Massacre du 28 septembre 2009, l’issue de secours : Idrissa Chérif, l’ex-conseiller de Dadis parle…
CONAKRY-En Guinée, le procès sur le massacre du 28 septembre 2009 se poursuit sur fond de révélations. Moussa Dadis Camara, président au moment des faits est à la barre. L’ancien chef de l’Etat qui nie en bloc les charges portées contre lui, a déjà battu le record de la plus longue audition. En plus des dépositions faites par des accusés à la barre, on assiste à une saga où d’anciens agents secrets et recrues de kaléah s’invitent dans la danse, chacun tentant de livrer sa part de vérité.
Dans ce contexte, votre quotidien en ligne Africaguinee.com a pu interroger l’ancien conseiller de Dadis Camara. Idrissa Chérif, ex proche collaborateur de l’ancien chef de l’Etat et ex ministre de la communication a répondu aux questions d’Africaguinee.com.
AFRICAGUINEE.COM : Parlez-nous de Moussa Dadis Camara, l’homme dont vous étiez conseiller sous le CNDD ?
IDRISSA CHÉRIF : Le président Moussa Dadis est quelqu’un qui est venu au Pouvoir avec de très bonnes intentions pour la Guinée. Il a pris une part active lors de la prise du pouvoir le 23 décembre 2008 par un groupe de militaires venus avec de belles idées d’aider le pays à retrouver le chemin de la démocratie et faire en sorte que nous rentrons dans une vie constitutionnelle avec des civils. L’objectif était d’organiser des élections en moins d’un an, laisser le pouvoir et se retourner dans les casernes. C’était l’action principale.
Mais ce qu’il faut retenir dans tout ça, il y avait nous les civils qui étions autour d’eux, l’instance dirigeante c’est le CNDD, le gouvernement était à côté pour aider administrativement et conduire la transition à bon port et assurer la continuité de l’Etat. C’était le rôle qu’on avait autour de l’instance dirigeante qu’est le CNDD.
Ce qu’il faut comprendre, c’est un groupe de militaires qui a pris le pouvoir. Entre militaires, s’ils veulent se faire de coups, c’est entre eux. Mais ils se sont laissés distraire par des gens qui étaient entre eux. Et ce n’était pas l’essentiel et ce n’était pas bon.
Ce que je peux dire, lors de la prise du pouvoir c’était vraiment bon, l’esprit était unique : c’était vraiment d’aboutir à un processus démocratique. Il fallait surtout régler ces défaillances au niveau de l’Etat et mettre tout le monde sur une voix consensuelle.
Dans le premier communiqué du CNDD, il y a eu la suspension de tous les partis politiques, cette suspension n’avait été levée que quand le président a commencé à appeler les opposants les invitant à Koloma et même au palais. En les invitant au bureau, en développant cette stratégie, cette familiarité a fait, qu’ils ont eu le goût de la prise du pouvoir. Chacun venait pour rire sur le dos de l’autre. Chacun voulait le pouvoir et faisait les yeux doux au président. Ceux qui se sont sentis mal à l’aise étaient obligés de passer par d’autres phases qu’on ne connait pas et qu’on est en train de découvrir maintenant. On commence à voir ce qui s’est passé comme tout le monde.
Vous dites que c’est un groupe de militaires qui a pris le pouvoir avec pour objectif d’organiser les élections libres et transparentes afin de remettre le pays sur la voix de la démocratie. Sauf que Dadis Camara avait exprimé l’intention d’ôter la tenue et de se porter candidat. Est-ce que cette volonté était vraiment réelle chez le président Dadis ?
C’est difficile lorsque vous êtes au pouvoir. Vous entendez beaucoup de choses. On est au tour d’un système à dimension graduelle. A l’époque, Moi, devant Sékouba Konaté, quand je parle ma parole n’a pas d’importance. Devant le premier ministre, ma parole n’a pas d’importance. Devant le président et le Général Sékouba, la parole du premier ministre n’a pas d’importance. Quand Dadis parle c’est ce que tout le monde va prendre, c’est pourquoi chacun avait sa position de façon graduée. Ce que je peux vous dire, nous n’avons jamais eu une réunion pour dire que Dadis nous a réunis pour dire qu’il veut être candidat et de préparer sa candidature. Mais je sais qu’autour du président, il y avait des hommes qui nourrissaient cette idée pour que le président se présente. Il y a des gens qui nourrissaient la mésentente des opposants.
