Mal guinéen : Baadiko met le pied dans le plat…

Mamadou Bah Badiko leader de l'UFD

CONAKRY- Dans les deux premières parties de l’interview qu’il nous a accordé, Mamadou Baadiko BAH avait abordé la situation économique globale du pays, l’accord signé le 21 octobre dernier entre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les autorités guinéennes fixant la durée de la transition à 24 mois et la problématique liée à la relance du dialogue.


Dans cette troisième et dernière partie, le leader du parti Union des Forces Démocratiques (UFD) pointe le « mal guinéen » dans un ton sec. L’homme politique a tiré à boulets rouge sur tout le monde. Il préconise aussi des pistes de solution pour sortir de l’impasse actuelle pour amorcer le dialogue. L’ancien député évoque également l’exil prolongé de Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré.

AFRICAGUINEE.COM : La Guinée est en perpétuelle crise depuis des années. A votre avis comment sortir de l’imbroglio ?

MAMADOU BAADIKO BAH : Comme vous pouvez l’imaginer, la réponse à votre question n’est pas simple. Le CNRD a déjà dit avec force : « La crise ? Quelle crise ? Circulez, il n’y a rien à voir ». La culture de la dictature vieille de 64 ans a la vie dure. Nos problèmes sont très complexes. Il faut souligner que ce sont nous, les prétendues élites guinéennes qui sont les principales responsables de notre déchéance. Mais d’un autre côté aussi, c’est tout le corps social qui est pourri. Nous sommes solidement installés dans des anomalies civilisationnelles depuis fort longtemps. Ainsi nous acceptons sans broncher l’inacceptable, en défendant l’indéfendable, sur le mode, « c’est comme ça, on n’y peut rien ! », faisant de nous des gens hostiles à toute réforme salvatrice. Ainsi, on peut affirmer que la Guinée est le pays des paradoxes, car on y voit des choses uniques en ce monde.

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L’expression la plus dramatique de ce qu’on peut bien appeler le « mal guinéen » peut tenir dans quelques exemples d’aberrations qu’on ne peut trouver que chez nous. Ainsi, la Guinée est le seul pays qu’on connaisse où des élèves peuvent revendiquer le « droit » de tricher aux examens ! C’est chez nous également qu’on entend des gens crier et manifester pour « le droit » de vendre de faux médicaments qui font des ravages invisibles énormes parmi les populations, surtout les plus pauvres. C’est en Guinée qu’on peut entendre des gens protester contre les poursuites engagées à l’encontre d’un dirigeant soupçonné de détournement des deniers publics. Autant dire pérenniser le « droit » pour la chèvre de brouter là où elle est attachée ; chacun peut user de ses responsabilités pour se remplir les poches.

Un syndicat de commerçants peut, en toute impunité, réclamer haut et fort, le « droit » pour ses membres de falsifier les factures à l’import, pour frauder sur les droits de douane. On ne parle même pas de dirigeants qui prônent la nécessaire rigueur et la moralisation de la vie publique mais qui refusent obstinément de déclarer leurs biens, en violation de la loi, au motif qu’ils ne sont pas au courant de l’existence de tels textes !

Chez nous, aucun dirigeant politique n’accepte de rendre compte de sa gestion et son comportement face aux exigence éthiques de la bonne gouvernance. « Non ! C’est du harcèlement ! ». Personne n’est prêt à justifier de l’origine de ses biens. « Non, la tradition n’aime pas qu’on se vante de ses richesses ». Mais le sous-entendu est que le vol, la corruption et le détournement de deniers publics sont légaux, pourvu qu’on ne se fasse pas prendre en flagrant délit. C’est en Guinée qu’on peut voir des gens qui n’ont pas d’activité professionnelle connue, se proclamer « société civile » et lutter bec et ongles pour la conquête du pouvoir ! « Vous comprenez, faire un parti politique comme le veut la loi, c’est trop compliqué ! ».

De même, combien de politiciens guinéens vivent et travaillent normalement pour gagner leur vie ? Beaucoup vivent pour les campagnes électorales meurtrières pour la fortune publique et le consensus social. Des militaires peuvent faire le projet de s’emparer du pouvoir et le conserver par la force et commettre pour cela toutes sortes de crimes, en se proclamant « démocrates, officiers républicains !».

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Du côté des populations également, l’incivisme et l’indiscipline sociale sont la règle. L’irresponsabilité et l’inconscience sont les attitudes les plus partagées dans notre pays. Ainsi, même quand l’Etat fait un effort pour soulager les populations, il n’y a pas de répondant.

