Hissène Habré condamné à la prison à vie

cjr_0qyvaaa0rek

L'ancien dictateur tchadien a écopé, à Dakar, d'une peine d'emprisonnement à vie pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture.


«Coupable» : ce lundi à Dakar, capitale du Sénégal, l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré a été rattrapé par son passé, lui qui n’est jamais sorti d’un silence hostile pendant les longs mois qu’aura duré son procès. Le voilà condamné à la prison à perpétuité, suite au verdict historique rendu par un tribunal spécial sénégalais, qui aura valeur de modèle pour la justice internationale.

L’Afrique donne parfois l’exemple : pour la première fois, un ancien chef d’Etat a été condamné pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, dans un autre pays que le sien. Lequel endosse ainsi le poids de la conscience du monde et de la lutte contre l’impunité des puissants.

De juillet 2015 jusqu’à la fin des audiences en février, sept mois de procès auront vu défiler des centaines de témoins, les représentants de 4 000 victimes qui se sont portées parties civiles, venus raconter l’horreur des tortures, des arrestations et des assassinats. Des vies brisées et des souffrances qui ont attendu vingt-cinq ans avant de pouvoir s’exprimer.

Rare obstination

Ex-rebelle nordiste, d’abord rendu célèbre pour avoir enlevé pendant trois ans l’archéologue française Françoise Claustre, Habré arrive au pouvoir par les armes en 1982. Et très vite s’impose par une terreur paranoïaque jusqu’en 1990, date à laquelle il s’enfuit à Dakar, au Sénégal. Il se croyait en sécurité, il le fut pendant de longues années, jusqu’à son arrestation en 2013.

Car la quête de justice sera laborieuse, parsemée de rebondissements, depuis qu’en 1998 Reed Brody, un avocat américain engagé au sein de l’ONG Human Rights Watch, s’empare de ce dossier. Et va, avec une rare obstination, combattre tous les obstacles pour parvenir à faire juger l’ancien dictateur tchadien.

Car même après son départ du pouvoir, Hissène Habré demeure un homme puissant. Non seulement au Sénégal où il s’installe, et s’assure de soutiens puissants et fortement monnayés, mais aussi au Tchad, où les hommes qui l’ont soutenu et épaulé, ont souvent repris du service dans l’administration du «tombeur» du dictateur : Idriss Déby, aujourd’hui encore au pouvoir à N’Djamena. Lequel avait été l’un des plus proches conseillers et le chef d’état-major de Habré avant de se retourner contre son mentor.

40 000 victimes

En 1999, les premiers témoignages concernant le règne de Hissène Habré, qui aurait fait au total 40 000 victimes, devront être transportés dans le plus grand secret de N’Djamena, cachés dans une valise dont le propriétaire, un jeune avocat belge mandaté par Reed Brody, endurera quelques sueurs froides avant le décollage de son vol Air Afrique pour l’Europe.

Car au Tchad, même après le départ de Habré, les témoins ont peur, leurs défenseurs seront menacés ou molestés, comme ce fut le cas de l’avocate tchadienne Jacqueline Moudeina. Mais une des victimes du dictateur, qui a passé à partir de 1988 plus de deux ans dans les geôles de Habré, endurant les tortures les plus atroces, brisera le premier le silence : simple fonctionnaire, pris dans la machine à broyer du régime, Souleymane Guengueng jouera un rôle crucial pour la quête de la vérité et l’aboutissement de ce long parcours judiciaire. Lequel rebondira de Dakar à Bruxelles (où les victimes déposeront également une plainte en s’appuyant sur l’adoption de la compétence universelle par la justice belge en 1993), puis à l’ONU (où finalement la Cour internationale de justice exigera, en 2012, que le Sénégal juge l’ancien dictateur tchadien).

Le procès d’Hissène Habré est donc également exemplaire en montrant combien la volonté acharnée d’une poignée d’hommes et de femmes, Reed Brody, Souleimane Guengueng, Jacqueline Moudeina et quelques autres, peut littéralement soulever des montagnes et aboutir à un procès longtemps considéré comme utopique. Ces combattants de la justice, sont ce lundi les héros du jour.

Soutiens étrangers

Mais bien des questions resteront dans l’ombre : à commencer par les soutiens étrangers qui ont permis à Habré de se maintenir au pouvoir pendant huit ans. Allié de la France et des Etats-Unis contre le régime libyen de Muammar al-Kadhafi qui attaquera plusieurs fois le Tchad et occupera même un temps le nord du pays, Hissène Habré ne sera lâché qu’aux derniers jours, voire aux dernières heures, de son règne par ses puissants parrains qui avaient fermé les yeux sur ses exactions pendant tant d’années. L’aveuglement cynique de ceux qui ont cautionné ce régime sanglant n’a suscité aucun mea culpa ou même révision déchirante.

Aujourd’hui, Paris soutient tout aussi aveuglément Idriss Déby, pourtant impliqué dans certains massacres au temps de Habré. Et notamment lors du fameux «septembre noir» de 1984 où des villages supposés rebelles dans le sud du pays ont été le théâtre de tueries massives. En avril 2015, Deby n’hésitera pas à expulser du Tchad, de façon extrêmement musclée, l’envoyé spécial de Radio France international (RFI) qui accompagnait Reed Brody dans l’une de ses dernières missions sur place avant l’ouverture du procès à Dakar.

Et un an plus tard, en avril 2016, la réélection très contestée de Deby ne suscitera de réactions à Paris où le président tchadien est considéré comme un allié incontournable. Non plus contre Kadhafi bien sûr, mais contre le péril djihadiste qui sévit dans le Sahel, et au nom duquel on ferme les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme au Tchad.

Ironie de l’histoire, le jour où est prononcé le verdict du procès Habré, un opposant tchadien à l’actuel homme fort du pays, Mahamat Ahmat Lazina tenait une conférence de presse à Paris. Enlevé le 17 avril dans la capitale tchadienne et détenu pendant dix jours, il n’a été libéré que grâce à la pression de la communauté internationale puis exfiltré en France grâce à l’aide de l‘Union européenne. Aujourd’hui il dénonce à son tour, les atrocités du régime d’Idriss Déby.

 

liberation

Créé le 30 mai 2016 18:38

Nous vous proposons aussi

TAGS

étiquettes:

TOTAL

ECOBANK

UNICEF

LONAGUI

LafargeHolcim

cbg_gif_300x300

CBG

UBA

smb-2

Consortium SMB-Winning

Annonces

Recommandé pour vous

Annonces

Siège de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS)