Lettre ouverte au président Alpha CONDE : points de vue sur le référendum constitutionnel en République de Guinée ( Dr. Siba N’Zatioula GROVOGUI)

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Monsieur le Président,


Il ne serait plus exagéré de dire que la crise actuelle autour du changement constitutionnel risque d’enfoncer la République de Guinée dans une situation inédite. La crise se présente en premier comme un rapport de force qu’un débat sur les mérites constitutionnels non seulement du changement proposé mais aussi de la démarche des uns et des autres pour sa réalisation ou son empêchement. Cette situation contraint donc tous les citoyens, et pas seulement les représentants de l’état, de l’opposition politique, à la réflexion.  

Il y a eu certes des professionnels qui se sont prononcés sur la question. Ce qui de ce jour semble échapper aux protagonistes c’est un débat sur l’intérêt et l’éthique républicains non de la proposition de changement mais de la démarche politique vers le changement. En tant que citoyens de la république, nous nous donnons donc le droit de rappeler quelques points essentiels que les positions des uns et des autres obscurcissent aujourd’hui.

Certes, aucune norme républicaine ne proscrit le changement de la constitution. Cependant, les raisons avancées pour le faire sont moralement suspectes et insensibles du point de vue éthique. En effet, face au fonctionnement des institutions républicaines que nous contrastons avec celles de l’état pour être précis dans ce débat, ni les gérants de l’état, ni l’opposition n’ont le monopole de la raison républicaine. Certes, dans le rapport de force qui s’est établi dans le pays, l’état a les instruments de violence et des agents qui parlent en son nom sans qu’on ne puisse dire franchement s’ils sont libres de leurs discours. Au niveau de l’opposition aussi, il y a amalgame entre une prise de position légitime contre un forcing de l’état et leur propre combat pour le pouvoir. Il est donc impossible dans ce contexte d’intervenir sans devenir partisan politique ; or, la République a besoin aujourd’hui de partisans républicains – et pas seulement politiques.

Nous nous réclamons partisans de la république, un devoir que nous assumons en tant que citoyen. Nous sommes de la société civile et pas d’un parti politique opposé au pouvoir. Nous revendiquons simplement un espace républicain pour des débats publics sur les institutions républicaines. Nous anticipons que d’autres constituantes de la république participeront à de tels débats : y compris l’Etat et ses représentants, mais aussi les partis politiques, les chefs de communautés et tous les groupements civils de jeunes, femmes, hommes de toutes les ethnies et convictions politiques, religieuses et culturelles. Dans notre initiative citoyenne, nous suivons les exemples d’un certain citoyen Alpha Condé et son homologue, Bah Mamadou, qui en leur temps dans l’opposition avaient pris des initiatives qui ont mené à l’avènement du multipartisme et l’instauration de la liberté de la presse en République de Guinée.

Dans le but de la vérité et de la réconciliation, il est de notre avis que le doute exprimé par l’opposition sur les motivations du pouvoir n’est pas sans fondements. Ceci ne veut pas dire que la constitution actuelle est parfaite et qu’elle n’invite pas à de la réflexion. Pris dans ce sens, la proposition même du parti au pouvoir portant sur une modification de la constitution est un aveu que cette dernière laisse à désirer. Cet aveu devrait s’accorder avec le principe que d’autres aspects de la constitution pourraient être amender. La manière juste et légitime de revoir la constitution dans ce cas ne saurait être un simple choix électoral entre un oui et un non sur un texte que propose l’Etat. Ici encore, nous rejoignons le citoyen-opposant Alpha Condé qui aimait rappeler que les citoyens d’une république sont toujours dans leur droit de suspecter l’instrumentalisation des institutions par l’Etat. L’état, il est vrai, est un instrument que se donne la république. Mais, comme nous montre l’histoire universelle moderne, l’Etat est congénitalement enclin à abuser de son pouvoir de violence. Le cas échéant, il est une obligation citoyenne de s’opposer à l’instrumentalisation de l’état. Cependant, les responsables et gérants de l’état ont une habilité supérieure de juger du fonctionnement des institutions dont ils sont les gardiens. Ils doivent cependant une explication à leurs citoyens qu’un forcing électoral ne pourrait suppléer. 

Force est de reconnaitre que le référendum demeure un mécanisme constitutionnel obligatoire ou optionnel selon le cas. Il faut aussi rappeler qu’il ne manque pas d’exemples dans l’histoire où le recours au référendum a donné une couverture ‘légale’ (mais pas toujours légitime) à un acte anti constitutionnel. L’Etat d’urgence est en pareil cas proclamé au nom de l’intérêt national et républicain. Il autorise ainsi le chef de l’état de recevoir des pouvoirs exceptionnels dits pleins des pouvoirs. Mais ce cas de figure est appelé état d’exception parce qu’il est censé être provisoire. L’état d’urgence est donc extraordinaire. Il requiert généralement la suspension de certains droits mais seulement selon des principes de légalité, temporalité, proportionnalité, et de non-discrimination. Tout ceci doit être compatible et ou concordant avec un but clairement énoncé qui serait atteint avec la fin de la menace exceptionnelle.

