Guinée/Harcèlement dans les médias : Des consœurs brisent le silence…

CONAKRY-Du fait des pesanteurs socioculturelles, le harcèlement est un sujet tabou y compris dans les médias. Le phénomène existe pourtant dans les rédactions, mais les journalistes n’en parlent pas. Pour percer l’abcès, Africaguinee.com choisit de donner la parole à des victimes qui dévoilent la facette cachée d'une réalité passée sous silence. Il y en a parmi elles qui sont réticentes. D’autres en parlent à condition d’être sous anonymat. Rare sont celles qui acceptent de témoigner à visage découvert pour dénoncer les harceleurs qui sont souvent leurs confrères, leurs patrons ou des personnalités publiques, ministres, députés ou directeurs nationaux.
En 2011, Aminata Pilimini Diallo, l'une des rares à accepter de témoigner à visage découvert, décroche un stage dans une radio de la place. Passionnée du journalisme, elle a vite déchanté. De par l’attitude de son rédacteur en chef, elle ne fera que deux mois de stage avant de plier bagage.
« Mon rédacteur en chef m’envoyait des textos chaque soir pour m’inviter à aller prendre un verre avec lui, en mentionnant des mots comme ‘’bébé’’ ‘’ ma chérie’’ etc. Quand je revenais le matin à la radio, il me demandait pourquoi je ne répondais pas à ses messages, je lui disais que je ne les avais pas reçus et lui demandais de quoi parlaient ses messages. Il ne me disait rien en face. Cela se répétait chaque jour durant des semaines. Il a fini par ne plus m’envoyer sur le terrain. Je l’assistais dans une de ses émissions, il a arrêté de me faire entrer en studio avec lui. Je préparais certains de ses programmes, il a bloqué tout. Donc j’ai fini par quitter et abandonner pendant trois ans, le métier qui me fascinait tant”, explique Mlle Diallo, aujourd’hui devenue porte flambeau des féministes de par son engagement pour le droit de la femme en Guinée.
“Borin Ibon kan, Borin Ilan kan"
Le cas de Pilimini n’est pas isolé. Zeinab Diallo a, elle aussi, vécu un scénario similaire. « Au début de ma carrière, j’ai été victime de harcèlement de la part de mon directeur général. Je faisais mon stage dans une radio, mon DG tenait des propos très gênant à mon en égard. Par exemple si quelqu’un te dit si tu acceptais ça, j’allais faire ça pour toi. Pour moi, c’est du harcèlement. Moi, je l’appelais oncle, mais lui se permettait de me dire ‘‘borin ibon kan, borin ilan kan’’ et d’autres paroles indécentes que je n’ai pas appréciées. Franchement, cela ne m’avait pas permis d’évoluer au sein du média. Je n’avais fait que 3 mois et puis j’ai quitté après avoir été licenciée ainsi que d’autres collègues », se souvient Zeinab, aujourd’hui journaliste à Gangan TV.
Vicitme de son directeur de l’information
Au début, Mlle K.K ne doutait de rien. Contre toute attente, son confident se transforme en harceleur invétéré. « J’ai travaillé dans un média, le directeur de l’information m’a parlé de mariage. C’est quelqu’un que je connaissais avant même qu’on ne partage la même rédaction. Côté boulot, c’est quand même un travailleur. J’estimais que c’est une personne de confiance. Donc, à un moment, je me suis engagée. Mais, finalement, cela n’a pas marché. Il m’a fait comprendre que si le mariage n’a pas marché, on pouvait vivre une relation extraconjugale. Et moi, je n’étais pas du tout consentante à cette idée, mais lui, par contre, il y tenait. En plus, je ne peux pas sortir avec un collègue de travail à plus forte raison mon chef. De mon côté, le harcèlement a commencé à se répercuter sur mon boulot. Il était passé par des menaces de sanctions. Il est allé jusqu’à porter plainte au niveau du directeur. Je recevais tout le temps, des appels et des messages qui ne me plaisaient pas », confie la journaliste qui, n’en pouvant plus, a pris une décision radicale.
« Au finish, j’ai décidé de me rendre justice. Un jour puisqu’il n’arrêtait pas, j’ai dévoilé tout ce qu’il me faisait. J’ai subi des sanctions pour ça et j’ai failli même d’être licenciée. J’ai perdu des opportunités de reportage à cause de cette situation parce que j’avais décidé de ne pas être en bon terme avec lui. En complicité avec le rédacteur en chef, il me laissait là pour confier le boulot à quelqu’un d’autre. J’étais aussi présentatrice. Il arrivait des moments où ce n’était pas mon tour, mais il m’exigeait de présenter le journal. Si je refusais, je subissais de sanctions ».
« Pourtant, tu n’es pas une sainte »
Tout en admettant que le harcèlement existe dans toutes les professions, Mme D.A.B estime que dans le secteur médiatique guinéen c'est pire. « Personnellement, j’ai été victime de mon rédacteur en chef. Au départ, il m’avait pris comme une sœur, on était des confidents. Pour moi, c’était quelqu’un qui avait la volonté de m’aider pour me perfectionner dans le métier. Au fur et à mesure qu’on se côtoyait, il a changé en autre chose en voulant coûte que coûte sortir avec moi. Quand j’ai compris son dessein, j’ai commencé à l’éviter. C’est ainsi, il avait pris l’habitude de m’écrire tardivement la nuit. Etant mariée, je lui ai dit d’arrêter. Ayant constaté mon refus, un jour il m’a dit pourtant tu n’es pas une sainte et qu’il connaissait beaucoup de choses sur moi. Je lui ai demandé si c’était une menace en lui faisant comprendre qu’avec moi qu’il ne faut même rêver. A partir de ce jour, comme c’est lui qui coordonnait la rédaction, il a commencé à me ségréguer. Je pouvais passer toute une journée dans la salle de rédaction sans rien faire. Un jour, on a failli s’insulter dans la rédaction. J’étais en train de travailler lorsqu’une autre consœur est revenue d’un reportage. Il est venu me dire de céder la place à celle-ci, j’ai dit niet. Je ne peux pas dire que c’était la cause, mais à moins de 2 semaines, il a fini par démissionner du media », se souvient-elle.
