Légaux ou pas, les tests osseux pour établir l’âge des jeunes migrants?

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En France, le Conseil constitutionnel doit décider jeudi de la validité des tests osseux pratiqués sur les migrants non accompagnés pour déterminer leur âge. Ces tests, utilisés dans la plupart des pays européens, sont qualifiés de peu fiables et d'invasifs par de nombreux organismes.


Des dizaines de milliers de jeunes migrants non accompagnés arrivent en France chaque année. Ils seront pris en charge par la protection de l’enfance s’ils ont moins de 18 ans.

Et pour déterminer leur âge, il y a toute une procédure.

Les autorités vérifient d’abord la validité des papiers d’état civil, comme l’acte de naissance. Il arrive souvent que ces documents ne soient pas en règle. Ensuite, les jeunes subissent une évaluation sociale menée par le département où ils se présentent, afin de déterminer leur âge.

Si l’évaluateur a des doutes, il peut demander à un juge ou au procureur de la République d’ordonner des tests de maturité osseuse. Le plus souvent, ce sont des radiographies de la main et du poignet gauches. Il y a aussi le scanner de la clavicule et des examens dentaires.

Ces tests sont peu fiables et invasifs, selon plusieurs associations, dont Médecins du monde et le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Elles demandent au Conseil constitutionnel de les interdire.

Ils sont désuets, disent les experts, car ils sont basés sur des données statistiques recueillies dans les années 40 auprès de jeunes Américains bien portants, et ils ne sont pas faits pour déterminer l’âge des enfants, mais plutôt pour évaluer s’il y a des retards de croissance.

De nombreux experts les remettent en question notamment parce qu’ils comportent une trop grande marge d’erreur, soit au moins 18 mois, et qu’ils ne permettent pas d’établir clairement l’âge des jeunes de 16 à 18  ans. C’est sans compter que les enfants sont exposés à des rayons potentiellement dangereux pour leur santé.

Ces tests sont massivement utilisés en France, note Jean-François Martini, juriste au Gisti. « N'importe quel avocat qui défend les mineurs étrangers isolés […] voit des situations d'expertise plusieurs fois par semaine. Oui, c'est massif. »

« Sur la question des tests osseux, ça fait une dizaine d'années maintenant qu'on est très clairement opposés, et on dit depuis le début qu’il n'existe pas de méthode scientifique aujourd'hui pour déterminer l'âge », explique Clémentine Bret, responsable des questions d’enfance vulnérable à Médecins du monde.

Dans la loi depuis 2016

Les tests osseux pour déterminer l’âge des jeunes migrants non accompagnés sont surtout utilisés depuis la fin des années 90, mais ils sont entrés dans la loi seulement en 2016.

L’article 388 du Code civil établit que les tests osseux peuvent être réalisés « en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ». Ils devront être ordonnés par une autorité judiciaire et avec l’accord du jeune migrant.

Et toujours selon la loi, les conclusions des examens osseux ne peuvent à elles seules déterminer si le jeune est mineur. « Le doute profite à l'intéressé », dit l’article 388.

Dans les faits, ce n’est pas ce qui se passe, lance Clémentine Bret. Elle donne l’exemple du jeune Guinéen Adama S., qui a déclaré avoir 15 ans lorsqu’il est arrivé en France en 2016. Sur la base de ses documents d’identité et de l’évaluation sociale, il a d’abord été accepté comme mineur et pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.

Mais cette décision a été contestée par la suite, et on lui a demandé de passer des examens osseux. Il a refusé, comme l’autorise l’article 388 du Code civil. Puisqu’il a refusé les tests, le juge en a déduit qu’il était majeur et lui a enlevé l’aide à l’enfance. En cour d’appel, le jeune a accepté les examens osseux, qui ont déterminé qu’il avait entre 25 et 35 ans, et le juge a conclu qu’il était majeur.

C’est le cas de ce jeune Guinéen qui se trouve aujourd’hui devant le Conseil constitutionnel.

Clémentine Bret fait valoir que, dans cette affaire, les autorités se sont basées uniquement sur des tests osseux, contrairement à ce que dit la loi.

"On voit vraiment que les tests osseux ont une place prépondérante, malgré ce que prévoit la loi aujourd’hui.", explique Clémentine Bret, de Médecins du monde

Le fait que ces examens soient inscrits dans la loi, ça les rend légitimes, note Mme Bret. « Ça légitime le fait que les juges les ordonnent en disant : "S’ils existent, c’est bien qu’ils servent à quelque chose". Alors que le gouvernement lui-même dit : "On sait qu’ils ne sont pas fiables, mais on n’a rien d’autre" ».

Remis à la rue
 

Sur les quelque 50 000 jeunes migrants isolés qui ont demandé la protection de l’enfance en 2017 en France, seulement 15 000 auraient été pris en charge, selon les chiffres du juriste Jean-François Martini. Les autres sont abandonnés à leur sort, dit-il, et remis à la rue du jour au lendemain.

"C'est soit vous êtes mineur et vous intégrez le dispositif de protection de l'enfance; a priori, vous êtes pris en charge, scolarisé, soins de santé et ainsi de suite. Soit vous êtes considéré comme un majeur et on vous remet à la rue", estime Jean-François Martini, du Gisti

Miser sur les documents d’état civil
 

La plupart des pays européens utilisent les tests osseux. Le Royaume-Uni les a abandonnés il y a de nombreuses années au profit d’une approche plus holistique et globale, souligne Clémentine Bret. La Cour suprême espagnole les a aussi interdits récemment, ajoute-t-elle.

Pour le juriste Jean-François Martini, il faut miser sur les documents d’état civil. « Nous, l’idée qu’on défend, c’est qu’en droit français, la preuve de l’identité, donc de l’âge, elle se fait par le document. »

Il croit qu’il faut aider les jeunes qui ont du mal à apporter la preuve de leur identité à reconstituer leur état civil. Son organisation, le Gisti, le fait. « Celle-là [cette tâche], elle est un petit peu plus compliquée que d'organiser un entretien de 15 minutes ou une expertise osseuse. Là, il faut se donner un peu plus de mal. Ça veut dire que c'est plus long, qu'il faut faire des recherches dans les pays d'origine. Mais ça, ça représenterait une véritable garantie. Là, on peut discuter sur des éléments de droit, objectifs. »

Que décidera le Conseil constitutionnel? On le saura jeudi. « Je pense que c'est une opportunité importante pour notre Cour suprême à nous de suivre le pas de la Cour suprême espagnole et des autorités anglaises pour reconnaître que c'est indigne et que c'est contraire aux valeurs qui nous animent et aux droits de l'enfant. Est-ce que le Conseil constitutionnel suivra ces recommandations-là? On verra bien », de dire Clémentine Bret.

AFP

Créé le 21 mars 2019 07:04

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