Il y a des gens qui venaient pour dire au président, il ne faut pas laisser ces gens venir au pouvoir. Mais lui-même n’a jamais dit clairement qu’il manifeste le désir devant tout le monde en disant : ‘’ Je vais me présenter’’. Mais ça fait partie des discours de certaines personnes-mêmes de manière officielle. Quand vous prenez le discours de Tibou, quand on lui a posé la question : ‘’Est-ce que le président Dadis est prêt à être candidat’’, il n’a pas répondu. Et quand moi, j’ai été interrogé par un journal de la place, j’avais dit que Dadis ne sera pas un Robert GUEI de la Côte d’Ivoire. Donc jamais on nous a réunis pour dire que voici, c’est pour la candidature de Dadis. Mais dans les discours de général Konaté et autres ça montrait que Dadis va se présenter. Lui-même ne l’a pas dit, mais à Kaloum, lorsqu’il était à Boulbinet, moi j’étais à Abidjan il a posé des questions en disant : ‘’si vous m’acculez, je vais me présenter parce que je ne suis pas né militaire’’. C’était des menaces mais jamais on ne s’était réunis pour dire que Dadis sera candidat, ça n’a jamais fait l’objet d’un communiqué.
En votre qualité de conseiller du président Dadis, lorsqu’il a fait cette déclaration à Boulbinet, qu’est-ce que vous avez fait ?
Dans sa déclaration, il a posé des conditions en disant, ‘’ Si, si, si. Je suis ciotyen comme vous’’. Ce qui me dit qu’il a appris quelque chose. Dans tous les cas, dans d’autres pays comme la Mauritanie ça s’est passé comme ça. Donc c’était une situation sur laquelle on était allé sur des bases qui était d’organiser des élections. Les civils étaient là pour appuyer les militaires dans ce sens. Mais moi, cette déclaration il l’a faite lorsque j’étais à Abidjan. Et lorsque la presse locale m’a demandé, j’avais dit que ‘’Dadis ne sera pas un Robert GUEI Bis’’. J’ai dit qu’il ne va pas se présenter, et c’était ma manière de contribuer pour apaiser les gens et les calmer.
Cette déclaration du président de Dadis a poussé les forces vives de la nation à organiser cette manifestation du 28 septembre pour dire non à la velléité candidature du président du CNDD. Le 28 septembre, il y a eu ce massacre au stade. Dans quel état se trouvait Dadis lorsqu’il a appris ce qui s’est passé au stade ?
C’est aux environs de 23h que j’ai vu le président. Je n’étais pas au camp ce jour-là, c’est par RFI que j’ai appris qu’il y a eu ce massacre. Je suis venu au camp, j’ai trouvé le président dans le couloir en train de pleurer, c’était en la présence de plusieurs personnes. Ce jour-même on lui a donné des médicaments pour qu’il puisse dormir. On l’a vu pleurer comme un enfant, il voulait même démissionner cette nuit.
Selon l’un des avocats de Toumba Diakité, Dadis était sorti ce jour pour se rendre au stade à partir d’une issue de secours qui était à sa résidence qui lui faisait d’office de palais. Qu’est-ce que vous en savez ?
Les issues de secours existent toujours. Dans tous les palais présidentiels, il existe des issues de secours qui permettent au président d’être évacué en cas de problème. Donc la chambre de derrière, c’était visible, ce n’est pas quelque chose qui est souterrain. C’est le président de la république, donc il y a eu modifications.
Est-ce que le président Dadis était passé par ces issus de secours le 28 septembre pour se rendre au stade, notamment au Marocana ?
Je ne sais pas. C’est des nouvelles que je viens d’apprendre comme vous à travers les réseaux sociaux, mais Toumba lui-même dit que Dadis n’était pas sorti et qu’il l’avait laissé au camp. Mais son avocat dit que le président était sorti et qu’il y un agent ‘’ secret’’ qui fait des révélations dans ce sens. Mais je pense qu’il faut s’en tenir aux déclarations des prévenus. Je pense que ce procès même doit être fait à huis clos comme c’est fut le cas avec le procès de Simon Gbagbo (Cote d’Ivoire).
Après les évènements du 28 septembre 2009, comment étaient les rapports entre le président Dadis et son aide camp Toumba Diakité ?
Ils ont toujours eu de bons rapports. Je sais que Toumba, le président l’aimait, c’était son petit avant. La relation entre les deux était au beau fixe. Il aimait véritablement Toumba dans le vrai sens du terme.
Dans sa déposition, Toumba a déclaré qu’à la veille du massacre du 28 septembre, il y a des recrues venues de Kaléyah qui ont été amenées au camp. Est-ce que vous les avez vus là-bas ?
