Fanta Diallo, militaire dans l’armée française : « Mon message aux guinéens… »
CONAKRY- Son parcours est atypique ! Fanta Diallo, femme d’origine guinéenne est militaire dans l’armée de terre française. Cette mère de quatre enfants est rattachée à l’hôpital militaire Begin. En séjour en Guinée, Africaguinee.com l’a rencontré. Son parcours, ses ambitions, son regard sur la vie sociopolitique du pays, Fanta Diallo parle sans langue de bois. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Dans quelles conditions avez-vous quitté la Guinée ?
FANTA DIALLO : J’ai quitté la Guinée quand j’étais petite. J’avais entre 14 et 18 ans parce que je me suis installée réellement à 18 ans. Au fait, ayant perdu mon père à l’âge de 13 ans, j’avais eu une proposition d’aller en Europe pour faire mes études. J’ai saisi cette occasion en me disant que j’ai eu l’opportunité de travailler pour pouvoir aider ma mère. A l’époque j’avais fait pas mal des petits boulots et j’avais suivi des formations aussi. C’est ce qui m’a ramené où je suis aujourd’hui.
Depuis quand vous servez sous le drapeau français ?
Depuis 2013, mais maintenant je suis rattachée dans les hôpitaux.
Est-ce que c’est facile pour une femme de couleur d’être militaire en France ?
Ça dépend. Vous savez en Europe c’est un endroit qui vous donne l’opportunité quand vous décidez de faire quelque chose on vous accompagne. En Europe personne n’est oublié, même les aveugles, les sourds-muets, les personnes infirmes ont leurs droits et leurs devoirs envers la société et ils auront le travail qui leurs conviennent. On leur accorde tous un droit. Rien n’est facile, que ça soit dans l’armée ou dans n’importe quelle autre activité. Mais il suffit juste de se donner les moyens et quand on veut le faire on va le faire. Moi j’ai décidé d’être dans l’armée, je me suis donnée, je me suis renseignée, j’ai fait tout ce qu’il faut et aujourd’hui je suis dans l’armée française et je suis très contente que la France m’a accordé cette chance. Je peux dire que je suis parmi les plus chanceux d’être dans l’armée française.
Quel a été votre secret pour intégrer l’armée française ?
Je n’ai pas eu de secret, il suffit juste d’être en bonne forme, d’être bien portant parce qu’on a des séries d’examens d’audition, de la vue, du sang qu’on suit avant d’être dans l’armée. Ensuite il faut avoir l’esprit libre et aimer ce qu’on veut faire tout simplement. Moi j’ai voulu être dans l’armée et ça permis de me lancer sans me dire où et dans quoi je m’engage.
A l’entame de cet entretien vous avez dit que vous êtes inapte à travailler pour le moment. Est-ce qu’on peut savoir les raisons ?
Au fait je suis en ce moment malade. Donc je suis inapte à travailler. Qui dit maladie chez militaire dit l’incapacité parce que si je suis incapable de porter 32 kg de paquetage, c’est clair que je suis inapte à travailler et donc je ne peux pas être sur le terrain à aider les autres. Il faut se sentir bien parce que l’armée c’est très important. Ce qu’ici on oublie, ça j’ai remarqué l’armée oublie on appartient à l’Etat. Nous sommes des pipis de l’Etat, nous on appartient aux citoyens et l’Etat nous gère. Au fait nous nous sommes là pour la population et la population n’est pas là pour nous, c’est nous qui sommes là pour la population. Et ça j’ai vu beaucoup le contraire. Il faut qu’on soit aux soins de la population, à l’écoute de la population et que ça soit la population qui soit le maitre que ça ne soit pas nous qui soyons les maitres.
Nous on est là pour aider, pour protéger la population. Donc nous sommes les pipis et il faut comprendre quand on est les pipis de l’Etat on appartient à l’Etat. Donc l’Etat a le droit de faire de nous ce qu’il veut, la population a le droit de faire de nous ce qu’elle veut du moment qu’elle ne dépasse pas les limites qui sont de mises. Les militaires qu’on ne franchisse aucun d’entre nous ce qu’on ne doit pas faire. Et ça il y a un peu de défaillances à ce niveau. Et je m’aimerai bien que nous les militaires qu’on se pose la question de savoir on est là pour la population ou on est là pour effrayer la population ? C’est bien d’effrayer la population mais pas en dehors des limites.
Quel est votre regard sur l’actualité socio-politique de la Guinée ?
C’est vraiment vaste. Est-ce que c’est un débat que les guinéens veulent écouter ? Est-ce que c’est débat qu’on veut entendre ? Je pense que la Guinée n’est pas prête d’entendre la vérité, je pense que les guinéens ne sont prêts à écouter que ce qu’eux-mêmes ils veulent d’abord. La politique sur la Guinée ce n’est pas le Gouvernement. Nous sommes en train de dire que l’Etat n’a pas fait ceci et il n’a pas fait cela. Mais en tant que citoyen est-ce qu’on se pose la question de ce que nous on peut accomplir ? De ce que nous on est prêt à faire d’abord ? L’Etat met en place le Gouvernement mais est-ce que la Guinée est prête à accepter cette discipline ? Moi je pense que les guinéens ne sont pas prêts à voir plus loin que le bout de leur nez et ça c’est un peu difficile pour nous. Je pense qu’il faut se projeter dans l’avenir que de se projeter sur ce qui va se passer maintenant et ça s’arrête là. C’est ce qui est très difficile chez nous en Guinée parce que si en 2019 encore on brûle des pneus dans les rues, on jette les poubelles dans les rues, on a des bouchons des plusieurs kilomètres je pense qu’on n’est pas encore prêt. On veut que l’Etat fasse des choses mais est-ce que nous on se pose des questions sur ce qu’on peut faire pour aider l’Etat pour qu’on s’améliore ? Parce que brûler des pneus sur les routes ce n’est pas ça qui va amener l’Etat à faire quelque chose c’est plutôt détruire ce qui a été fait. Quand on brûle ça et que l’Etat veut faire des routes, on va encore recommencer sur ce qu’on a brûlé donc c’est l’éternel recommencement.
