Guinée : « discriminée », la minorité ethnique « bassari » compte exprimer son identité autrement…
CONAKRY-La communauté des « bassaris » est une des minorités ethniques qui composent la Guinée. Ils vivent essentiellement dans le Nord- Ouest de la Guinée, précisément dans la préfecture de Koundara.
En Guinée, ils sont souvent victimes de « discrimination » et de « rejet » dans certains services publics à Conakry et dans certains milieux urbains à cause de leurs patronymies souvent jugé non guinéen. Pour enrayer ces clichés discriminants et montrer leur « Guinéité » comme les autres, la communauté « Bassarie » a décidé de se faire entendre à travers sa jeunesse. Le 26 novembre 2022, elle a lancé des activités culturelles, à Manéah, dans la préfecture de Coyah.
Une façon pour eux, d’exprimer autrement leur ras-le-bol face à cette discrimination qui n’a trop que duré, selon eux. Des chants, danses traditionnelles, ont rythmé cette manifestation. Il s’agit d’un moyen d’expression pacifique pour les jeunes bassaris devant de nombreux invités dont l’ancien ministre de l’environnement et des eaux et forêts Pr. Ibrahima Boiro, le patriarche de la communauté bassari Tamaye Gérard Beindia et le patriarche des Koniagui, Joseph Tchameny. Une première.
« L’événement de ce jour est une première du genre. Il est pour nous une occasion capitale pour nous présenter à la communauté nationale et internationale. Oui pour la première fois, nous prenons la parole pour vous dire qui nous sommes. Les bassari, « ɓëlëyan » comme nous nous désignons en langue, sont un peuple minoritaire, appartenant à la famille Tanda. Cette famille est composée des Badianranké, des Bassari, des Bedik, des Boïn et des Koniagui. Tous ces peuples se trouvent au Nord- Ouest de la Guinée, je veux dire à Koundara », explique Jean-Pierre Lama Boubane, porte-parole de la jeunesse Bassari.
Où on retrouve les Bassaris ?
Le peuple bassari se trouve précisément à cheval sur la Frontière Sénégalo- Guinéenne, dans les Communes Rurales de Guingan et de Termessé. Cette partie occupée par cette minorité est communément appelée « Pays Bassari ». Ce « Pays Bassari se trouve dans la partie Ouest des Monts Wora, dans le Dama ou Fouta Djallong.
« Le peuple bassari compte moins d’un million d’âmes sur la Terre entière. Cette réalité numéraire nous coûte beaucoup, au Sénégal comme en Guinée : exclusion, discrimination, refus ou rejet même des Services des deux Etats, à cause des noms patronymes propres et atypiques que nous avons. Il me plaît ici de les énumérer : Bangar, Bangonine, Bémoune, Bianquinch, Biess, Bidiar, Bindia, Bonang, Boubane. Se présenter avec ces patronymes est risqué, on nous considère comme des étrangers (Togolais, Nigerian, Béninois, que sais- je encore).
On se voit facilement refusés, renvoyés des Services d’Etat civil ou du Bureau des Passeport. Quel dommage !!! C’est très regrettable vraiment. Pourtant, nous sommes présents en Guinée, au Fouta Djallong depuis les 11e- 12e Siècles, d’après les ethnographes qui ont sillonné la zone. Nous sommes un peuple à part entière. Nous n’avons pas besoin d’intermédiaires ni de parrain pour qu’on nous respecte, nous nous reconnaissons comme tels dans ce pays. Nous disons, plus jamais ça !! » a déclaré Jean-Pierre Lama Boubane.
Le peuple bassari a sa langue, son art, sa culture, son organisation sociale atypique et propre dira-t-il. Des valeurs qu’ils comptent clamer haut et fort partout où le besoin sera senti. « C’est donc dans cet ordre d’idée que nous organisons le lancement des activités culturelles des jeunes bassaris pour l’année 2022- 2023. Nous voulons montrer notre peuple et sa culture, par nous- mêmes désormais. Nous avons près de 20 types danses, mais vues les circonstances, on n’exécutera pour vous, chers invités, que trois danses : il s’agit de la danse du masque « Tama Lener », de la danse « goɓe » et enfin de la danse du masque « kaly gwangwërang » a-t-il ajouté.
La Richesse culturelle du peuple Bassari réside dans plusieurs éléments de la culture :
Les valeurs culturelles, telles: la discipline ; le respect des aînés et de l’autre ; la maitrise de soi ; le travail en groupe ou classe d’âge (corvées) ; le partage du pouvoir (entre le chef du village et le chef coutumier, le troisième pouvoir est réservé aux femmes), l’inclusion des femmes grâce au matriarcat. Les femmes ont en effet une place de choix dans la société bassari : elles sont autonomes dans l’organisation des initiations des filles. Elles font des réunions, à partir desquelles elles prennent des décisions pour toute la société. Le genre apparait bien à sa place dans cette société.