Un député qui harcèle…
Au-delà de ce qu’elles subissent dans les salles de rédaction, les femmes journalistes font aussi l’objet de harcèlement sur le terrain. Nous sommes en fin 2020. Mlle H. B a rendez-vous avec un député dans le cadre d’une interview.
« Il n’a pas voulu se limiter dans le cadre professionnel, il a voulu pousser les bouchons un peu plus loin. J’étais partie jusqu’à dans son domicile. Heureusement pour moi, il y avait de gens dans la cour. Pour me débarrasser de lui, je lui ai dit que j’avais tout enregistré afin que je puisse sortir de chez lui sans subir de violence de sa part. Je lui ai dit que si quelque chose m’arrivait, il serait responsable. Finalement, il a pris peur. Depuis ce jour, quand il y avait des informations le concernant, il ne répond pas à mes appels », confie H. B.
« On est passé dans une ruelle qui débouche dans un motel »
Un jour, la journaliste K.A.D est allée interviewer un directeur national d’un département ministériel. Là aussi, ça ne s'est pas limité au simple cadre professionnel.
« A la fin de l’interview, il m’a demandé de l’attendre pour me déposer puisque lui-même partait vers Hamdallaye. (…) Entretemps, je suis allée à Labé. Il m’a demandé quand est ce que je rentrais à Conakry, je lui avais dit très bientôt. A mon retour, je lui ai envoyé un message pour lui dire que l’interview est déjà publiée. Il a sollicité me voir dans son bureau. J’y suis allée, on a échangé. Il m’a dit que la prochaine mission qu’il va avoir, on partira ensemble à condition que j’accepte de loger dans la même chambre que lui. Je lui ai dit non. (…) Quand on était dans sa voiture, il me disait que lui, il préfère discuter avec les textos que c’était plus discret. Moi, je pensais qu’il faisait allusion aux informations. Arrivée à un certain niveau, on est passé dans une ruelle qui débouche dans un motel sans me prévenir. On rentre, il avait déjà pris une chambre. Je lui fais comprendre que si j’ai accepté de descendre de la voiture c’est parce que je ne voulais pas lui manquer de respect devant son chauffeur. Il a insisté, je lui ai dit que ce n’est pas possible. J’étais étonnée, choquée et déçue qu’une personnalité comme lui soit aussi pervers »; explique K.A.D.
Une autre fois, Mlle K.A.D a eu à faire à un jeune entrepreneur agricole. « Celui-ci avait eu de problèmes à cause de l’arrêt des pluies. Puisque je suis passionnée par le secteur rural, lui et moi on échangeait souvent au téléphone. Une fois, il est venu à Conakry et m’a invité à aller voir son champ. Je lui ai dit que je ne devrais pas aller seul et que je devais faire accompagner par un cadreur. Il a dit qu’il accepte à condition que je partage sa chambre et que mon collègue reste dans une autre chambre. Je lui ai dit que ce n’était pas possible. Il me demande si je savais qu’il avait de sentiments pour moi, je lui ai dit que je n’étais pas intéressée par ce genre de relation. Finalement, il m’a dit qu’on devait surseoir au reportage parce que j’ai refusé ses propositions».
« Différence entre un homme qui vous aime et un homme qui vous harcèle »
« Je sais bien que nous, en tant que femmes, nous faisons la différence entre un homme qui veut sortir avec vous et un homme qui vous harcèle. Quelqu’un qui te dit ‘‘je t’aime’’, ‘‘je veux de toi’’ ou qui t’appelle après une interview’’ je me dis que c’est quelqu’un qui s’intéresse à toi. Par contre, le harcèlement c’est quand c’est moyennant quelque chose. Par exemple quand tu vas vers quelqu’un pour une interview et que celui-ci te dit si tu ne lui donnes pas ton numéro ou que tu ne l’accordes pas une soirée qu’il ne va pas t’accorder l’interview ça c’est un harcèlement », précise Zeinab Diallo avant de lancer un appel à ses consœurs.
« Je lance un appel à mes consœurs de ne pas tout mettre à l’actif du harcèlement. Parfois dans les relations, on peut être avec de gens qui nous aiment et qui nous admirent. Il faut savoir ce qu’on veut et d’écouter ceux-ci tout en se respectant. Ce n’est pas parce que quelqu’un qui dit que je suis jolie, je suis bien habillée que ça devient du harcèlement. Aujourd’hui tu me dis que je suis bien habillée, demain je te dirai que tu es bien habillé. Si tu dis que tu m’aimes si c’est du sérieux, je te dirai que je suis d’accord. Mais il ne faudrait pas qu’on se gêne et se victimise pour dire qu’on est harcelée. Il faut surtout qu’on refuse la facilité, de se mettre à la hauteur des choses et de croire en nous. Même les femmes peuvent harceler les hommes », dit-elle.
Abdoul Malick Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 669 91 93 06
Créé le 24 juin 2021 10:22