révélations à vous couper le souffle ! Dix ans après la tragédie du 28 septembre dans un stade de Conakry, Bah Oury s’en souvient encore. Avec beaucoup d’émotion, Bah Oury qui avait présidé la commission d’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009 s’est confié à notre rédaction. Des révélations, des confidences, Bah Oury nous relate ce qu’il a vécu ce « lundi noir » du 28 septembre 2009. Exclusivité Africaguinee.com !!!
AFICAGUINEE.COM : Dans quelles circonstances la manifestation du 28 septembre avait été organisée au stade de Conakry ?
BAH OURY : Vous savez lorsqu’on évoque le 28 septembre 2009, on fait surtout référence à la tragédie qu’il y a eu. Des hommes et des femmes ont été violentés, il y a eu beaucoup de morts. C’est une véritable barbarie. Ce n’était pas digne de la société guinéenne et non plus des dirigeants de l’époque en l’occurrence le CNDD (conseil national pour la démocratie et le développement, Ndlr). Ils ont rendu de ce point de vue un très mauvais service à la Guinée, en donnant un spectacle qui n’est pas digne de la mentalité guinéenne.
Mais le 28 septembre 2009, c’est le 28 septembre 2009 qui a été l’action massive qui a déclenché la mise en route du processus démocratique tel que nous sommes en train de le vivre. Avec la nécessité de stopper une volonté de confiscation du pouvoir par la junte, nécessité de mettre en force des lois notamment la constitution de 2010 en faisant de tel sorte que les choses passées ne puissent pas se répéter pour assurer une véritable alternance démocratique et nécessité également de faire émerger une culture plus citoyenne. Sur certains aspects il y a eu des résultats, sur d’autres il y a des manquements graves. Le 28 septembre c’est aussi cela. Le 28 septembre dans l’aspect tragédie mérite d’être jugé comme la commission internationale des Nations-Unies l’avait qualifié de crime contre l’humanité. Il faut que le jugement se fasse. Ça en tant que le Président de la commission d’organisation de la manifestation, devant ces morts, devant toutes ces souffrances qui ont été accumulées pas ces victimes, j’en suis un élément qui prend cela en compte aujourd’hui et demain.
Mais comment ça s’est passé ? Dans les actions politiques très souvent il n’y pas une action planifiée au préalable. Ce sont les événements dans leur enchainement qui créent des liens logiques qui permettent d’aboutir à quelque chose de grandiose ou parfois de catastrophique. A partir du moment où cette fraction des compétiteurs pour le pouvoir politique au cours de la transition, au mois de juin 2009, dans le cadre de la commission mixte qui a été créée par le CNDD, onze du côté de ceux qui étaient pros CNDD, onze du côté des forces vives s’étaient retrouvés pour essayer de relancer le processus politique qui était bloqué du fait de la volonté du CNDD de confisquer le pouvoir, ce jour-là ils ont décidé d’aller vers les élections présidentielles alors qu’au paravent ce qui était prévu c’est d’aller vers les élections législatives. C’est au mois de juin 2009 cette commission mixte de par sa décision a rendu un très mauvais service au pays tout entier. Bien entendu il y avait certains qui étaient pressés d’aller vers les élections présidentielles, chacun croyant qu’il allait être le vainqueur. L’UFDG et le RPG à l’époque s’étaient démarqués de l’idée d’abord d’aller vers les élections présidentielles. En catimini la décision a été autre.
Le CNDD au pouvoir se disant alors maintenant que c’est la présidentielle qui était en jeu alors pourquoi pas le chef de file comme candidat ? Le processus de dérive et d’étouffement du processus démocratique a commencé à ce niveau-là. Juin 2009, ensuite les exactions ont commencé, certaines tournées de certains responsables politiques étaient bloquées par-ci et par-là puisqu’on allait vers les élections présidentielles et aussi l’idée de mettre en exergue l’appartenance ethnique des différents potentiels candidats susceptibles d’être des poids lourds de la scène politique a prospéré alors que l’organisation des élections législatives au préalable aurait pu éviter l’ethnicisation des présidentielles qui allaient s’en suivre après. Mais malheureusement cela n’a pas été le cas. A partir de ce moment, les choses se sont enclenchées. L’UFDG qui avait son candidat a été l’une des principales victimes de ce processus de blocage. Et le CNDD voulant convaincre l’opinion internationale a voulu organiser des manifestations à gauche à droite pour faire croire qu’ils ont le soutien populaire. Comme vous le savez, le Président Wade avait rendu visite au mois d’août 2009 au Président du CNDD et à son équipe. Je rappelle que des cars étaient venus remplir l’esplanade de manifestants pour faire croire à la popularité du CNDD. Le président Wade avait dit au palais du peuple qu’on va prendre ces images et les montrer au monde entier, aux autres chefs d’Etats pour les convaincre du soutien populaire dont dispose le CNDD par rapport à sa cause. Ceci nous a interpelés et au niveau des forces vives nous avons envisagé une riposte par rapport à cette campagne internationale qui allait être organisée en se disant nous aussi nous allons montrer que l’écrasante majorité de la population n’est pas en faveur du processus dans lequel le CNDD veut engager le pays. C’est comme ça que l’idée est venue.