Les exemples abondent. Dans la plupart des cas, les parents ont démissionné de la mission de participer à l’éducation de leurs enfants. « Non ! C’est la faute à l’Etat ! ». L’éducation publique est tellement en faillite, qu’on peut entendre des gens se vanter : « heureusement que je n’ai pas été à l’école, car c’est une perte de temps ! » Ayons la force de mettre le doigt sur nos plaies, celles qui nous enfoncent dans notre retard. Il n’y a pas de raison pour nous de baisser les bras, de sombrer dans le désespoir ou la résignation. Nous n’avons pas le droit de désespérer de la cause des peuples d’Afrique, berceau de l’humanité et dépositaire de la plus brillante et la plus ancienne civilisation attestée du monde.

La réforma la plus urgente est celle de la nature de l’Etat. Il faut à tout prix sortir de ces Etats et leurs énormes appareils, surdimensionnés, voraces en ressources, existants pour eux-mêmes et non au bénéfice des populations. Pour cela il nous faut instituer la Régionalisation avancée, ce qui permettra de tourner enfin le dos au tout politique et de nous occuper enfin de développer nos pays dans la l’unité, la solidarité et l’émulation citoyenne. Après un accord politique global sur les nouvelles institutions à mettre en place, toutes les forces vives du pays, tous les partenaires sociaux seraient mobilisés à fond, non pas pour se battre afin de se positionner, mais pour aider le gouvernement de transition à accomplir les tâches prioritaires convenues ensemble dans un cadre de concertation sain et exempt de calculs politiciens égoïstes.

Dans cette perspective, tout le corps social appuierait le gouvernement de transition, afin que cette phase de refondation soit réussie, dans la paix et la concorde et l’engagement patriotique. Peu de gens savent par exemple que, sous la houlette du CNRD, le Ministère de l’Education (MENA) est en train de mener à bien des réformes exemplaires qui mériteraient d’être appuyées par tous, afin de réussir à terme le sauvetage de l’éducation. Un signal très fort est délivré aux enseignants pour mettre fin au laxisme, à l’inconscience professionnelle. La décision de prendre en charge massivement les enseignants communautaires ainsi que les bourses d’études et d’entretien des apprenants des écoles professionnelles sont des mesures salutaires, allant dans le bon sens et méritent d’être connues et appuyées par tous. L’Etat consent des efforts financiers énormes pour ce département prioritaire. Tous les partenaires de l’éducation, devraient être impliqués pour la réussite de ces initiatives. En particulier, les populations à la base devraient être sensibilisées, afin de remplir les obligations qui sont les leurs pour le sauvetage de l’éducation : encadrer les enfants à la maison, acheter les fournitures et les livres indispensables au bon apprentissage, etc. L’exemple du MENA devrait être suivi par tous les ministères, afin que tous les domaines prioritaires couvrant les préoccupations des populations soient touchés.

Tous les départements ministériels devraient être concernés : la santé, le développement rural et l’environnement, les travaux publics, l’urbanisme et l’habitat, l’eau et l’énergie, la justice, la sécurité, etc. Cela n’allongerait en rien la transition, mais contribuerait encore plus à son succès et à la pérennisation des acquis. Dans un tel élan, empreint d’engagement patriotique et de consensus, dans la confiance mutuelle retrouvée, il n’y aurait pas de place pour des manifestations ou des mouvements de grève.

La Transition pour réussir, a besoin d’un climat serein, apaisé, empreint d’engagement patriotique. Seuls compteront les résultats obtenus, surtout dans ce pays où tout est prioritaire. Dans ces conditions, aucune équipe dirigeante n’aura besoin de courir chercher des soutiens à l’extérieur pour se maintenir au pouvoir. La solution est plutôt dans la résolution de nos problèmes internes. A cet égard, nous ne pouvons que mettre le CNRD en garde : préférer faire arbitrer nos conflits internes par l’extérieur, plutôt que de rechercher le compromis fraternel à l’intérieur, n’est rien d’autre que boire du poison pour étancher sa soif. C’est l’histoire de l’Afrique qui nous l’apprend.

Cellou Dalein Diallo et Sidy Touré sont exil depuis leur expulsion forcée de leur maison. Comprenez-vous leur position ?

Nous ne pouvons pas répondre à leur place. Ce sont eux qui peuvent dire pourquoi ils restent à l’étranger. Pour avoir passé 21 ans en exil sous le PDG, nous ne pensons pas que ce soit une bonne solution. Il faut qu’il y ait une décrispation et des garanties suffisantes permettant à chaque citoyen de vivre en paix chez lui, avec un Etat de droit impartial, pour apporter sa contribution à la solution des problèmes du pays.

Fin

Entretien préparé et réalisé par Boubakar DIALLO

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 655 311 112

Créé le 4 novembre 2022 08:00

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