Maitre Halimatou Camara : « Je ne donne aucun crédit aux déclarations de Marcel Guilavogui…»
CONAKRY-Le procès sur le massacre du 28 septembre 2009 a connu un nouveau rebondissement avec la seconde comparution du capitaine Marcel Guilavogui qui a accusé l’ancien Président Moussa Dadis Camara, aidé par sa garde parallèle, d’être le responsable des atrocités. Quels enseignements peut-on tirer des déclarations de ce béret rouge ? Peut-on s’attendre à de nouveaux revirements dans cette affaire ? Quel crédit donné aux propos de cet accusé ? Africaguinee.com a interrogé maître Halimatou Camara, avocate de la partie civile dans ce procès.
AFRICAGUINEE.COM : Quels enseignements tirez-vous de cette nouvelle déposition en tant qu’avocate de la partie civile ?
MAÎTRE HALIMATOU CAMAMRA : Je pense que ce qu’il faut tirer de cette nouvelle donne, c’est que le capitaine Marcel était obligé de revenir à la barre. Parce que tout simplement, pleins de gens, des témoins et des victimes ont déclaré l’avoir vu au stade. Au-delà d’ailleurs du stade, certaines personnes disent l’avoir vu à l’hôpital Donka. Et il n’est pas exclu qu’il ait été sur d’autres terrains d’opération ce jour-là. Donc, il est clair qu’aujourd’hui, il est venu simplement réitérer ce que d’autres avaient déjà dit de lui et essayer plus au moins de se dédouaner de sa participation au massacre.
Il a pointé du doigt la responsabilité du capitaine Dadis Camara, qui d’après lui, a utilisé sa garde parallèle pour « mâter » les manifestants. Que crédit crédit accorder à ses révélations ?
Il y a eu beaucoup de déclarations qu’on a prises au sérieux ou que l’on n’a pas prises au sérieux par rapport au fait que le capitaine Dadis était au stade. Mais la responsabilité du capitaine Dadis dans cette affaire ne fait l’ombre d’aucun doute. Parce que, on aurait compris encore que le massacre se soit produit simplement au stade. Mais le climat de répression s’est poursuivi sur des jours. On a continué à harceler les gens, à les kidnapper au sein des hôpitaux. On a maltraité les cadavres, on a fait disparaitre les corps, on a séquestré des gens dans les camps militaires. Certains d’ailleurs ont disparu de ce fait. Et, quel camp militaire ? Le camp où était le siège de la Présidence de la république.
Je pense qu’à un moment donné, c’est difficile de dire que le capitaine Dadis Camara n’a aucune responsabilité dans cette affaire, parce que tout simplement tous les actes qui ont été posés, l’ont été parce qu’il était là, il était aux affaires. Et aussi quand on pousse la réflexion, au-delà des éléments de preuve ou du factuel, qu’est-ce que le capitaine a fait pour arrêter ce qui était en train de se mettre en place ? Il n’a rien fait.
Vous avez vu que les gens sont partis récupérer les corps, au moment où on leur lançait du gaz lacrymogène parce qu’ils protestaient non pas sur l’état dans lesquels les cadavres étaient, mais parce que les corps n’étaient pas là. Qu’est-ce que le capitaine a fait en ce moment-là ? Ces drames ont eu lieu, mais même une seule journée de deuil, de recueillement il n’y en a pas eu. Sur ce coups-là, on ne peut pas dénier la responsabilité du capitaine. Au-delà du factuel, il y a quand-même tout ce contexte-là, qu’on ne peut pas changer.
On a vu le capitaine Dadis ici, quand on a posé la question de savoir : Est-ce qu’il faut que la communauté internationale s’interpose, parce que tout simplement les guinéens n’étaient plus en sécurité après le drame ? On a entendu ce que le capitaine a dit. Il a dit que c’était des faux leaders… On n’était plus en face à un chef de junte, on était en face d’un homme politique qui avait sa stratégie politique qui était celle de se maintenir au pouvoir. Moi je pense qu’on a toujours été dans le contexte de répression en Guinée et la répression a toujours marché, qu’on se dise la vérité.
On a eu un régime de 26 ans, après un régime de 24 ans, il y a toujours eu des répressions. Donc il (Dadis) se disait que cette répression-là aussi passerait et qu’il resterait au pouvoir, c’est aussi simple que ça. Au-delà du factuel et des preuves, il y a quand-même l’attitude du capitaine qui démontre tout simplement qu’il était au cœur de tout ce processus malheureux.
En revenant à la barre, Marcel a déclaré : « Je suis venu pour dire la vérité pour me libérer (…) ». A analyser un peu sa déposition, il se présente en sauveur et non comme acteur du massacre au stade. Quelle lecture en faites-vous ?
Personnellement en tant qu’avocate de la partie civile dans cette affaire, je ne donne aucun crédit aux déclarations de Marcel Guilavogui. J’estime tout simplement que Marcel Guilavogui au lieu d’être un sauveur au stade, essaie aujourd’hui de se sauver, de sauver sa peau parce que tout simplement 13 années de détention en gardant le silence, ce n’est pas une chose aisée surtout quand des personnes vous ont vu et au-delà de vous avoir vu, vous ont vu agir ce jour-là, c’est un peu difficile. Mais je pense que la culpabilité de monsieur Marcel Guilavogui n’est même pas à démontrer parce que tout simplement il dit qu’il est dans une stratégie, il a préféré se taire. Mais il a dit des choses lors de son premier interrogatoire.
Notamment, il a dit à une question que je lui ai posée à savoir : Quelle a été l’attitude du capitaine Dadis après tout ça ? Est-ce que c’est le capitaine qui l’avait envoyé au stade? Il a même crié en disant : ‘’NON, ce n’est pas possible, un président de la république peut-il faire ça ?’’ Donc je pense qu’aujourd’hui, on est dans une stratégie où Marcel Guilavogui essaie de se sauver la peau. Malencontreusement, il y a eu ses premières déclarations à la barre, il y a aussi les déclarations qu’il a eu à faire dans les PV au moment de l’instruction.
Vous pensez qu’il s’enfonce davantage donc ?
Il ne s’enfonce pas. Il montre parfois une once de bonne foi, quand il dit que le système était mauvais et que c’était la pagaille, mais c’est difficile aussi pour un accusé de dire j’ai participé à un massacre, j’ai tué… Peut-être qu’on aboutira à ce que sa langue se délie totalement, mais pour le moment, il est dans une stratégie où ‘’lui il n’a rien fait, il était simplement là en tant que spectateur’’. Et ça, c’est difficile à gober.
Est-ce qu’on pourrait s’attendre à une réplique du capitaine Dadis dans les prochains jours ?
Je ne sais pas si je dois répondre à cette question. Parce que je pense que ça c’est la stratégie des avocats de Dadis. Je n’ai pas non plus de conseils à leur donner. Bon, il y aura certainement des rebondissements parce qu’on a l’impression que le bouillant capitaine Dadis est celui qui mène la danse. C’est-à-dire que la stratégie judiciaire lui appartient, et que certainement il va vouloir comparaitre. Mais est-ce que ça lui sera bénéfique ? On verra bien.
Entretien réalisé par Boubacar 1 Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 16 juillet 2023 17:47Nous vous proposons aussi
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