Mamady Kaba : « Nous avons introduit plusieurs décrets chez le Président de la République… » (Interview)
CONAKRY- Comment mettre fin aux vindictes populaires en Guinée ? Alors que cette pratique est devenue monnaie courante dans le pays, le Président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (INIDH), Mamady Kaba, a tiré la sonnette d’alarme. Dans cette interview qu’il a bien voulu accorder à notre rédaction, le Président de l’INIDH pose un diagnostic, et propose des pistes de solution. Mamady Kaba revient également sur le fonctionnement de son institution, qui a été récemment secouée par une crise interne. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Mamady Kaba bonjour ! Deux ans après l’installation de votre Institution, l’INIDH pouvez-vous nous énumérer quelques actions que vous avez pu réaliser jusque-là ?
MAMADY KABA : Merci beaucoup pour cette opportunité. Comme vous le savez, notre institution est une Institution Constitutionnelle de la République de Guinée. Elle est en place depuis décembre 2014. Depuis que le Bureau est en place, nous avons commencé par des formations de mise à niveau que nous avons organisées avec le haut-commissariat des nations-unies aux droits de l’Homme. Plusieurs autres activités de formation de mise à niveau ont été organisées dans ce sens-là. Nous avons fait le monitoring des droits humains en période électoral. Pendant les élections de 2015, nous avons observé les élections pour pouvoir prévenir les violations des droits humains. C’était une activité très importante parce que nous avons pu agir en synergie avec les observateurs de l’Union Européenne et d’autres observateurs locaux et internationaux. Ce qui a permis quand même une couverture qui est à saluer et à renforcer. Ensuite, nous avons travaillé avec l’UNICEF pour rédiger un document d’une boite à images sur la valorisation de la fille non excisée. Nous allons bientôt le démultiplier et le ventiler dans tout le pays. Grâce à l’Union Européenne, nous avons également reproduit des extraits de notre Constitution que nous avons vulgarisés dans toutes les principales langues nationales pour permettre aux citoyens à la base d’accéder au contenu de la constitution notamment les points qui sont en rapport avec les droits humains.
Nous avons mené des actions au plan international pour la reconnaissance de notre Institution, au niveau des principaux réseaux qui interagissent au niveau ouest-africain, au niveau africain et international, de la francophonie, etc. Nous avons mené beaucoup de démarches, aujourd’hui notre institution est présente au niveau de tous ces réseaux-là et participe pleinement à leurs activités. Au plan national, nous avons agi dans la promotion et la protection des droits civils et politiques. Nous avons eu des prises de position assez courageuses sur les différents dossiers concernant les droits civils et politiques de notre pays, sur les dossiers de la justice, notamment sur le dossier du 28 septembre 2009.
Beaucoup d’Institutions du pays ont du mal aujourd’hui à fonctionner normalement par manque de moyens ou par guerre d’égo de ses responsables. Quid de l’INIDH ?
Nous avons beaucoup de difficultés. Par exemple, nous n’avons pas jusqu’à présent de Secrétaire Général qui doit être nommé par le Président de la République. Après en collaboration avec le Secrétaire Général, le Bureau Exécutif met en place le Secrétariat Administratif qui doit être l’appui technique de l’Institution. Donc, jusqu’à présent nous n’avons pas de Secrétaire Général, ni de Secrétariat Administratif. Nous n’avons pas de véhicules de fonction. Personnellement, je n’ai pas un véhicule avec lequel je puisse par exemple me déplacer pour aller à l’intérieur du pays. Nous ne faisons pas de plénières. Les plénières pour qu’elles soient prises en charge, elles doivent être convoquées par un décret du Président de la République. Ce que nous ne parvenons pas obtenir jusqu’à présent. Les membres du Bureau Exécutif sont placés en position de détachement. Ils doivent avoir une rémunération mensuelle. Cette rémunération n’est pas encore fixée par le président de la République. Nous avons beaucoup de difficultés de fonctionnement.
En dehors de tout ça, le soutien politique et institutionnel nous manque terriblement. Nous n’avons pas le sentiment d’être un organe de l’Etat. Nous sommes traités comme un organe à part, comme une ONG etc. Nous ne sommes pas encore encastrés dans le dispositif institutionnel national. Parce que les soutiens pour remplir correctement nos missions n’existent pas. Nous n’avons pas de connexion sérieuse avec les services de sécurité pour pouvoir cogérer les questions de sécurité qui arrivent, les questions de justice etc. Mais nous estimons que « oui » nous dénonçons tout ça, mais nous comprenons que c’est très tôt pour avoir tout ça. On ne peut pas avoir tout ça en l’espace de deux ans. Mais nous pensons que si petit à petit les problèmes se règlent, nous avons le siège, nous souhaitons très rapidement avoir des véhicules de fonction au moins pour le Président de l’Institution, avoir un Secrétaire Général pour avoir l’ensemble du dispositif administratif qui nous permet de fonctionner à plein temps.
Avez-vous déposé un projet de décret pour combler ces vides ?
