Mamadi Touré répond à la France: « Nous n’accepterons pas le diktat… »
CONAKRY-Le Chef de la diplomatie guinéenne n’a pas porté de gants pour répondre sèchement au couple Franco-allemand et à l’Union Européenne, qui, de concert ont jugé les consultations législatives et référendaires du 22 mars en Guinée, non-crédibles. Dans cette interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder, Mamadi Touré revendique avec fierté la souveraineté du peuple de Guinée. Le ministre des Affaires Etrangères prévient que la Guinée ne se soumettra à aucun diktat venant de l’extérieur. D’autres sujets ont également été abordés dans cet entretien. Bonne lecture.
AFRICAGUINEE.COM : Comment réagissez-vous face à la déclaration de la CEDEAO sur les élections du 22 mars en Guinée ?
MAMADI TOURE : La CEDEAO a fait un communiqué à mon avis qui est assez équilibré et qui prend acte du scrutin, mais aussi qui parle de violence sans indexer aucune partie spécifiquement. Ce même communiqué dit qu’ils sont disposés à faciliter le dialogue. Je pense que c’est positif et nous sommes prêts à cela et sommes ouverts à tout facilitateur pour vu que ce facilitateur soit impartial.
La CEDEAO relève aussi toute la « pertinence de ses recommandations tendant à privilégier la promotion d’un climat apaisé et la recherche d’une inclusivité du processus électoral ». Qu’en dites-vous ?
Nous prenons acte des trois points évoqués dans ladite déclaration. Le faite de prendre acte du scrutin et de condamner toutes les violences mais aussi le fait d’être disposé à faciliter le dialogue. Comme je l’ai dit tantôt, nous sommes prêts à recevoir tout facilitateur pour vu qu’il soit impartial.
Vous aviez demandé officiellement à la CEDEAO de faire envoyer une mission d’observation pour les élections. Chose qu’elle a refusé et aucune institution internationale n’a déployé des observateurs. N’est-ce pas là un camouflet pour les autorités guinéennes ?
D’abord je vais vous corriger quand vous dites qu’il n’y a pas eu d’observateurs internationaux. Il y a eu 90 observateurs africains venus de 15 pays du continent. Ils sont arrivés et ont observé, ils ont fait des déclarations que tout le monde a écouté et ils ont soumis leur rapport. La seconde chose est que la CEDEAO n’a pas l’habitude de déployer des observateurs lors des élections législatives. Le président de la commission me l’a dit. La Guinée a voulu montrer sa bonne foi, sinon ce n’est nullement une obligation. La seule fois d’ailleurs, c’était au Togo à la demande des chefs d’Etat de la sous-région. Donc, cela n’enlève en rien la crédibilité du scrutin dans la mesure où il y avait d’autres observateurs de la société civile venus de certains pays d’Afrique. Je ne suis pas d’accord avec la déclaration française qui parle d’absence d’observateurs régionaux et internationaux à l’occasion de ce double scrutin.
Justement, dans une déclaration publiée au lendemain du double scrutin du 22 mars, la France a estimé que les élections n’ont pas été crédibles. Quelle est votre réaction ?
C’est une déclaration que nous trouvons biaisée, mal informée et partisane. Elle ne respecte ni la souveraineté du peuple de Guinée qui a voté massivement, ni les partis politiques qui ont décidé de participer au double scrutin malgré les menaces de violence. A mon avis, il n’est pas de leur ressort de décider de la crédibilité du scrutin. Cette crédibilité s’exprime à travers la participation du peuple souverain de Guinée qui est le seul à décider de son destin. Personnellement, je pense que c’est la crédibilité même de cette déclaration du Quai D’Orsay qui est en cause. Parce que j’y vois un manque de professionnalisme. Quand on n’a pas observé soi-même un processus, je pense qu’on doit s’informer auprès de toutes les parties et surtout de prendre la précaution de mentionner toutes les sources d’informations. On ne peut pas donner une opinion sur un processus qu’on n’a pas observé.
Nous souhaitons qu’à l’avenir entre amis, qu’ils fassent attention à ce qu’ils écrivent dans une déclaration. Il faut que la déclaration soit bien informée et bien équilibrée. C’est comme cela qu’on peut les juger comme facilitateur ou contributeur au dialogue. Pour contribuer au dialogue entre deux entités, il faut quand même observer une certaine impartialité. Mais lorsque vous prenez fait et cause pour une partie, cela devient compliqué pour la crédibilité même du contributeur au dialogue.
L’Allemagne s’est inscrite sur la même logique que la France, indiquant qu’elle soutient la déclaration de Paris. Est-ce que tout cela ne devrait pas interpeller les autorités guinéennes ?
Je ne suis pas étonné que l’Allemagne se joigne à la France. Ce qui m’étonne par contre, c’est de donner un jugement alors que ni la France, ni l’Allemagne n’aient observé ces élections. Contrairement à l’Ambassadeur des Etats-Unis qui a sillonné quelques bureaux de vote. Pendant ce temps, eux ils ne l’ont pas fait. Nous trouvons regrettable qu’ils fassent ces déclarations alors qu’ils n’ont pas observé les élections.
