Guinée : Immersion dans l’univers mystique des Donzos… (Exclusif)
CONAKRY-Souvent accusés d’être un « bras armé » du parti au pouvoir, le RPG arc-en-ciel, les chasseurs et guérisseurs traditionnels connus sous le nom de « Donzos » brisent le silence. Cette corporation "mystérieuse" qui a existé pendant des millénaires dans le manding, a résisté à l’épreuve du temps. Ils sont très connus dans nos sociétés. Mais, aujourd’hui, à tort ou à raison, assez de stéréotypes sont collés à eux. Les donzos de Guinée sont réunis dans une association de plus de 120.000 membres.
Qui sont-ils ? Comment fonctionnent-ils ? Sont-ils soutenus par le pouvoir de Conakry pour réprimer les manifestations de l’opposition ? A travers cette interview, Africaguinee.com vous plonge dans l’univers mystérieux des donzos de Conakry. Entretien exclusif avec Monsieur Billy Nankouma Sidibé, porte-parole de l’Union Nationale des chasseurs et guérisseurs traditionnels de Guinée.
AFRICAGUNEE.COM: Monsieur Billy Nankouma Sidibé, dites-nous tout d’abord c’est quoi un Donzo ?
BILLY NANKOUMA SIDIBE: Un donzo, pour ce qui est connu ici, est quelqu’un qui tue les gibiers. Mais proprement dit, un chasseur est quelqu’un dont le rôle est lié à la sauvegarde de la faune et de la flore et en même temps celui de tuer des animaux appropriés à la chasse puisque ce ne sont pas tous les animaux qu’on est censé abattre.
Les chasseurs traditionnels ont longtemps existé dans nos sociétés, quels étaient leurs rôles spécifiques ?
Bien ! Avant tout, le monde a commencé par la chasse. Il y a assez de villages et de villes qui ont été découverts par les chasseurs ou qui en ont été d’ailleurs les fondateurs. Dans le passé, les services des eaux et forêts n’étaient pas tellement d’accord avec les chasseurs. Pourquoi ? Parce qu’on abattait presque tous les gibiers. Mais à nos temps, notre rôle est de sauvegarder la faune et la flore.
Vous êtes réunis au sein d’une association. Parlez-nous un peu de votre groupement ?
Comme je l’ai dit, nous sommes une union des Chasseurs et guérisseurs traditionnels de Guinée agréée en 2009. Elle réunit tous les chasseurs de la République de Guinée qui regroupe plus de 120 mille adhérents. Nous sommes représentés à travers tout le pays, de N’Zérekoré jusqu’à Koundara.
Est-ce que vous avez une affiliation politique ?
Nous n’avons rien n’à avoir avec la politique. Notre organisation est apolitique.
Pourtant on vous taxe souvent d’être un bras armé du parti au pouvoir, le RPG-arc-en-Ciel. Pourquoi ?
Comme je l’ai si bien dit, nous sommes apolitiques. Tout le monde est libre d’être pour le Gouvernement en place ou pas. Mais en ce qui nous concerne, ce Gouvernement a d’ailleurs trouvé que nous avons notre agrément. Comme les gens le pensent, nous ne sommes pas liés au régime en place. Mais comme nous sommes dans la société active s’il y a quelque chose qui touche à cette société, quand on nous fait appel nous répondons.
Pourtant pendant les violentes manifestations qui ont secoué ces dernières semaines la capitale, on a vu des gens qui ont des accoutrements comme les vôtres et qui ont été présentés comme des chasseurs Donzo au siège du RPG, et qui étaient censés empêcher les militants de l’opposition de manifester?
Nous sommes ravis par cette question. Cet évènement est venu, on ne pensait même pas à la présence d’un chasseur sur le terrain. C’est par après qu’on est venu nous dire que des chasseurs ont été battus dans la rue. D’autres disent même que c’est le Président qui a fait appel aux chasseurs.
Le Président Alpha Condé ?
Oui d’autres pensent comme ça. Mais je vais vous dire : Le Président Alpha ne peut pas faire appel aux chasseurs sans se référer au président de notre Union. Ensuite, on ne peut pas faire appel aux chasseurs parce qu’il y a une manifestation ou une revendication. Qu’est-ce que nous avons à faire dans des manifestations ? Pourquoi ? Les chasseurs n’ont rien à voir dans ça. Ce sont des manifestations qui sont reconnues puisque c’est la constitution même qui le dit. On peut faire appel aux chasseurs que quand il y a des cas spéciaux comme par exemple s’il le pays est confronté à une rébellion ou une agression (…), là les chasseurs auront leur place.
Mais pas dans les manifestations de rue surtout pour quelqu’un qui réclame son droit, vraiment on n’en a rien à faire en tant que chasseurs. Ce qui reste clair, les chasseurs qui étaient ces jours dans la rue ne sont pas des nôtres. Nous ne les connaissons même pas. Dieu merci, nous avons vu que ceux qui ont été battus même à travers leurs accoutrements, ils ont une couleur spéciale. On ne les reconnait pas. Nous ne sommes pas liés à ces gens.