Nous l’avons souvent fait, mais nous n’avons encore obtenu que le Président convoque une session plénière. Nous avons déjà fait des sessions plénières informelles pour adopter les règlements intérieurs et d’autres préoccupations. Mais les plénières prévues par la Loi L 013 ne sont pas tenues pour le moment.
Comment arrivez-vous à faire fonctionner les affaires courantes ?
Nous avons une petite subvention que l’Etat nous accorde.
A hauteur de combien ?
Pour l’année 2016, on nous a accordé deux milliards GNF pour l’année. Cette année encore nous n’avons pas pu avoir un budget comme cela est prévu dans la loi. C’est la subvention qui a été reconduite.
Récemment votre Institution a été minée par une crise interne. Certains commissaires sont allés même jusqu’à vous récuser. La tempête est-elle passée ?
Non je n’ai jamais été récusé. Il y a eu des difficultés comme dans toutes les institutions. L’INIDH est une nouvelle Institution, on a tourné la page. On essaie tant bien que mal de progresser. Ce n’est pas très facile, on a des problèmes un peu partout à l’interne comme à l’externe, mais nous pensons que ce n’est pas extraordinaire. Une nouvelle Institution doit connaître des agitations jusqu’à ce que tout le monde soit au même niveau d’information jusqu’à ce que certains problèmes soient réglés.
Le Président Alpha Condé lors d’une récente rencontre avec des diplomates et des présidents des institutions républicaines, a dit je cite : « nos institutions ne marchent pas très bien parce qu’il n’y a pas de tolérance ». Est-ce le cas au sein de l’INIDH ?
Je vous ai expliqué les problèmes que nous avons. Nous tentons de travailler pour que l’Institution aille au mieux.
Quelle lecture avez-vous aujourd’hui de la situation des droits de l’homme en Guinée ?
Nous sommes victimes de notre histoire. Les difficultés politiques du pays au début des indépendances peut-être même avant, les rivalités très aigues entre les politiques guinéens, entre la Guinée et l’ancien colonisateur, la France, ont été créées. Les violations des droits de l’Homme ont débuté très tôt en Guinée. Petit à petit, l’impunité aidant, les choses se sont ancrées dans les comportements des dirigeants à tous les niveaux. Aujourd’hui, la Guinée est en train de gérer un héritage très lourd en matière des violations des droits humains.
Après les élections présidentielles, des violations des droits de l’homme ont été commises à beaucoup de niveau et à divers momenst. Mais depuis quelques mois, la sagesse l’a emporté sur le cœur. Les dirigeants du pouvoir et de l’opposition ont décidé de se battre pour faire avancer leurs préoccupations sans confrontation violente. Je crois que c’est un pas très positif. Aujourd’hui la situation est beaucoup plus calme. Les violations des droits de l’homme sont réduites notamment au niveau de l’exercice des droits civils et politiques. Je m’en félicite. J’en profite pour féliciter la sagesse des hommes politiques guinéens, de la mouvance comme de l’opposition. C’est très important. Il faut tout faire pour que des discussions continuent, la vie politique continue sans confrontation violente. Qu’il y’ait des échanges, des accords, des compromis, de dialogue, de respect mutuel, pour que cette accalmie se poursuive dans le combat pour l’encrage démocratique dans notre pays. Je les encourage pour que ce calme-là perdure et que nous ayons le temps de regarder dans le rétroviseur et de nous attaquer aux problèmes des droits humains dont le pays a hérités. Et ces problèmes-là Dieu seul sait qu’ils sont nombreux.
Evidemment qu’ils sont nombreux d’autant plus qu’on assiste ces derniers temps à des vindictes populaires un peu partout dans le pays. Est-ce que cela ne vous interpelle pas ?
Ça nous interpelle. Les vindictes populaires ne sont rien d’autre que la rupture entre les populations et l’institution de justice. Souvenez-vous qu’en 2007, les populations sont descendues dans la rue pour la simple raison que le président d’alors, le Général Lansana Conté (paix à son âme) quand il est allé sortir ses deux amis de la prison, il a dit que « la justice c’est moi ». Ce qui a révolté la population. Il y avait beaucoup de problèmes dans le pays, mais la goutte qui a fait déborder le vase, c’est l’action du Président contre la justice (…). La quête de justice du peuple de Guinée n’est plus à démontrer. Toutes les souffrances que nous avons connues ces derniers temps dans notre pays ont été engendrées par la revendication de justice. La justice est au centre des préoccupations de notre pays. Pendant la transition tout le peuple, la société civile, les partis politiques, comme un seul homme, s’est déterminé en faveur d’une réforme profonde du secteur de la sécurité, d’une réforme profonde du secteur de la justice et de la réconciliation nationale. Ces aspects devaient permettre de créer le lien vital qui doit exister l’Etat en général et les populations. Les populations se soumettraient de bonne foi à l’autorité de l’Etat qui exercerait son autorité en toute justice. Toute autorité non basée sur l’exercice correcte de la justice est une autorité illégitime. Parce que les populations ne s’y reconnaissent et n’y obéissent pas. Je pense que c’est le cas dans notre pays. L’autorité de l’Etat est sérieusement mise en mal, notamment la confiance des populations en vers l’institution de Justice.