Deuxièmement, il y a eu un autre aspect qui nous a convaincu encore davantage en tant que Président par intérim de l’UFDG. A l’absence du Président qui était à l’étranger j’avais décidé qu’à son retour puisque que son retour a été chahuté par les autorités en empêchant un avion de descendre à Conakry sous prétexte que le Président de l’UFDG ne devait pas venir ce jour-là, nous avons décidé à ce moment-là, contrairement à beaucoup de proches de l’actuel Président de l’UFDG, qu’on allait accueillir le Président de l’UFDG à son retour de Dakar et de manière spontanée. Ceci a été fait et de l’aéroport de Conakry jusqu’au siège nous avons dans un environnement bon enfant permis à des milliers de personnes spontanément d’accueillir le Président de l’UFDG. Et cela a donné un test de la capacité de sursaut que les guinéens peuvent avoir à un certain moment donné. Et ça, ça contribué à vaincre la peur, à donner des initiatives à d’autres mouvements qui se sont créés également. C’est comme ça que l’idée d’organiser la manifestation du 28 septembre est née. Je peux vous dire que l’essentiel de ce qui été conçu, ça été conçu à ce niveau avant de le faire porter par les forces vives.
Le jour-j, le lundi noir arrive, vous étiez au stade. Quels sont les souvenirs que vous gardez encore ?
D’abord, je peux dire qu’on n’avait jamais envisagé de rentrer à l’intérieur du stade. Mieux, on ne pouvait jamais penser qu’il pourrait y avoir un massacre ce jour-là. Ce sont les deux choses extrêmement importantes. Et en plus on avait, conforment à la loi, informé la mairie de Dixinn de l’organisation de cette manifestation dans sa juridiction territoriale en conformité avec les règlements. Donc, c’est sans crainte que nous sommes allés. Il y a eu des heurts, chez le doyen Jean Marie Doré qui était le lieu de rassemblement des responsables, il y a eu des tiraillements, certains voulaient faire marche arrière alors que la foule était en train de se masser. Et personnellement j’ai indiqué qu’on doit laisser le doyen Jean Marie Doré avec d’autres personnes le soin de rester et d’attendre l’arrivée de la délégation du clergé et des imams pour discuter avec eux. Parce que selon eux, dans la nuit il y a eu des émissaires ou des appels pour essayer de trouver d’autres négociations pour ne pas que la manifestation puisse se dérouler ce jour-là. Donc ce qui a été fait. Et le reste des responsables se sont dirigés vers le stade mais stoppés par l’équipe de Thiégoro pendant certains temps. Là aussi nous avions indiqué aux gens faites en sorte qu’on passe le maximum de temps au niveau de l’Université pour permettre aux gros des troupes qui déferlaient des banlieues d’arriver. Lorsque ces manifestants sont arrivés, à ce moment-là tout le monde en débandade s’est dirigé vers l’esplanade du 28 septembre.
Cela a peut-être facilité que sans un encadrement efficace, des gens ont ouvert les portails du stade et naturellement comme si l’objectif final c’était l’assaut du stade, les gens se sont engouffrés. Et moi également dans cette foulée des gens m’ont porté et en dépit de tout j’ai été emporté comme une vague qui vous emporte, qui vous entraine à l’intérieur. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés au niveau des gradins. Il y avait des personnes qui criaient sur la police comme si on avait conquit la Bastilles et que donc la victoire est acquise. C’est par la suite qu’il y a eu des détonations de grenades lacrymogènes. Ensuite, l’arrivée du commandant Toumba avec son équipe qui a coïncidé avec des tirs un peu partout. Toumba a escorté les autres responsables des forces vives pour les évacuer du stade. Et Cellou avait reçu un coup, il était à terre. Comme j’étais à côté, j’ai demandé à un de nos maintiens d’ordre de m’aider à le porter pour ne pas qu’on le laisse là-bas.