Vous estimez que mêmes leur accoutrement est diffèrent du vôtre. Dites-nous quelle est alors la différence ?
Nous avons vu dans certains médias qu’ils ont été appréhendés avec des cartes de membres, vous n’avez qu’à mener votre enquête. Nous avons des signes distinctifs avec deux logos avec le signe des eaux et forêts qu’ils n’en ont pas.
Pensez-vous que ces gens nuisent à votre réputation ?
Bien-sûr qu’ils sont là pour salir notre réputation. S’ils sortent dans la rue pour agresser les citoyens, on dirait que ce sont les chasseurs. C’est une manière de nous salir alors que nous sommes reconnus par tout le monde à travers même notre agrément. Si d’autres chasseurs se présentent pour faire des dégâts qui ne nous incombent pas et c’est pour salir notre image.
Quelles dispositions avez-vous prises contre ces gens qui, selon vous, nuisent à votre image ?
Notre président a d’ailleurs entamé une option de porter plainte contre ces gens qui veulent nous nuire et salir notre image. Cette démarche est en cours avant même votre arrivée ici.
Ces accusations n’ont pas commencé aujourd’hui, même en 2013 en prélude aux législatives, on avait vu des personnes habillées comme ça pendant les manifestations ou encore au siège du RPG à Hamdallaye. Voulez-vous dire que ces gens-là aussi n’étaient pas de votre corporation ?
Je vous dis qu’il y a des chasseurs qui cherchent à salir notre image. Il n’est pas aisé de nous faire appel (…).
Qu’est-ce qu’il faut pour qu’on vous fasse appel ?
Il faut qu’il y ait une agression venant de l‘extérieur ou une rébellion (…), là, les chasseurs ont leur place. Je vais vous dire : les chasseurs ont leur place qui n’est pas égale aux militaires, mais ils jouent un rôle fondamental dans des cas pareils.
Au début des années 2000 la Guinée a fait l’objet d’une attaque rebelle. Est-ce qu’à l’époque les chasseurs avaient joué un rôle ?
Oui tout à fait ! Nous avons joué un rôle très important et fondamental. S’il y a une agression venant de l’extérieur, ou bien une rébellion, là on peut nous faire appel. Nous répondrons automatiquement au devoir de sauvegarde de la patrie.
Avez-vous une influence politique telle qu’en Côte-d’Ivoire, où les Donzo se sont mêlés dans la crise postélectorale en 2010 ?
Ici nous n’avons pas un camp. Nous sommes plutôt une union.
Vous n’avez aucune affiliation avec les Donzo de la sous-région ?
NON ! Pas du tout. Il fut un moment, nous avons reçu une délégation de chasseurs venus de la Sierra-Leone pour renforcer nos liens et nous dire que nous sommes de la même communauté. Mais c’est récent.
Est-ce que vous avez un soutien financier de l’Etat ?
Peut-être dans le futur on pourra avoir du soutien mais pour le moment nous n’avons pas encore élaboré ce projet. Quand on dit l’Union Nationale des Chasseurs traditionnels et guérisseurs de Guinée, on regroupe toutes ces entités. Nous sommes prêts à réaliser des activités agricoles mais lorsque nous serons en mesure de le faire, nous ferons appel au Gouvernement. Pour le moment nous ne sommes pas soutenus parce que nous n’avons rien demandé à l’Etat.
Comment se fait la succession au niveau de votre bureau ?
Nous procédons toujours à une élection. L’élection a été faite à Dabola au centre du pays devant des milliers de chasseurs où étaient représentés tous les chasseurs du pays.
Récemment nous avons assisté en Haute-Guinée plus précisément à Kantédoubalandou à un double assassinat. D’abord celui du prédicateur Saoudien venu prêcher l’islam, ensuite l’assassinat du chef des chasseurs traditionnels de cette zone. Comment avez-vous observé cette situation ?
Nous avons appris comme tout le pays cette série d’assassinat. Mais je crois qu’il y a une plainte portée contre le meurtrier. Mais comme je l’ai toujours dit, nous, les chasseurs, nous sommes apolitiques, il y a pas de problèmes de religion aussi. Dans notre corporation, il y a des musulmans comme des chrétiens et toutes sortes d’ethnies de la Guinée. Mais en ce qui concerne cet assassinat, le vice-président de notre union ici présent nous a indiqué que celui qui a tué l’arabe n’est pas un Donzo.
Mais par contre, le chasseur qui a trouvé la mort a été appelé par le préfet de Mandiana pour des explications sur les circonstances du décès de l’arabe. Une fois sur place, un wahhabite l’a poignardé. (…) D’ailleurs ce sont les mêmes Donzo qui ont arrêté celui qui a assassiné l’arabe. Au contraire, c’est le Donzo qui a été tué par un wahhabite du coin et en plus publiquement.
