Guinée : De nouveaux détails fracassants sur les exactions de 2009…
CONAKRY-« Ce massacre était lugubre, barbare et féroce. C’est pour cette raison que j’avais mis en place cette commission d’enquête afin de faire la lumière. Ça ne devrait pas rester impuni ». Ce sont là des propos que le capitaine Moussa Dadis Camara a tenus le 20 décembre 2022, lors de son interrogatoire. Parlant du massacre du 28 septembre 2009, le chef de la junte n’a pas forcément tort.
En effet, une des pièces versées à la procédure -dont Africaguinee.com s’est procuré copie-, apporte des détails déchirants sur les caractéristiques de chaque infraction commise au grand stade de Conakry le 28 septembre 2009. Ces détails sont contenus dans le rapport de la commission d’enquête de l’ONU (organisation des nations-unies). Les faits décrits donnent froid dans le dos. Extraits.
Les exécutions sommaires et tentatives d'exécution
La Commission a documenté au total 67 morts, dont certains par exécution sommaire. Ces chiffres concernent uniquement les victimes dont la Commission a pu obtenir l'identité grâce aux témoignages précisant les circonstances de l'exécution sommaire et attestant que les corps des victimes ont été retrouvés et enterrés. Ces cas concernent aussi bien des adultes (hommes et femmes) que des enfants.
Les agresseurs ont utilisé des pistolets, des pistolets-mitrailleurs AK-47, des flèches, des billonnettes, des poignards, des matraques, des bâtons munis de pointes et des lance-pierres. Les rescapés portent, sur des parties vitales, des cicatrices de blessures par balle, poignard, crosse de fusil et bâton armé de pointes tranchantes. Plusieurs corps de victimes récupérés par les familles avaient reçu des balles dans la tête, le thorax ou les côtes.
L'utilisation d'armes mortelles contre des civils non armés, le fait d'ouvrir le feu à balles réelles et sans sommation sur une foule compacte amassée sur la pelouse et d'avoir tiré jusqu'à épuisement des balles et visé les parties du corps comprenant les organes vitaux sont autant d'indications de l'intention préméditée de faire un maximum de victimes parmi les manifestants.
Les personnes exécutées par électrocution
Des câbles électriques ont été sectionnés par des bérets rouges et des miliciens, puis disposés de façon à électrocuter les manifestants dans leur fuite. Des cas d'électrocution se sont produits sur le terrain de football, sur les grillages qui séparent les gradins de la pelouse et sur certaines des portes donnant sur le terrain, ce qui a empêché les gens de sortir du stade et les a transformés en cibles des balles des militaires.
De nombreux témoins ont rapporté que la même technique avait été employée sur les portes de sortie de l'enceinte du stade et les barbelés disposés sur les murs donnant vers l'Université. L'expert médico-légal de la Commission a confirmé qu'il y avait eu des blessures dues à des brûlures électriques.
Les personnes blessées exécutées
Plusieurs témoins ont vu des militaires achever des blessés, aussi bien avec leurs armes à feu qu'avec des couteaux. A l'intérieur de l'enceinte du stade, un commandant non identifié a ainsi achevé deux personnes blessées, étendues sur le sol, qui bougeaient encore. Une femme aux yeux bandés, qui avait été violée, a été égorgée par un militaire au moment où elle arrachait le foulard de ses yeux.
Les personnes exécutées après les tueries du stade
Après le massacre à l'intérieur du stade, plusieurs cas d'exécutions sommaires des rescapés qui rentraient chez eux ont été rapportés. Des bérets rouges ont d'ailleurs enlevé près du stade (Côté Dixinn) 25 hommes et les ont forcés à monter dans des camions militaires recouverts de bâches. Ils ont été amenés dans un bâtiment non identifié. Dans la nuit du 28 septembre, les militaires les ont fait sortir par groupes de deux ou trois Jusqu'à ce qu'il ne reste que quatre d'entre eux à l'intérieur du bâtiment. Ces derniers ont ensuite été conduits derrière le bâtiment où ils ont découvert les corps sans vie des 19 autres allongés par terre. Ces derniers n'avaient pas de blessures apparentes ni de sang sur le corps, mais ils étaient morts. Les quatre survivants ont été forcés à charger ces corps dans un camion. Ensuite, les militaires leur ont ligoté les bras et bandé les yeux et les ont conduits dans un lieu inconnu où les militaires les ont forcés à creuser quatre fosses dans lesquelles ont été enterrés les 19 corps. Les militaires ont coupé les bras et les jambes de certains cadavres afin de les faire entrer plus facilement dans les fosses.
Les quatre survivants ont à nouveau été transportés dans un lieu où ils ont été séquestrés pendant trois jours, les bras toujours ligotés et les yeux bandés. Ce n'est que le 1er octobre que les quatre victimes ont à nouveau été transportées pour être jetées dans une rivière à Sonfonia. Certains ont survécu.
Les personnes tuées par les bousculades de la foule
Un nombre important de personnes ont trouvé la mort dans les bousculades, étouffées ou piétinées par la foule; fait aggravé par l'utilisation de gaz lacrymogènes. En effet, au moment où les manifestants tentaient de fuir le terrain de football, les bérets rouges postés à l'extérieur des portes principales ont ouvert le feu, tuant certains d'entre eux et provoquant ainsi un mouvement de recul vers l'intérieur du stade et la panique. Plusieurs témoins rapportent que des personnes ont été tuées, écrasées par la foule.
Les personnes tuées ou blessées par balle perdue
Un jeune garçon de 12 ans regardait la télévision chez lui (quartier Dixinn) le 28 septembre quand il a été atteint à la tête par une balle perdue. Transporté immédiatement à l'hôpital, il a succombé quelques jours plus tard à ses blessures. De même une fille admise au centre médico-communal de Matam, puis transférée à l'hôpital de Donka, a aussi été blessée par une balle perdue le 28 septembre 2009.