Mais ce qui m’a le plus sauvé à ce moment-là, c’est parce que les gens ne connaissaient pas le visage de Bah Oury. C’était un peu ce qui m’a plus ou moins permis de ne pas être le point de mire de certains sbires qui étaient armés. Parce que j’ai entendu en ce moment-là un d’entre eux dire tout ça c’est la faute à Bah Oury. Il y avait même un de nos maintiens d’ordre qui a vu un fusil qui était tombé, il a voulu le ramasser je lui ai dit instinctivement ne prend pas. Parce que s’il avait pris ce jour-là le fusil on risquait d’être canardé comme s’il y avait une résistance. Heureusement il ne l’a pas pris. Et c’est comme ça par la suite malgré les coups qui pleuvaient sur nous avec notre ami du maintien d’ordre, j’ai réussi à amener le Président de l’UFDG hors de l’enceinte. C’est en ce moment-là que le commandant Thiégboro est venu et comme il m’a reconnu il nous a pris dans sa Jeep. Entre temps il y avait des enfants qui étaient à côté qui étaient apeurés. Quand je pense à ça, je suis submergé par l’émotion et je ne sais pas ce que ces enfants-là sont devenus.
Au niveau de l’esplanade il y avait des femmes qui étaient en train d’être violentées. Le Commandant Thiégboro nous a pris dans Jeep. Entre temps un des gardes du corps de monsieur Sidya Touré est venu à notre rescousse pour nous aider à porter le président de l’UFDG dans le véhicule. Et c’est comme ça que Thiégboro nous a amené d’abord au niveau de la clinique Ambroise Paré. A ce moment-là, des personnes armées avec des colliers de grenades et autres ont indiqué qu’il n’est pas question qu’on nous soigne et qu’il faut immédiatement sortir sinon ils vont jeter des grenades à l’intérieur de la clinique. C’est comme ça que nous avons encore repris la Jeep du Commandant Thiégboro qui lui-même conduisait. Il n’avait aucune autorité devant ces personnes qui étaient armées de grenades et autres. Il nous a conduits d’abord vers l’état-major de la gendarmerie, ensuite au dispensaire du camp Samory. Voilà par la suite tard la nuit on nous a pris le Président de l’UFDG et moi pour nous conduire à la clinique Pasteur où nous avons retrouvé les autres responsables des forces vives qui étaient soignés.
10 ans après ces faits, les victimes attendent toujours justice. On a appris que cette année par exemple qu’il y un nombre important de victimes qui sont mortes. Quel appel auriez-vous à lancer notamment à l’endroit des autorités politiques pour la tenue du procès ?
Justement à ce niveau-là permettez-moi de rendre hommage au vice-président de l’association des victimes du 28 septembre 2009, monsieur Yéro Douldé Diallo qui est décédé il y a un mois de cela. Pendant toutes ces années, il s’est consacré à l’association pour faire avancer le dossier du jugement du 28 septembre mais hélas il ne sera pas là pour assister à son déroulement. Et je sais qu’il y a beaucoup qui sont fatigués qui ne seront pas là. C’est la raison pour laquelle les autorités devraient accélérer le processus pour que justice se fasse. Parce qu’au-delà du temps, les hommes souffrent, des femmes se sont surtout retrouvées presque seules abandonnées en contractant des maladies qu’elles ne peuvent pas soigner par elles-mêmes d’autres sont handicapées à vie avec des moyens limités. Tout ce monde aurait dû être assisté secouru pour ne pas vivre dans une déchéance totale. Mais comme vous le savez, il y a beaucoup d’injustice. Et le comportement de certains responsables restent tout à fait condamnable parce qu’il n’y a pas eu une réelle politique d’assistance dans la durée pour venir à ce secours. Donc il est bon que la justice se fasse mais aussi qu’elle se fasse bien.
Il n’est pas nécessaire qu’on bâcle le procès du 28 septembre, il faut que ce soit bien fait avec transparence et la rigueur parce que l’objectif ce n’est pas condamner d’autres personnes, l’objectif ce que la société qui a pu générer cette violence en elle-même puisse guérir et à être vacciner à ne plus répéter ces genres des choses. C’est cela l’objectif fondamental. L’Espagne a réussi à vaincre le franquisme et aux méthodes dictatoriales par des jugements. D’autres pays l’ont eu, l’Allemagne Nazie a été vaincue non pas seulement par les armes mais par le procès de Nuremberg qui a fait que dans la conscience citoyenne allemande le nazisme est considéré comme le mal absolu. Nous aussi nous devons parvenir à empêcher ce qui nous permette de savoir que l’exacerbation d’une violence de masse par les tenants du pouvoir doit être le mal absolu que personne ne doit tolérer ni accepter. C’est la seule manière de vaincre la culture de violence qui malheureusement est très présente dans nos mœurs politiques.
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
PourAfricaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 26 septembre 2019 12:29Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: 28 septembre, Bah Oury, Interviews, Massacre