Qu’est-ce que votre organisation a fait pour le maintien de la quiétude parce qu’il y avait une vive tension ?
Avant cet assassinat il y a eu des problèmes à Kantédoubalandou. Il a fallu le déplacement de notre président pour maintenir la paix dans ce lieu puisque vous n’êtes pas sans savoir que des militaires venus d’un pays voisin ont attaqué les paisibles citoyens de ce village. Et les Donzo comme vous le savez ont répliqué parce que c’était une agression extérieure (…).
Nous avions mêmes appris que des gendarmes de ce pays ont été pris en otage ?
Oui bien-sûr, ils sont venus armés, en plus dans des camions contre des chasseurs qui n’avaient que des fusils de calibres 12. Certes il y a eu des morts parmis les chasseurs mais du côté des autres il y a eu beaucoup plus de pertes et ils ont laissé des armes, des munitions et engins roulants sur place.
Des conflits similaires sont récurrents dans cette zone riche en or. Que faites-vous pour le maintien de la paix ?
Notre Président s’est déplacé jusqu’à Kantédoubalandou pour faire de la sensibilisation. Notre président a été pour beaucoup dans le maintien de la paix dans cette zone.
Nous sommes une association qui regroupe toutes sortes de religions (…) Comme je vous l’ai dit nous prônons la paix entre toutes les sensibilités religieuses.
Est-ce qu’avant d’adhérer au sein de votre corporation, il y a une initiation ?
Bien-sûr ! On peut être chasseur quand on veut. Mais pour rentrer dans cette union il y a assez de questions qu’on te pose. Il faut y être corps et âmes, être tolérant, disponible quand on a besoin de toi.
Est-ce qu’il y a un serment qu’on prête ?
Dès que tu te dis être un chasseur, c’est que tu as prêté serment. Mais pour être chasseur tu viens d’abord avec deux poulets et tu choisis quelqu’un comme maitre auquel tu offres ce coq (…), une fois qu’on égorge ton coq, ça devient un serment. Si tu trahis tu seras punis et sévèrement.
Avez-vous un dernier message ?
Le dernier message vient du Président. Nous sommes vraiment contents de votre présence à notre siège. Quand on parle de l’Union ici, il n’y a pas d’ethnie ni de religion. Une fois que tu es agrées, le respect de ce contenu t’incombe. En ce qui nous concerne nous sommes en parfaite harmonie avec l’environnement et les eaux et forêts (…) Il y en a qui se posent des questions sur la présence des Donzo à Conakry, mais ils n’ont rien compris. Le Ministère des Mines est à Conakry, mais ce n’est pas parce qu’il y a des mines à exploiter dans la capitale. Les mines se trouvent plutôt à l’intérieur du pays. C’est valable quand on parle du ministre de la pêche qui n’est pas dans la mer mais plutôt sur la terre ferme. Nous Donzo, sommes à Conakry pas contre quelqu’un mais pour les citoyens (…) quand on parle de Donzo, il y a la médecine traditionnelle qui guérie des maladies incurables par la médecine moderne.
Notre corporation est représentée partout à travers le pays et quand il y a problème nous nous levons. Quand il y a des conflits nous sensibilisons partout pour éviter le pire. Lorsqu’on dit qu’il y a des mouvements dans le pays notre premier rôle c’est de veiller sur les frontières pour éviter que des mal intentionnés ne franchissent le pas et nous attaquer. Pendant qu’on y est nos hommes sont aussi postés à nos frontières.
Votre présence ici nous réconforte parce que vous êtes venus à la source pour vous renseigner sur le pourquoi de notre existence et de notre présence à Conakry.
Quand les rebelles ont envahi la Guinée par Gueckedou, notre représentant à Kissidougou qui y est Lamarana Diallo a mobilisé tous les chasseurs pour la défense de la patrie. Nous avons nos représentants à travers tout le pays. La récente grève ne concernait pas les opposants mais les enseignants, tu peux ne pas être un enseignant mais que tu as un enfant à l’école, donc c’est une chose qui intéresse tout le pays. Si on grève, on n’a aucun droit d’interférer pour dire quoique ce soit.
Par contre, ce que l’on déplore ce sont les morts qu’on enregistre lors de ces différentes manifestations. Qu’on soit Malinké, Peulh, Soussou, Guerzé, nous les chasseurs ne voulons pas qu’une goutte de sang d’un guinéen soit versée. Ça ne nous plaît pas du tout. Ma mission en tant que président des chasseurs c’est de prôner la paix entre les citoyens du pays et si j’entends que des guinéens s’entretuent cela me met mal à l’aise. Si ce sont les médias qui peuvent jouer ce rôle de sentinelle de la paix alors faites votre travail pour que ces tueries s’arrêtent.
Merci !
C’est à nous de vous remercier !
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 27 mars 2018 16:55Nous vous proposons aussi
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