Hadja Rabiatou Sérah Diallo, ancienne présidente du CNT: « je n’ai pas lutté pour avoir une récompense… »

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CONAKRY-Six mois après son départ du Conseil national de la transition (CNT), que devient Hadja Rabiatou Sérah Diallo? Après un long silence, cette icône du syndicalisme guinéen  dévoile ses projets et interpelle les acteurs politiques guinéens pour préserver la paix en Guinée. Entretien exclusif!


Africaguinee.com : Six mois après votre départ  à la tête du Conseil National de  la Transition (C.N.T) peut-on savoir ce que vous êtes devenue ?

Hadja Rabiatou Sérah Diallo : Pour le moment je suis à mon domicile où je  fais des lectures et je revois certains documents (…) ;  je collabore également avec certaines Organisations sur le plan International. Récemment  d’ailleurs,  avec l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), j’ai participé  à la conférence des Sociétés civiles  et des ONG femmes et  jeunes vecteurs  de paix. Sur le plan national aussi, je m’investis beaucoup avec  les Universités concernant  l’entreprenariat des  jeunes femmes. Donc j’arrive à travailler avec les jeunes et la coalition des femmes et des jeunes filles dirigées  par Docteur Makalé  Traoré. Ainsi, je partage ma petite expérience pour aider les autres. Donc  voilà ce à quoi je m’occupe depuis que j’ai quitté le CNT.

Africaguinee.com : Depuis votre départ à la tête de cette institution transitoire,  vous n’avez bénéficié pour l’instant d’aucun autre poste de responsabilité. N’êtes-vous pas frustrée ?

Non je ne le suis pas ! Je ne suis pas du tout fâchée car  je n’ai pas travaillé pour m’attendre à une récompense. Si j’ai lutté,  j’ai risqué ma vie  avec mes collègues et ma famille, je l’ai fait  pour  ma nation  et pour moi-même.  Ma seule récompense est que vraiment cette lutte mène à bon port,  que les objectifs  soient atteints. Mais si on me confie aussi  des responsabilités je ne vais pas les rejeter. Je n’ai pas lutté pour avoir une récompense. Et, d’une manière ou d’une autre, moi je suis là pour servir  ma nation la Guinée. Je souhaite que mon pays sorte de la misère, qu’on lutte contre la pauvreté, la corruption et les détournements de deniers publics, et que tout le monde se sente à l’aise pour que les richesses du pays soient partagées.

On nous a rendu pauvre ; quand je vois que les objectifs ne sont pas atteints  ou qu’on emprunte d’autres chemins qui approfondissent  la pauvreté en Guinée,  que nos compatriotes n’ont pas accès à l’éducation, à la santé, à la nourriture, aux vêtements ; en ce moment, mon cœur grince quand même.

Africaguinee.com : Quel regard portez-vous sur le mouvement syndical guinéen dont vous êtes d’ailleurs issue ?

Je pense que nous sommes en train de perdre de la vitesse, ou alors nos esprits sont en train de voyager, parce que les travailleurs de la Guinée ne méritent pas tout cela et nous ne pouvons réussir que dans la solidarité. Je souhaite que les syndicats et le mouvement social soient solidaires comme par le passé. Si nous avons réussi à obtenir qu’on ait aujourd’hui un président de République, une Assemblée Nationale, et une jeune démocratie c’est parce qu’on était solidaire. L’objectif était le même. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, les efforts  sont dispersés, chacun va de son côté, chacun lutte pour soi-même, ou des problèmes ethniques ou politiques. Cette attitude est une façon de trahir le peuple. Je pense qu’il faut remettre la balle à terre et que le mouvement social qui est à la base de toute cette réussite,  qu’il médite, qu’il se dise donc qu’il faut reconstituer ce tissu social et consolider  nos acquis avec évidemment  tous  ceux qui nous ont supporté sur le plan national , africain et international.

Vous vous souviendrez que le syndicat a commencé seul, mais après il y avait la société civile, la coalition des femmes, les confessions religieuses, les sages, les partis politiques pour créer le forum des forces vives, il y avait un cadre de concertation. Si on a lutté au départ,  c’est parce que la Guinée n’a connu qu’une seule vitesse, c'est-à-dire la marche arrière. Et j’ai comme l’impression qu’on est en train de revenir à cette vitesse. Si je prends un seul exemple, le pacte de convergence et de stabilité en République de Guinée, cela  a été une initiative de la Guinée, mais aujourd’hui le Sénégal s’en ait approprié et ils sont partis plus vite et plus loin que la Guinée ; car les sénégalais  ont déjà signé ce pacte. Ils l’ont montré la dernière fois à la conférence Internationale du travail (tenue à Genève, du 28 mai au 12 juin 2014, Ndlr).