Aujourd’hui, jusqu’au niveau où nous sommes, quand nous voyons le niveau que les lynchages ont atteint dans notre pays, nous disons tout simplement que les objectifs assignés à la réforme de la justice n’ont pas du tout été atteints. Parce que le fossé qui sépare la population de l’institution judicaire s’est approfondi au lieu de se renfermer petit à petit, pour que les justiciables et l’institution de justice se rapprochent. Aujourd’hui, nous devons nous remettre en cause et faire une évaluation à mi-parcours pour comprendre que nous n’avons pas pu réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés pendant la transition et qui a justifié d’ailleurs la mise en place de nouvelles institutions comme la nôtre. Les erreurs, les dérives se multiplient et aujourd’hui, nous voyons très clairement que les populations sont totalement coupées de la justice. On choisit tout simplement de se rendre justice.
Je souhaite que cette situation change. Nous devons y travailler d’arrache-pied. Parce que si elle ne change pas, nous allons assister à l’émergence d’un terrorisme local, qui n’a rien à voir avec le terrorisme international. C’est un terrorisme local à travers lequel les populations chercheraient à se faire respecter, à se faire écouter et à obtenir justice. Je l’ai dit lors d’un passage à Abuja, que le soutien dont bénéficie Boko haram au sein des populations du Nigéria n’était pas forcément lié à des convictions religieuses. C’est la conséquence de la coupure entre les populations et les autorités qui les gouvernent. Je crains qu’à l’allure où vont les choses, les frustrations des populations, si demain un tout petit groupe tentait de créer une seconde voie de terreur dans notre pays, il pourrait se voir soutenir par les populations, quelque soit leur appartenance religieuse. Il ne faut jamais créer les conditions de la terreur dans un pays. Mais c’est à l’intérieur des Etats que se créent les conditions du terrorisme. Les frustrations que je vois, le rejet de notre système de justice par nos populations m’inquiètent très fort. Parce que cette frustration de la population peut nous conduire à des menaces auxquels nous n’aurons pas les moyens de nous en sortir. C’est pourquoi il est important aujourd’hui de donner à la population les chances d’avoir la justice. Si les populations savent qu’elles ont de véritables recours sans utiliser la violence, et non pas aller tuer des gens qu’on soupçonne d’être à l’origine d’une injustice. Cette personne qu’on tue peut se trouver au mauvais moment et au mauvais endroit et subir les affres de la vindicte populaire. Ce qui est très regrettable. La vindicte populaire protège les coupables parce que généralement c’est d’autres personnes « innocentes » qui sont tuées à la place des coupables. Une fois que ces gens sont tués, on a l’impression d’avoir obtenu la justice alors que c’est loin d’être le cas. Il est important que les populations renoncent à la vindicte populaire parce qu’elle est un obstacle à la justice. Tant que les gens continuent à lyncher, ils entravent la justice. Dès que les coupables comprennent que les populations se rendent justice elles-mêmes, qu’il n’y a pas d’enquête de police, il n’y a pas de débats contradictoires dans un tribunal, pour l’émergence de la vérité, la vindicte populaire devient un service que les populations rendent aux coupables. Parce que quand vous être coupables, dès que vous commettez un crime, que vous sentiez que les populations commencent à s’agiter, vous créer un coupable imaginaire pour le livrer à la vindicte. Il est lynché alors que le vrai coupable est protégé. Les populations doivent comprendre que les vindictes populaires rendent services aux criminels.
Vous pointez du doigt l’échec de la réforme de la justice tandis que le Chef de l’Etat parle plutôt de manque de civisme. Où est la nuance ?
C’est vrai, le manque de civisme est un des éléments, mais pas l’élément fondamental. L’élément fondamental, ce sont les défaillances de notre système de justice. Mais le manque de civisme est aussi un des moyens. Pour savoir qu’il y a véritablement manque de civisme, nous devons améliorer notre système de justice et le rapprocher davantage des justiciables. Si la justice est accessible aux pauvres, aux vulnérables, nous avons plus de chance de sanctionner l’incivisme de ceux qui, malgré tous les efforts de la justice, la contourne pour faire autre chose. Mais la justice est très éloignée aujourd’hui des populations. Aucun guinéen ne souhaite aujourd’hui avoir affaire à la justice. Parce que c’est une nouvelle souffrance. Souvent une souffrance plus aigüe que celle qui vous pousse à aller vers la justice. Notre système de justice est au service des riches et des puissants. Elle est très éloignée des pauvres et des faibles. Or ce sont eux qui ont le plus besoin de la justice. Et puisque qu’elle est très éloignée de ceux-là, les riches et les puissants en font ce qu’ils veulent. Nous devons travailler à inverser la tendance et à faire en sorte que la justice soit un instrument au service des pauvres et des faibles.
A suivre…
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel. : (00224) 655 311 112
Créé le 19 janvier 2017 11:18Nous vous proposons aussi
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