Le récit pathétique de Aissata D : ‘’C’est un béret rouge qui m’avait pris la main et m’a…’’
CONAKRY-Aissata D fait partie des nombreuses victimes des évènements douloureux du 28 septembre 2009. A l’époque des faits, elle était mariée. Sa vie a basculé.
A quelques jours d’une probable ouverture du procès, cette mère de quatre enfants, abandonnée par son époux, a accepté de livrer son témoignage à Africaguinee.com. Dans cette interview, elle explique sa mésaventure et évoque ses attentes vis-à-vis de ce procès dont l’ouverture est annoncée ce mois.
AFRICAGUINEE.COM : Comment accueillez-vous l’annonce de la tenue du procès du 28 septembre ?
AISSATA D : Je suis très heureuse d’apprendre que ce procès va être enfin organisé. Je fais partie des victimes du 28 septembre 2009. Depuis 13 ans, j’ai divorcée à cause de ce que j’ai subi au stade. Je vis avec ce poids. Si on dit que le procès va s’ouvrir, c’est un grand soulagement pour moi.
Dans deux semaines on va commémorer le 13ème anniversaire de ces douloureux évènements. Qu’est-ce qui vous fait croire que cette fois-ci le procès va s’ouvrir ?
Ce que je peux dire, il y a eu beaucoup de gens qui nous avaient promis d’organiser ce procès sans que cela n’ait lieu. Mais puisqu’on nous a évoqué la date du 26 septembre nous serons édifiées, on a confiance que cette fois-ci ça sera une réalité. C’est mon souhait.
Le 28 septembre 2009, vous vous étiez au stade. Qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là ?
On ne peut pas tout vous expliquer. Certaines choses ne sont pas explicables. Si je dis que je veux tout vous raconter, je risque de m’évanouir. Ces souvenirs me déstabilisent. Le 28 septembre, j’y étais. J’ai vécu dans ma chair ce qui s’était passé. Ce jour-là, j’étais partie au stade enthousiaste. J’avais un nourrisson de quatre mois. J’étais partie avec beaucoup d’autres femmes, des amies, Oumou Kaba et tant d’autres. On a répondu à l’appel des forces vives. Sur la route, on chantait, dansait jusqu’au stade, on suivait les leaders politiques. Mais quand nous sommes rentrés au stade, ce qui s’est passé, jusqu’à ce jour j’en ai le regret, la tristesse.
Pourquoi cela ? Parce que moi, on m’avait battue, blessée sur la tête, j’ai encore les cicatrices sur ma tête. J’aurais bien voulu que ce témoignage se fasse entre femmes pour pouvoir mieux vous expliquer. Ceux qui me l’on fait subir sont des hommes comme vous (pleures).
Des femmes ont été victimes de viol ce jour. Est-ce que vous faites partie de celles-ci ?
Je vous explique les conditions dans lesquelles j’ai repris conscience après ce qui s’est passé. Avant que je commence à descendre des tribunes, les militaires balayaient les gens, c’était la débandade totale. Un militaire béret rouge est venu me dire, ‘’Madame, venez je vais vous faire sortir de-là ‘’. Il m’a attrapée de la main gauche, il avait une arme à feu. Au moment où on marchait ensemble, un deuxième est venu me prendre par les hanches, un troisième militaire est venu et m’a terrassée. Je suis tombée par la face et ma nuque s’est fendue. Je me souviens qu’ils m’avaient conduit jusqu’aux bananiers, il y en avait au stade, à l’époque. C’est tout près que l’autre militaire m’a terrassée. L’un m’a donné un coup de pieds, ils m’ont fait ce qu’ils voulaient (viol). A partir de cet instant-là j’ai perdu complètement conscience. Çà s’est passé aux environs de 16Heures. Au moment où je retrouvais conscience, je n’ai trouvé aucun habit sur moi. Tout avait été déchiré (pleures). J’ai subi une chirurgie réparatrice.
Comment aviez-vous pu sortir du stade, ce jour ?
C’est les agents de la croix rouge qui m’ont sorti des lieux. C’était vers 19heures 30 qu’ils sont venus nous chercher. Ils nous ont transportées à l’hôpital Donka. Jusqu’à ce qu’on m’envoie à Donka, je ne m’étais pas retrouvée. A l’hôpital également, là j’étais alitée, on a entendu les gens dire, « Ils (militaires sont venus encore chercher ceux qui étaient au stade.» C’est une femme, (soignante) habillée en blouse qui a enlevé sa blouse me l’a remise pour couvrir mon corps.
C’est avec cet habit j’ai quitté l’hôpital et aller à Belle-vue, c’est là où j’ai dormi chez elle. Le matin, ils ont appelé mes proches qui sont venus me chercher. Et c’est dans ces circonstances que mon mari m’a renvoyée.
Est-ce que ces évènements ont eu des conséquences sur votre vie ?
A Belle-vue où j’ai passé la nuit, le matin, quand je me suis réveillée, on m’a dit d’appeler un de mes proches. J’ai dicté le numéro de téléphone de mon mari pour qu’il vienne me chercher. Quand on l’a contacté, mon mari a pris son téléphone, il a dit : ‘’ si elle veut, elle peut en mourir ce n’est pas mon problème’’. C’est comme ça il a tourné ma page. Ils ont appelé un de mes frères qui est venu me chercher car ils étaient tous dans l’inquiétude. Quand ils sont venus me chercher, ils ont appelé mon époux, entre temps il se disait que les éléments de Dadis étaient à la traque de ceux ou celles qui étaient au stade. Quand mes frères ont appelé mon mari, il leur a dit qu’il a déjà tourné ma page dans sa vie. Il a embarqué tous mes enfants et les a déposés chez ma mère.
Est-ce que vous aviez informé votre mari de votre participation à cette manifestation au stade ?
J’avais pris la permission auprès de mon mari. Je lui avais dit que je répondais comme d’autres femmes à l’appel des partis politiques, parce que j’étais membre du bureau national d’un parti politique.
Après votre divorce où est-ce que vous étiez allée pour vous soigner ?
Après j’ai quitté ici pour aller à Labé. J’y suis restée pendant six mois. Par la suite, je suis revenue vivre chez une amie pendant des années. Mon enfant partait revendre des plastiques dans la rue, quand il gagne quelque chose, il envoie pour qu’on puisse préparer. On passait la nuit dans des conteneurs et finalement mon amie nous a dit de passer la nuit sur la terrasse. Le matin, eux ils partent à l’école, et moi, je sors pour aller faire la lessive chez les gens pour avoir de quoi nourrir mes enfants. C’est comme ça on s’est débrouillés.
Finalement, Madame Asmaou (président de l’AVIPA), docteur Mukewegué sont venus nous aider (pleures). Ces évènements ont bouleversé ma vie. Mon mari m’a renvoyée avec mes quatre enfants. C’est moi qui les nourris. Cette année même je me demande s’ils vont pouvoir aller à l’école.
J’ai tout arrêté. Dans ma famille, c’est moi l’ainée chez ma maman. Mon papa est décédé. Ma maman ne compte que sur moi. J’ai beaucoup d’enfants et il n’y a personne pour m’aider. Ma maman est au Fouta.
A Labé, comment vous avez fait pour vous soigner ?
C’est grâce à la pharmacopée. C’est avec ça que je me suis traitée parce qu’à Conakry nous étions traquées par les autorités. Certaines de mes amies victimes avaient eu la chance d’être évacuées vers le Sénégal où elles ont été soignées, mais moi je n’ai pas eu cette chance.
Comment certains de vos proches ont réagi lorsqu’ils ont su que vous êtes une victime du 28 septembre ?
Certains disaient que c’était triste ce qui nous est arrivé. D’autres disaient que c’était bien fait pour nous. Par endroit, lorsqu’on passe dans la rue, tu les entends dire, ‘’ ce sont ces femmes-là qui ont été violées au stade’’. Certains, c’est à la présence de mes enfants qu’ils le disent. Il m’arrive souvent de trouver mes enfants en larmes parce qu’on leur a rappelé ce passé sombre de ma vie. Dès que je sors, je les entends murmurer, ‘’ quand maman passe, les gens rappellent cette histoire’’. Finalement je les ai conseillés, en leur disant de faire semblant de n’avoir rien entendu. Ce qui s’est passé, ce n’était pas de ma faute, mais on ne peut rien contre la volonté divine.
Est-ce que ces leaders politiques que vous avez suivis ce jour vous ont apporté un soutien ?
Non. Sauf l’UFDG (union des forces démocratiques de Guinée) qui avait ouvert une caisse de soutien aux victimes. Là-bas aussi quand nous y avons été, on n’avait pas été bien accueillies. Moi, je n’avais rien bénéficié. Quand nous y sommes allées, les femmes qui y étaient, chacune avait un parti politique et c’était par favoritisme. L’accueil n’était pas là, finalement je n’ai rien obtenu parce que même si j’envoyais l’ordonnance, on ne la prenait pas. C’est comme j’ai boudé cette initiative.
Après 13 ans d’attente, ce procès pourrait enfin démarrer, qu’est-ce que vous avez à dire à l’Etat ?
En ce qui me concerne, puisque c’est le président de la République Colonel Mamadi Doumbouya qui a pris cette initiative pour l’organisation de ce procès, si cela est fait, je vais remercier le bon Dieu de plus et bénir le chef de l’Etat. Parce que si un soldat te cause du tort et qu’un autre soldat dit qu’il va le réparer, c’est vraiment remercier le colonel Doumbouya. Si ce procès est organisé jusqu’à son terme, j’aurais eu ma vie.
Est-ce que si on vous appelle à la barre pour témoigner vous allez accepter ?
Bien sûr, je vais témoigner, je dirai tout parce que j’en suis victime.
Avez-vous des doléances auprès des autorités ?
Oui, parce que j’ai peur. Pourquoi parce qu’il y a des gens qui nous appellent pour nous menacer. Même hier (mardi) quelqu’un nous a menacées.
C’est pour cette raison que je demande qu’on renforce notre sécurité pour que je puisse témoigner sans crainte pour ma personne, mes enfants. Je n’irai nulle part. Parce que je ne voudrais prendre le risque d’aller témoigner, et que demain, (que Dieu m’en garde) que cela puisse avoir des conséquences sur mes enfants parce que ils sont tout ce que j’ai dans ce monde.
Quels sont vos attentes à l’issue de ce procès ?
Mes attentes, c’est qu’a l’issue de ce procès, les gens qui nous ont subir ces violences soient mis devant les faits et on applique la loi sur eux et on nous dédommage. C’est tout mon souhait. Ceux qui ont commis actes ont gâché nos vies.
Récemment, le mariage de ma fille a échoué parce que son prétendant a appris par des documents que je suis une victime du stade. Parce qu’avant je faisais des témoignages à visage découvert. C’est pourquoi désormais je ne permettrai plus à quelqu’un de prendre mon visage pour diffusion.
A suivre…
Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 664 72 76 28
Créé le 15 septembre 2022 11:17Nous vous proposons aussi
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