Africaguinee.com : Parlez-nous de vos projets…

C’est de m’investir  avec ma petite expérience pour la paix, pour la promotion de la femme, l’entreprenariat des jeunes, pour que les jeunes sachent que l’Etat ne peut pas prendre tout le monde en charge,  tout le monde ne peut pas relever de la fonction publique. Mais si on ne s’occupe pas de la jeunesse, la jeunesse va s’occuper  de nous.  Donc il faut aujourd’hui se tourner vers  cette couche et savoir ce qu’elle veut  réellement, les maux dont elle souffre. S’il ya du travail décent on va diminuer la pauvreté, le banditisme, l’insécurité.

Donc j’ai envie vraiment de m’investir sur ce plan à tous les niveaux. Particulièrement  sur le plan national, travailler avec les femmes avec cette jeunesse  pour changer la donne, je m’accentue surtout à aller là où les jeunes se mobilisent pour  les motiver. D’ailleurs  des étudiants de la promotion 2012 de l’université Réné Levesques à Conakry veulent créer une fondation pour  me donner le nom. Mais je ne voudrais pas porter le nom de cette fondation parce  qu’il y a des critères pour une fondation, il faut avoir les statuts, il faut que les membres cotisent, avoir les moyens financiers et matériels  et il faut consulter des grandes personnalités. Je pense qu’il faudra consulter par  exemple les  Présidents  de l’Assemblée Nationale   comme Biro Diallo, Somparé Aboubacar, ou encore Mme Jeanne Martine Cissé (ancienne représente de la Guinée à l’ONU, Ndlr) qui est une « bibliothèque vivante ».Il s’agira de demander leur avis  pour qu’on puisse aider ces jeunes à créer leur fondation au service du pays.

Africaguinee.com : Peut-on vous attendre sur le terrain politique ?

Non le terrain politique m’intéresse très  peu. Parce que je ne veux pas écarter les politiciens de cette activité  que nous allons mener avec les femmes, les jeunes, les religieux, le mouvement social, les syndicalistes. Je ne vais pas les écarter parce que ce sont des guinéens, ils en ont besoin. Mais je ne veux pas m’investir personnellement sur le terrain politique. Je suis venue sur ce terrain accidentellement en dirigeant la présidence du CNT  pendant la transition, cela ne signifie pas que j’ai des ambitions politiques. J’aimerais rester  dans le mouvement social, être  avec les jeunes, les femmes, les syndicats et la société civile. Et  autant respecter mes frères et sœurs qui sont dans l’arène politique.

Africaguinee.com : A un an des élections présidentielles en Guinée, les discours politiques se radicalisent. Selon  vous qu’est-ce qu’il faut faire pour éviter  des violences au cours de cette échéance électorale ?

Pour tout ça, j’aurais souhaité que la nouvelle Assemblée  Nationale, s’approprie de ce pacte de convergence  et de stabilité pour que chacun s’engage à nous faire éviter encore des violences  dans le pays, des tueries inutiles, des destructions inutiles. Parce que  tout cela va approfondir la pauvreté. Il faut qu’on respecte la loi, tant qu’on ne  respecte pas les lois qui régissent notre pays on va passer à côté ; il faut la rigueur dans le respect de la loi. Et que chacun puisse aussi respecter son engagement, et les politiciens, et l’exécutif, chacun doit pouvoir respecter ses engagements. Si on ne respecte pas tout ce que j’ai cité, c’est sera l’échec. Mais si nous voulons réussir et bâtir notre nation,  il faut absolument s’écouter, se parler et respecter les lois du pays et nos engagements. Nous devons aussi   assurer la justice sociale éviter l’exclusion, les frustrations. Tout cela peut amener  à s’écouter, à être autour d’une table et à trouver des solutions et ne voir que la Guinée en face. Et c’est maintenant qu’il faut s’investir à cela. Il ne faut pas attendre 2015 pour le faire. C’est maintenant que tous les acteurs politiques et socioprofessionnels doivent se mobiliser notamment les medias  pour que  tout le monde  joue son rôle, afin que 2015 ne soit pas une année de violence.  J’en appelle à la conscience de tout un chacun, car la loi et la constitution ne sont  pas pour une ethnie, ni pour une région, mais elles sont là pour la République de Guinée et les guinéens. Au-delà, qu’on se respecte aussi, pour ceux qui veulent nous aider au plan international aussi, pour qu’ils s’assurent que nous pouvons aussi nous prendre en charge.

Africaguinee.com : Quel regard portez-vous sur le dialogue politique en cours ?

