Guinée: des « révélations » qui contredisent les ministres Damantang et cie…
CONAKRY- L'avocat maitre Thierno Souleymane Baldé suit de nombreux dossiers judiciaires dont les procédures sont pendantes devant les tribunaux. Les dernières sorties médiatiques des ministres Damantang Albert Camara (Sécurité) et Mory Doumbouya (Justice) l'ont poussé à réagir. L'avocat a apporté sa part de "vérité" dans ce qui convient désormais d'appeler le "feuilleton judiciaire" des opposants. Dans cet entretien, l’avocat fait également des révélations et dénonce de graves incohérences et irrégularités dans les procédures en cours.
Africaguinee.com : Le Ministre de la justice maitre Mory Doumbouya met au défi les avocats de la Défense de pouvoir apporter « une preuve irréfutable » sur une quelconque violation des droits des détenus. Quelle est votre réaction ?
MAITRE THIERNO SOULEYMANE BALDE : C’est une sortie qui ne devrait pas avoir lieu dans la mesure où je lui ai adressé une lettre l’informant qu’on m’a empêché d’avoir accès à mes clients. Les dispositions sur les droits de la défense sont assez claires. On ne peut pas empêcher un avocat d’avoir accès à son client dès l’interpellation. La Guinée est tout sauf un état de droit. Récemment, des personnes ont été arrêtées et déférées au niveau des différentes unités de police et de la gendarmerie. Alors que la loi exige qu’on puisse avoir dès l’interpellation l’assistance d’un avocat. Mais quand on vient pendant les auditions, on nous empêche de les voir.
Ensuite, il y a des procès-verbaux qui sont rédigés et déposés au niveau des Tribunaux pour servir et faire prévaloir d'aveux. Non seulement pendant les auditions, les détenus n’étaient pas assistés, mais beaucoup d’entre eux qui ne savent ni lire, ni écrire en français. On ne leur traduit pas le contenu et lorsqu’ils refusent de signer, on menace de les mettre en détention pour une période prolongée. Les différentes auditions qu’on a eues, nos clients ont attesté cet état de fait. Lorsque j’ai été empêché, j’ai écrit au procureur du Tribunal de première instance de Dixinn pour demander son intervention. Malheureusement, les agents de la police et de la gendarmerie n’hésitent pas à brutaliser certains avocats qui viennent pour des cas qui concernent les militants de l’opposition.
Beaucoup de vos clients sont arrêtés dans le cadre de la crise postélectorale. Que risquent-ils ?
Ce sont des gens qui ont été arrêtés dans leur lit. Ils sont victimes de l’arbitraire. J’ai adressé une lettre le 3 novembre 2020 et qui était enregistrée au niveau du parquet de Dixinn lui demandant son intervention afin de me permettre d’avoir accès à mes clients, à certains détenus à la Maison centrale et d’autres à la DPJ (direction centrale de la police judiciaire) ainsi que dans certaines unités de police. J’ai fait une ampliation au niveau du ministère de la Justice que j'ai déposée le 4 novembre 2020. Donc, le ministre ne peut pas affirmer que les avocats n’ont pas été empêchés de voir leurs clients.
La même copie a été déposée au niveau du conseil de l’ordre des avocats de Guinée au ministre de la Sécurité, au Haut commandement de la gendarmerie nationale et au doyen de juges d’instruction du Tribunal de Conakry 2. J’ai toutes les accusées de réception. Normalement, lorsqu’on empêche un avocat de rencontrer son client surtout dans une affaire criminelle, la procédure est nulle et non avenue. Lorsqu’il y a un recours devant la chambre de contrôle de l’instruction, toutes les pièces y afférentes seront purement et simplement annulées. Au niveau des unités de la police et de la gendarmerie, les agents réclament de l’argent aux parents afin de rencontrer leurs fils en détention. Alors que si c'est votre femme, votre mari, fils vous avez le droit de le rencontrer.
Est-ce qu’à date, il y a encore des détenus qu’on ne vous a permis de rencontrer ?
Il y a des détenus que je n’ai pas pu rencontrer. La plus part d'entre eux qui étaient détenus au niveau des unités de police et de gendarmerie ont été déférés le TPI de Dixinn. Ce n’est que devant le doyen des juges d’instruction que j’ai pu les rencontrer et discuter avec eux librement. Mais lorsqu’ils étaient dans les centres de détention à la police ou la gendarmerie, il y avait énormément de problèmes. D’habitude à la Maison centrale, on nous permet d’avoir accès à nos clients sans aucune restriction. Le 2 novembre 2020 puisque mes clients devaient être auditionnés le lendemain, on ne m’avait pas permis de les rencontrer afin de pouvoir les assister avant leur audition.
Comment expliquez-vous que des personnes arrêtées à Cimenterie, Lansanaya Barrage, qui normalement relève des préfectures de Coyah et Dubreka, soient déférées devant le tribunal de Dixinn ?