Malgré son utilité institutionnelle, le référendum ne demeure pas moins sans problèmes. Ainsi, la question du recours direct au peuple par la voie référendaire reste-t-il de nos jours l’objet de débats passionnés entre juristes, politologues, sociologues, politiciens ou, tout simplement, citoyens. Le référendum optionnel fait particulièrement l’objet de débats houleux parce qu’il intervient souvent dans des contextes où il n’y a aucune urgence. C’est dans ces cas de non-urgence qu’il faudrait justement faire attention à son instrumentalisation. Même l’histoire moderne récente donnerait raison aux opposants de la proposition de réforme d’aujourd’hui. Par exemple, dans l’Europe de l’Est communiste et parti-états Africains, un amalgame se faisait couramment entre référendum et plébiscite. Le but de ce dernier était de pérenniser le pouvoir du ‘chef.’ Les avertis constaterons, par exemple qu’ils se tiennent de nos jours encore des réflexions sur la question du référendum et des bonnes pratiques en la matière en Europe et partout dans le monde. 

Dans ce cadre, les citoyens de la République de Guinée ont le droit de se demander si le processus actuel ne serait pas le plébiscite d’un chef qui ne dit pas son nom ? Le plébiscite comme son nom l’indique, relève plus de la loi de la plèbe : association ou agglomération de partisans dont le seul but est de s’accaparer du pouvoir et d’en écarter les autres sur une base qui ne relève pas de l’esprit républicain. La France impériale, l'Allemagne hitlérienne, l'Espagne franquiste ont tous organisé des consultations de ce type. Nous l’avons aussi vécu, malheureusement, en République de Guinée, sous les présidents Touré et Conté. 

Il ne demeure moins que le référendum volontariste est toujours permis. Le cas échéant, la bonne pratique exige des majorités considérables allant jusqu’à deux tiers des électeurs dans certains cas. L’option de la super-majorité interviendrait dans le cas présent en Guinée parce qu’il s’agit d’une initiative au niveau de l’Etat, et relève ainsi d’une proclamation plutôt que d’une consultation. Même les partisans de la réforme de la constitution reconnaitront que si l’Etat parvenait à la modification de la constitution sur la base de la supériorité de ses moyens coercitifs, la légitimité du nouveau cadre constitutionnel en souffrirait. 

La Guinée ne fait pas face à aucun déficit constitutionnel ou institutionnel aujourd’hui qui mettrait en danger l’intégrité de l’Etat et de la République sans l’adoption de la présente reforme. Au contraire, la source de conflit actuel semble être le manque de consultation générale et de réflexions sur les motifs de la réforme et l’avenir de nos institutions. Le paradoxe est que les représentants de l’Etat et ceux de l’opposition pourraient aisément convenir sur un certain nombre de points en dépit de leur divergence. Nous notons par exemple le fait que la présente constitution fut conçue dans une période de transition et qu’elle serait donc sujette à révision. 

Comme il l’a fait dans le passé en insistant en tant que citoyen sur le multipartisme, le citoyen-président Alpha Condé devrait comprendre l’opposition dans son instance sur l’ouverture du débat républicain, pas forcément selon les termes de l’Etat.  Le citoyen-partisan Alpha Condé a proclamé, en tant qu’opposant, que la république méritait la démocratie et l’alternance au pouvoir afin de motiver l’initiative citoyenne qui garantit le progrès national. 

C’est pourquoi, nous demandons au citoyen Alpha Condé de miser encore une fois sur le génie du peuple et de dépasser ainsi le reflexe partisan pour le bien-être de la Guinée démocratique et républicaine, qu’il a aidée lui-même à initier. Le peuple de Guinée devrait être en mesure de décider, sans contrainte de temps et manipulation, des calendriers électoraux, s’il désire de prolonger le mandat présidentiel au-delà de deux termes. Le peuple seul doit décider aussi si le changement contemplé pourrait s’appliquer rétroactivement. 

Nous saisissons l’occasion, Monsieur le Président, pour vous affirmer que nous restons ouverts au débat public. Toutefois, nous réitérons notre opposition à la manipulation politique et aux atteintes à l’ordre constitutionnel ainsi qu’à la destruction de biens publics et privés.

New Haven, le 24 février 2020

 

Dr. Siba N'Zatioula Grovogui

niepoulon@gmail.com (courriel personnel)

Professeur de sciences politiques, relations internationales et droit international 

Cornell University – New Haven, USA

Créé le 25 février 2020 19:57

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