Avant les élections le ministre français des affaires étrangères Jean Ives Le Drian déclarait que le projet dont le président Condé était porteur n’était pas forcément partagé par la population. Après le scrutin, la France a jugé les élections non crédibles. Ne peut-on pas craindre le retour des veilles querelles entre la Guinée et la France ?
Je dois dire que c’est le même peuple de 1958 qui est là. C’est un peuple qui a son histoire, qui a une mémoire. C’est un peuple qui est très fier de son histoire et de ce qu’il a fait politiquement. Ce peuple tient beaucoup à sa souveraineté. Nous ne sommes pas en guerre avec qui que ce soit mais nous tenons à ce qu’on respecte le peuple de Guinée. Nous ne demandons pas à ce qu’on nous aime, mais plutôt qu’on nous respecte. Je pense que cette exigence de respect est dans l’ADN de tous les guinéens. Nous voulons qu’on nous respecte malgré tous nos problèmes, nous respectons tous les peuples et nous demandons qu’on nous l’accorde aussi. Les déclarations qui manquent de respect au peuple de Guinée sont automatiquement rejetées par le peuple de Guinée.
Dans son commentaire sur les atrocités qui ont émaillé les élections, l’ambassadeur des Etats-Unis demande au gouvernement d’enquêter de manière rapide et transparente sur tous les décès liés aux manifestations et aux élections et que les résultats des investigations soient rendus publics dès que possible. Qu’est-ce qui va être fait à ce niveau ?
Il y a déjà une procédure qui a été ouverte par le ministère de la justice pour établir la vérité. Le gouvernement est tout à fait ouvert à cela (…), on va y travailler pour que lumière soit faite. Les violences ont eu lieu dans les bureaux de vote alors que le FNDC a annoncé bien avant les élections qu’il allait empêcher les élections. Les forces de sécurité ont sécurisé le vote, contrairement à la déclaration des français qui dit qu’elles ont excédé la simple sécurisation du processus électoral, ce n’est pas vrai. Les forces de sécurité ne sont pas allées au-delà. Elles ont sécurisé les lieux de vote, les guinéens qui ont décidé de venir voter et le matériel électoral. Donc, il faut éviter de faire croire que la Moyenne-Guinée et la Guinée-forestière se sont embrasées. Ce n’est pas vrai. Les évènements à N’zérékoré ne sont pas liés au processus électoral. C’est un vieux problème qu’on cherche à régler et il va falloir qu’on trouve une solution.
Ce sont pourtant ces élections qui ont occasionné les atrocités survenues à N’zérékoré ?
Quand vous analysez les problèmes de conflit, vous trouverez qu’il y a des choses qui sont latentes. Il suffit d’un évènement pour les déclencher. Ce n’est pas forcément à cause des élections qu’il y a eu ce problème. Il faut savoir faire la part des choses. Il faut régler ce problème une bonne fois pour toute entre ces deux communautés. Il ne faut pas donner aussi l’impression que la Guinée forestière s’est embrasée.
La Guinée semble être à dos de la communauté internationale. Ne craignez-vous pas un isolement ?
Je vous rassure que la Guinée ne sera jamais isolée. Aujourd’hui on est en train de penser à comment faire pour renouer le dialogue et la paix dans le pays. Je vous garantis que la Guinée ne sera pas non plus isolée.
Ces derniers temps beaucoup évoquent la possibilité de sanctions ciblées visant certaines personnalités. Qu’en dites-vous ?
Je n’ai aucune crainte en ce sens. Non absolument pas ! Ceux qui le disent n’ont aucune connaissance de la communauté internationale. Ils ne connaissent pas aussi ce qui entre en jeu pour qu’on impose des sanctions à des individus ou à des Etats. C’est de la pure ignorance.
Le Ghanéen Nana Akufo Addo a été désigné comme médiateur dans la crise guinéenne. Est-ce que des démarches sont engagées pour entamer la médiation ?
Je l’ai lu dans la presse, mais on n’a eu aucune information. Et on n’a jamais été contacté. Pour ça, normalement dans les situations de crise ou d’intervention de la communauté internationale, on n’impose pas un médiateur. Si on parle d’un médiateur qui a été choisi et que le gouvernement guinéen n’est pas informé, ce n’est pas un médiateur. Je n’ai pas dit qu’on n’accepte pas le président ghanéen, mais je n’ai pas d’informations pour le moment qu’il a été effectivement confirmé comme médiateur.
Quel est votre dernier message ?
Il faut qu’entre guinéens qu’on se parle, on dialogue. Nous n’allons pas accepter de diktat de la part de qui que ce soit. Nous sommes un peuple souverain et malgré nos difficultés il faut qu’on soit autour d’une table pour trouver des solutions à nos problèmes. Je lance un appel à toute la classe politique pour qu’on se retrouve autour d’une table et qu’on cherche la solution à nos problèmes à l’interne. Je suis optimiste. Certes, c’est des moments difficiles dans la vie d’un peuple, mais la Guinée arrive toujours à s’en sortir malgré tout. Les partenaires doivent être impartiaux s’ils veulent contribuer à la paix, il faut qu’ils observent une certaine neutralité pour pouvoir être crédibles aux yeux de toutes les parties.
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 311 112
Créé le 27 mars 2020 10:01
Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: FNDC, France, Interviews, Mamadi Touré