Lorsqu’il y a une personne qui est arrêtée, la compétence est définie par des critères, notamment le domicile, le lieu de l’arrestation et de la commission de l’infraction. Il y a des personnes qui sont arrêtées soit à la Cimenterie, à Lansanaya ou à Dapomba. Dépendant l’endroit de leur arrestation ou de leur domicile, c’est respectivement les tribunaux de Dubréka, de Coyah et de Mafanco où Kaloum qui sont compétents. Quand les dossiers arrivent devant le juge, il doit se déclarer automatiquement incompétent à connaitre l’affaire et la renvoyer à qui de droit. Il y a des détenus qui ont été auditionnés alors que le juge n’était pas compétent pour le faire. On a déposé la demande pour demander que leurs dossiers soient transférés devant les juridictions compétentes, jusqu’à présent cela n’a pas été fait.
Qu’en est-il des mineurs en détention ?
Lorsqu'il y a des mineurs qui sont arrêtés, c’est le tribunal pour enfants qui est compétent et non les juridictions de droit commun. Nous avons une demande et jusqu’à présent le dossier n’est toujours transféré devant le tribunal pour enfant qui en est une juridiction compétente conformément à l’article 689 du Code de l’enfant. C’est des dispositions d’ordre public qui ne peuvent pas faire l’objet d’une dérogation. On devrait veiller à ce que les droits fondamentaux des citoyens soient respectés au niveau des tribunaux et des unités de police judiciaire. Si ces conditions ne sont pas remplies, on ne peut pas parler d’un procès juste et équitable.
Le ministre de la sécurité Albert Damantang Camara a fait savoir que des balles ont été introduites à l’aide de pince dans les corps de certaines victimes pour porter des accusations contre les forces de sécurité. Qu’en pensez-vous ?
Les journalistes présents à la conférence devraient lui demander s’il était présent lorsqu’on a pris une pince pour introduire des balles dans les corps des victimes. Est-ce qu’il y avait une caméra au lieu de l’assassinat de la personne concernée qui démontre effectivement ce que le ministre a dit ? A chaque fois qu’il y a des décès, je dépose des plaintes au niveau du parquet de Dixinn. Certaines plaintes sont orientées soit devant le Doyen des juges d’instruction, soit à la brigade de recherche de Kipé. On n’a jamais obtenu une enquête qui a pu déterminer la cause de l’assassinat, mais aussi identifier les auteurs.
Peut-être que si les plaintes n’ont pas abouti c’est par manque de preuves ?
Dans certaines de ces plaintes, il y a suffisamment de preuves pour identifier les auteurs. Un exemple frappant. Il y a eu l’assassinat de Mamadou Cellou Diallo à Bambéto il y a plus d'une année de cela. Il y avait un jeune témoin qui observait par la fenêtre. Les gendarmes qui ont tiré sur Cellou sont partis arrêter le jeune qui observait la scène. Les agents lui ont réclamé de l’argent en contrepartie de sa libération. Comme il n’en avait pas de l’argent sur lui, il a appelé son frère qui lui a transféré de l’argent par orange money. Ensuite, il a transféré l’argent dans les comptes des agents. On a déposé une plainte et c’était facile de les identifier puisque dès qu’on a enregistré leurs numéros, directement leurs noms sont sortis sur Imo (une application de messagerie instantanée) et on a pu les identifier. Cette plainte est toujours pendante. Il n’y a eu absolument aucune enquête.
Lors des dernières manifestations, l’assassinat de Thierno Nassirou Sylla, on a déposé une plainte. Il y a des témoins qui ont même identifié de l’agent du nom de Alghassimou qui serait le présumé auteur. Mais rien n’est fait à ce stade. Le souci principal du ministère de la justice et de la sécurité c’est d’arriver à mettre la main sur ceux-là qui ont assassiné les agents de service de sécurité qui étaient dans le train qui a été incendié. Malheureusement, parmi les personnes qu’ils ont déférées pour l’incendie du train, il y en a une qui étaient déjà en détention au moment des faits. La personne a été arrêtée avant l’incendie, mais elle est déférée devant le tribunal pour le même cas. Ça n’a pas de sens.
Comment expliquez cela ?
On veut coûte que coûte faire condamner des personnes innocentes qui n’ont absolument rien avoir avec tout cela pour juste dire qu’il y a une célérité au niveau de la justice quand il y a un cas qui concerne le gouvernement. Pendant ce temps, c’est l’inertie totale quand il s’agit de l’assassinat de citoyens dans les quartiers.
Où en êtes-vous dans la procédure des leaders de l’opposition ?
Il y a eu une commission rogatoire livrée par le doyen des juges d’instruction du tribunal de Dixinn. C’est une autorisation qui permet aux services de sécurité d’interpeller certaines personnes dans les conditions bien déterminées. Ils sont venus dire au juge d’instruction qu’il y a des citoyens qui détiennent des armes, de la drogue. Le procureur a demandé d’aller les identifier. Là aussi, les quartiers où ils devaient étaient bien déterminés c’est Kakimbo, Wanindara, Cimenterie, etc. Le cas de Cellou Baldé domicilié à Labé, d’Abdoulaye Bah de Kindia n’ont absolument rien avoir par rapport à cette commission rogatoire. Dès le lundi 23 novembre, nous allons demander au juge d’instruction de les libérer purement et simplement par cette commission rogatoire qu'il a délivrée. Nous espérons obtenir gain de cause dans la mesure où la loi le prévoit.
Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (+224) 669 91 93 06
Créé le 22 novembre 2020 15:41
Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Damantang Camara, Interviews, Mory Doumbouya