Je n’habitais pas au camp. Je venais là-bas même difficilement. J’étais au petit palais avec Kéléti Faro, j’étais conseiller. Notre bureau c’était en ville. Je crois que deux semaines je n’arrivais pas au Camp, c’est lorsqu’on a quelque chose d’important et que le président ne puisse pas se déplacer qu’on se déplace pour venir chez lui.
Vous vous aviez accès au camp Alpha Yaya, est-ce que vous aviez vu venir ce qui s’est passé au stade de 28 septembre 2009 ?
Non, je ne les ai jamais sentis venir. Je suis un ami depuis longtemps à Cellou compte tenu de ma proximité avec le président Conté. J’ai soutenu publiquement Cellou Dalein aux élections de 2010 et le président de Dadis a soutenu Alpha Condé.
A la barre, le président Dadis a accusé Alpha Condé d’avoir comploté contre le général Sékouba Konaté et Toumba Diakité pour l’évincer du pour pouvoir. Qu’est-ce que vous en savez ?
La politique c’est quelque chose de très puissant. On est devant un tribunal criminel, peut-être qu’il a ses preuves mais moi je n’en sais rien de tout ça. S’il accuse Alpha peut-être qu’il a ses preuves. Je ne peux pas dire qu’il a raison ou pas car j’apprends ces révélations comme vous.
Les évènements du 03 décembre 2009, est-ce que vous les avez vus venir ?
Je ne sais pas du tout. Et je ne savais même qu’il y avait un problème entre les deux. Ca été une surprise pour moi d’apprendre que c’est Toumba qui a tiré sur Dadis. Ce jour d’ailleurs j’étais à Abidjan. C’est au moment où j’étais à l’aéroport que j’ai appris que Toumba a tiré sur Dadis.
Qu’est-ce que ça vous fait de voir Dadis Camara à la barre en train d’être jugé sur ces évènements du 28 septembre ?
Il faut reconnaitre quelque chose en lui. Je sais que quand quelqu’un vole, il fuit. Mais je n’ai jamais pour la première fois vu quelqu’un qui dit que je paie, il paie ses billets, il vient au pays, on le retourne à deux reprises. Il vient à l’enterrement de sa mère, il est obligé de rentrer par un autre pays pour venir à Nzérékoré enterrer sa mère et en trois heures de temps on lui demande de sortir immédiatement. Cette même personne pend son billet pour dire : comme il y a procès, il va venir laver son honneur. Je pense que cette personne, il faut respecter sa moralité et sa conscience. Maintenant allons aux faits parce que je sais qu’un criminel fuit. S’il est rentré, pour moi ce n’est pas étonnant de le voir à la barre. Il assume et défend sa part de vérité, j’ai un respect pour lui. Je salue son courage et sa détermination.
Un agent ‘’secret’’ présenté comme un angolais présent à Conakry à l’époque des faits a déclaré qu’après les massacres du 28 septembre, des corps ont été transportés derrière l’aéroport pour y être enfuis. Qu’en dites-vous ?
Pour l’affaire de 28 septembre, je ne suis ni témoin, ni acteur parce que ma proximité avec le président en tant que conseiller, ce n’était pas aussi ça. Je ne sais même l’existence de Faban, c’est maintenant que je l’ai su à travers ces révélations. Mais pour comprendre tout ça, il faut mener des investigations, il faut aller là-bas, interroger les riverains, s’il y a charniers, les déterrer.
Qu’est-ce que vous attendez à l’issue de ce procès ?
Il faut laisser la justice faire son travail. C’est des professionnels, ils ont mené leurs propres enquêtes, ils ont les résultats avec eux, ils écoutent tout le monde. Mais à l’issue de ce procès ce que je veux, que le tissu social guinéen ne soit divisé c’est ma seule crainte. Que ceux qui gagneront dans ce procès, que ça soit la Guinée. C’est ma vision, c’est mon souhait. Qu’il y ait la paix qui puisse circuler dans les veines de tout le monde. Aujourd’hui il y a certains qui sont sur les réseaux pour parler de ce procès, ce n’est pas l’intérêt de la Guinée qui les intéresse mais c’est ne le nombre de vues pour se faire de l’argent parce qu’ils ne sont ni en Guinée, et ils ne font que raconter des choses sur la Guinée et c’est quelque chose qui ne nous arrange pas. Il faudrait qu’à cause de ce procès, qu’il y ait une sensibilisation pour qu’il y ait l’union entre les Guinéens.
Je souhaiterais que ce procès soit un dénouement heureux pour tout le monde pour que les victimes et leurs parents puissent rentrer dans leur droit et que la manifestation de la vérité puisse prendre l’avantage sur le mensonge.
Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 664 72 76 28
Créé le 23 janvier 2023 16:02Nous vous proposons aussi
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