Les disparitions forcées
Quatre-vingt-neuf cas de disparitions forcées ont été recensés. Dans 49 d'entre eux, il s'agit de personnes qui se trouvaient au stade et ne sont plus réapparues depuis et dont le sort reste incertain. Les 40 autres cas concernent le corps de victimes des événements qui ont été déplacés et ont disparu par la suite. II existe aussi des cas dans lesquels des certificats de décès, indiquant la cause du décès, ont été établis par les médecins sans que les corps aient été remis aux familles. La Commission a reçu des informations relatives à d'autres cas de disparitions qui n'ont pas pu être vérifiés.
Personnes vivantes vues au stade le 28 septembre 2009 et plus jamais revues après
Les 49 personnes disparues, qui ont été vues vivantes par des témoins au stade le 28 septembre, n'ont plus été revues après les événements. En général, le même jour ou le lendemain des événements, les membres des familles ou les proches des personnes disparues les ont recherchées dans les hôpitaux, les morgues et dans les centres de détention militaires comme le camp Alpha Yaya Diallo, le camp Kundara, le camp Samory Touré ou le camp Boiro.
Les parents et proches des disparus déclarent avoir également mené des recherches dans d'autres centres de détention de la police, telle la caserne Cameroun de la CMIS, ou de la gendarmerie, telle la caserne PM3. Certains membres de famille se sont même rendus en vain sur l'île de Kassa, à la recherche de leurs proches disparus.
Personnes, blessées ou mortes, vues au stade ou dans les morgues et dont les corps n'ont pas été retrouvés
Les 40 autres personnes, aujourd'hui disparues, ont été vues par leurs proches, blessées ou mortes, au stade du 28 septembre ou dans les morgues de l'hôpital Donka ou de l’hôpital Ignace Deen principalement. Les corps de certaines victimes, qui ont été identifiés par des manifestants lorsqu'ils étaient chargés dans les véhicules au stade, dont les pièces d'identité ont été conservées par des manifestants ou qui ont été reconnus par des membres de la famille sur la base de photographies prises à ce moment-là, n'ont jamais été retrouvés, y compris parmi les dépouilles exposées à la mosquée Fayçal le 2 octobre avant leur inhumation au cimetière Cameroun ou ailleurs.
Autres cas de disparitions
D'après des témoignages, certaines personnes ont disparu suite à leur arrestation dans l'enceinte ou à l'extérieur du stade, durant les événements ou le lendemain. D'autres personnes ont été enlevées dans les hôpitaux Donka ou Ignace Deen, alors qu'elles s'y trouvaient pour des soins suite aux blessures subies durant les événements. Ces personnes ne sont jamais réapparues. Les témoignages recueillis par la Commission indiquent que ces arrestations et enlèvements ont été principalement effectués par des bérets rouges.
Déplacements des cadavres
Certaines disparitions pourraient s'expliquer par le fait que les corps d'une partie des victimes ont été déplacés par des camions militaires. Parmi les cas connus de la Commission, un capitaine de l'armée non identifié a donné l'ordre aux services de protection civile, en début d'après-midi au stade, de rassembler les cadavres et de les charger dans trois camions militaires à destination de T'hôpital Ignace Deen.
Dans le premier camion, il y avait 43 cadavres. Les deux autres contenaient respectivement et 13 corps, soit un total de 78 victimes. Les corps étaient en majorité ceux d'hommes jeunes qui présentaient des blessures par balle, mais les témoins ont aussi identifié d'autres types de blessures, ainsi que des corps de femmes et de quelques enfants. A l'hôpital, le même capitaine, qui aurait reçu de nouveaux ordres, a ordonné aux chauffeurs de repartir vers le camp Samory Touré, à la résidence de feu Lansana Conté. Dans l'après-midi du 28 septembre, un policier non identifié a donné l'ordre de regrouper les blessés et les morts en mettant de côté ceux qui présentaient des signes de mort violente. Trois camions militaires sont arrivés successivement sur les lieux et ont transporté respectivement 15, 25 et 7 cadavres jusqu' au camp Samory Touré.
Les camions ont été garés à l'intérieur de l'enceinte de la résidence de feu Lansana Conté. Les différents cas de disparitions forcées sont attribués aux bérets rouges, qui seraient également responsables d'avoir déplacé les cadavres.
Les viols et autres violences sexuelles
La Commission est en mesure de confirmer 109 cas de femmes victimes de viols et autres violences sexuelles, dont certaines mineures. Cinq d'entre elles, identifiées, ont été enlevées et séquestrées comme esclaves sexuelles, en compagnie d'un nombre non identifié d'autres victimes.
Les viols et les autres violences sexuelles ont commencé presque immédiatement après que les forces de sécurité sont entrées dans le stade. Ils ont été commis pendant toute la durée des événements au stade et se sont poursuivis durant la phase de détention de certaines femmes et d'esclavage sexuel.
Les témoignages font état de viols et d'autres violences sexuelles commis partout dans le stade proprement dit et dans l'enceinte du stade avec une majorité des cas commis dans certains lieux et locaux, notamment dans les gradins et sur la pelouse du stade, ainsi que dans des bâtiments et cours de l'enceinte du stade. Les femmes victimes de viols et d'autres violences sexuelles dans l'enceinte du stade ont été parfois coincées dans des cours ou bâtiments sans issue où elles avaient tenté de se réfugier ou y ont été conduites par des hommes armés afin d'y être violées".
A suivre…
Africaguinee.com
Créé le 24 décembre 2022 15:26Nous vous proposons aussi
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