« Je souligne particulièrement, ici, la valeur cardinale et fondamentale, qui nous a donné le nom par lequel nous nous désignons, à savoir l’hospitalité : alëyan, dérivé du terme alëgan qui veut dire exactement « chez- qui- on- peut- habiter ». Oui on peut habiter chez le bassari parce qu’il est « alëgan ». L’étranger est sacré au Pays Bassari, on se donne tous les moyens pour bien l’accueillir et le protéger jusqu’à son départ. Mais, parfois, ça nous a coûté avec certains étrangers de nos jours, qui ont «détaché des chèvres, comme le dit bien l’adage.
L’organisation sociale très originale en classes d’âge ou générations : nous avons sept classes fondamentales, à partir du rite de l’initiation : la classe de Oɗugwë, Opalugwë, Ojar, Okwëtëk, Opiɗor, ɓëcën, ɓëxarkë. Toutes les relations sociales en dépendent, entre homme, entre génération ou entre homme et femmes. Retenons donc, que le système de classes d’âge est une chaîne de solidarité, un mécanisme d’intégration, de régulation sociale et d’éducation au travail », a-t-il précisé.
Des patronymes Bassari
Pour M. Boubane, c’est l’originalité de leurs noms patronymes des bassari qui commencent toujours par « B », qui leur vaut des tracasseries infinies dans l’administration, en Guinée comme au Sénégal. La lettre b est une déformation de la prononciation glottale /ɓ/ comme en pulaar pour dire enfant : « ɓiɗo ». C’est ce qui explique donc l’utilisation de la lettre B.
« Notez aussi que c’est au pluriel ; au singulier, on aurait eu la lettre « A » : Abane/Boubane, Ayindia/Bindia, Ayess/Biess, Anang/Bonang. Il en est ainsi pour les noms de villages anciens ; ils commencent pour la plupart par « E », exemple : Enacha, Ewala, Eganga, Enébhiche, Ediang, Egëganë, Ebrohi, Ethirot, Epey, Esaka, Ethies, Ediambane, Etanwër, etc », explique-t-il.
Un peuple qui préserve son patrimoine culturel
Présent à cet évènement, Professeur Ibrahima Boiro, ex ministre de l’environnement et des eaux forêts a salué l’organisation de cette activité par la communauté Bassari.
« Je comprends le cri de cœur de votre porte-parole. Quand on est minoritaire on se souvent ségrégué. Mais les bassari, vous avez un avantage et c’est comme les Koniagui d'ailleurs encore les Badianranké. Vous faites tout pour préserver le patrimoine culturel dont vous avez hérité de vos parents. C'est extrêmement important », a salué l’ex ministre.
En guinée, les bassari, on a tendance à les accepter avec beaucoup disons de manière péjorative reconnu l’ex ministre. Mais, adira-t-il, « je suis convaincu que les bassari ont apporté beaucoup au Badiar, à Koundara. Cette préfecture est multi-ethnique qui fait la richesse de Koundara. Les bassari, on en parle avant du point de vue contribution culturelle et même l’histoire de Koundara. Selon Djibril Tamsir Niane, les Bassari sont les premiers habitants de Koundara. Tout le reste est venu après. Il n’y a pas de raison que vous ne soyez pas fiers de vous. Koundara, c’est pour les bassari, Badianranké, les peulhs néo-arrivant au Badiar, c’est les foulakoundas naturellement qui sont venus après l’éclatement de l’empire de Dianké Waly. Ensuite les Sarakolés, les forestiers et les autres communautés. C’est vous qui nous avez accueillis, et merci », a enseigné Pr. Ibrahima Boiro.
Si certains administrateurs civils de Conakry ou dans d’autres zones de la Guinée rejettent les bassari et d’autres communautés de Koundara à cause de leurs patronymes, c’est parce que selon Bill Boiro, le hasard a voulu qu’à un moment donné de l’histoire de notre pays, des personnes qui méconnaissent l’histoire de la Guinée et sa géographie, ont occupé des postes qu’ils ne devraient pas occuper.
« On ne doit pas se poser la question de savoir si un Bassari, Koniagui, Foulakounda, Diakanké est guinéen. Nous sommes des Guinéens et nous en sommes fiers. Nous allons nous battre pour que ce genre d’évènement soit pérennisé dans le Grand Conakry » a déclaré Mamadou Bill Boiro, coordinateur des associations des jeunes de Koundara.
Pour finir cet évènement en beauté, les organisateurs ont fait la démonstration de trois danses qui sont : la « Tama Lener », de la danse « goɓe » et enfin de la danse du masque « kaly gwangwërang ».
Un reportage de Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 664 72 76 28
Créé le 4 décembre 2022 15:16Nous vous proposons aussi
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