Comme je l’ai dit, il faut d’abord respecter ses engagements, que ça soit le pouvoir en place, l’opposition, la mouvance et même le simple citoyen. Il faut que chacun sache qu’est-ce que la loi dit, qu’est-ce que nous voulons pour ce pays. Ne pas  rester pour régler  des problèmes personnels. La Guinée représente une référence dans la sous-région parce que les bonnes initiatives viennent toujours  d’ici. Souvent, c’est quand nous avons de très belles initiatives ici que d’autres pays profitent de cela pour développer chez-eux. Il faut qu’on sache que nous n’avons qu’un seul drapeau, un seul hymne national. En tout cas, je n’ai pas entendu de tous ces régimes passés ou présents  qu’on a changé l’hymne national. On  est régi  par cela, on est régi par une seule monnaie. Pourquoi aujourd’hui on va se diviser ?  Pourquoi ne pas se comprendre, s’écouter ? Il faut que chacun sache qu’il a des responsabilités à assumer et que ce pays nous appartient tous.

Vous s’avez « le mensonge prend l’ascenseur, il va vite et la vérité prend l’escalier ils n’arriveront pas au même moment. Mais quand la vérité arrive, le mensonge reprend  le même ascenseur pour descendre »  Mieux que cela, on a toujours tendance à tendre la main vers l’extérieur, à croire à l’extérieur mieux que nous,  alors que notre culture est là, pourquoi ne pas utiliser cela pour régler nos différends. Evidemment, on ne peut pas se passer d’eux, mais quand on te lave le dos, laves-toi le ventre (Sic !)

Il ya une chose qui m’intrigue parmi les acteurs politiques. Il y a des gens que je ne reconnais plus ! Je me demande souvent si c’est tel homme politique que j’ai connu  par le passé ! Cette lutte que nous avons menée  n’est pas  l’émanation d’une seule personne, c’est tout le monde qui a lutté pour qu’on arrive à avoir un pouvoir civil. Ils étaient tous dans le forum  des forces vives.  Donc, quelle est la raison aujourd’hui qui fait qu’ils ne s’entendent pas ? A moins qu’ils aient derrière la tête  des intérêts ou une vision purement personnelle. Parce qu’à l’époque quand on luttait, on ne parlait pas d’ethnie, ni de région, pourquoi ne pas voir rien que la Guinée ? C’est aussi simple que cela. Donc, je me demande d’ailleurs s’ils ont tous la volonté d’amener la Guinée là ou nous voudrions qu’elle soit ? Est-ce qu’ils ont cette volonté ?

 Et, c’est pour cela, il ne faut pas que la jeunesse soit instrumentalisée. Vous savez  que  c’est l’argent  qui parle, je me rappelle en 2006, on avait utilisé l’argent, mais la jeunesse a  utilisé ces sous pour dire que c’est l’argent du contribuable  et ils n’ont pas fait ce que  les autres voulaient qu’ils fassent. C’est parce que la jeunesse a pensé d’abord à l’intérêt  supérieur de la nation. Alors, je demande  qu’on privilégie la nation guinéenne, on a pas besoin qu’on vienne nous dicter ce qu’on doit faire.

Lors des élections législatives du 28 septembre 2013, regardez  l’engouement du peuple, cela veut dire tout simplement que le peuple en a marre et qu’il veut aujourd’hui se libérer, se nourrir, se vêtir, être à l’aise et accéder aux soins de santé et à l’éducation de leurs enfants.  C’est pour cela qu’il y a eu l’engouement ce 28 septembre pour mettre l’Assemblée Nationale en place.

Donc chacun doit se mobiliser  à commencer parle chef de l’Etat, la mouvance et l’opposition  pour qu’ils sachent qu’ils ont un compte à rendre à ce peuple. Que le peuple a trop souffert. Comme on le dit dans la plupart de nos langues vernaculaires il y ‘a trop de ‘’HAKKE’’ (Péchés, Ndlr),  qu’on évite cela.  Aujourd’hui tout le monde le sait, on peut le toucher du doigt. On ne peut pas changer la donne,  chacun connait le chemin qu’il faut suivre. Sinon ce sera comme quand tu harcèles trop le lézard, arrivé  jusqu’au mur il va se retourner contre toi parce qu’il n’aura plus peur.(proverbe africain, ndlr).

 Il ne faut pas occulter que le monde est devenu aujourd’hui un village planétaire, tout le monde a accès à l’information, on voit ce qui se passe ailleurs, les gens n’ont plus peur. Il faut aussi comprendre que la sous-région est beaucoup menacée. Les acteurs politiques doivent mesurer leurs responsabilités et choisir la Guinée et son peuple, et mettre de côté leurs intérêts personnels.

Africaguinee.com : Hadja Rabiatou Sérah Diallo merci !

C’est moi qui vous remercie !

 

Interview  réalisée par Diallo Boubacar 1

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 655 31 11 12

Créé le 21 juillet 2014 15:20

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