Si on prend la route et on fait plus de 5h avant de rentrer chez nous, excusez-moi ça ce n’est pas pour l’Etat mais plutôt c’est pour nous les citoyens. Sinon un conducteur de taxi qui s’arrête en bordure de route et bloque tout le monde et il fait comme si rien n’y était et puis on cautionne ça et pire en quittant il vous insulte alors est-ce que tout ça c’est la faute de l’Etat ? Non ! Par exemple jeter les ordures. C’est vrai qu’on n’a pas où jeter les ordures mais quand tu prends un sachet tu mets tes ordures dedans et que tu ne jettes pas en bordure de route mais tu le places dans un endroit où on nous permet de mettre les déchets, je pense ce sac sera bien attaché le temps que le camion de poubelles viendra ramasser. Si chacun se met à jeter de gauche à droite comment on va finir avec les ordures de la Guinée. Donc il faut que les guinéens s’éduquent d’abord et là je ne parle pas de l’éducation des parents dans nos familles. Je parle plutôt du comportement qu’on doit adopter pour changer nos mentalités dans ce sens-là.
Comment voyez-vous la place de la femme guinéenne dans les instances décisionnelles ?
Je trouve que c’est très peu pour nous. On devrait être un peu plus représentatif que ça parce que moi j’estime qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de femmes intellectuelles dans notre pays. Et pire, je trouve plus de femmes battantes que d’hommes. Depuis que je suis là j’observe beaucoup, c’est les femmes qui sortent pour aller vendre aux marchés et renter pour faire à manger à leurs enfants. Et je trouve dommage que l’actuel Gouvernement n’a que deux à trois femmes. C’est inadmissible pour nous les femmes. Quand je vois les femmes qui vendent sous le soleil, certaines ont des enfants qui courent sous le soleil même si c’est pour vendre des oranges, il y a pleins des femmes avec des bols en bordure des routes pour vendre, je peux dire que je suis vraiment fière des femmes guinéennes et je souhaiterai qu’on nous donne la chance d’aller encore plus loin. La Guinée avec les femmes on va aller plus loin parce que nous on voit beaucoup plus de choses que les hommes (…). Je voudrais bien qu’on nous écoute nous les femmes, qu’on pèse lourd en Guinée. Pourquoi la Guinée refuse de comprendre qu’aujourd’hui l’évolution va avec les femmes pas qu’avec les hommes seulement. Je refuse que les femmes ne soient que des femmes de ménage à la maison ou qu’elles soient des gardiennes des enfants ou qu’elles soient justes pour faire des progénitures, on peut faire plus nous les femmes.
Vous pouvez être un modèle pour de nombreuses jeunes filles guinéennes. Avez-vous un conseil à leur donner dans ce contexte difficile que vous décrivez ?
Quand je vois certaines choses qui se passent c’est lamentable, c’est honteux. C’est honteux dans le sens qu’aujourd’hui ce que je ne comprends pas dans la société guinéenne, est-ce que c’est honteux de faire le ménage chez quelqu’un il te paye ton argent au lieu d’aller s’arrêter et que deux ou trois messieurs qui passent te prennent. Quelle est la fierté dans ça ? Ça, ça me fait honte pour nous les femmes parce qu’aujourd’hui j’ai l’impression qu’une certaine poignée de femmes font ces choses-là. Et aujourd’hui on pense que toutes les femmes sont pareilles. Il y a des femmes exceptionnelles qui veulent se battre et aujourd’hui il n’y a pas de honte d’aller faire le ménage chez quelqu’un ni d’aller faire gardiennage ni de rentrer dans l’armée, il n’y a pas honte de vendre. Il n’y a pas de sous métier du moment que c’est toi qui le gagne et quand tu le gagnes avec ta sueur tu es fière parce que quand tu rentres chez toi tu vas te dire oui c’est moi qui l’ai travaillé. Mais attendre que l’homme te donne, c’est bien quand tu es mariée, mais le jour où l’homme n’y est pas qu’est-ce que toi la femme tu deviendras ? Moi je pense que les femmes ont peut aller beaucoup plus loin que de faire des choses ignobles.
Je ne peux pas rentrer dans le jugement parce que chacun a sa vie. Certaines le font peut-être parce qu’elles ont des contraintes, certaines le font par ambition, certaines le font parce qu’elles veulent avoir des choses que d’autres alors qu’on ne peut pas avoir la même chose, ce n’est pas possible. On doit se contenter de ce qu’on a et de vivre en fonction de ce qu’on a. Si on n’a pas on se bat pour en avoir plus mais autrement que de faire ce que je vois faire aujourd’hui les femmes. Ça fait vraiment pitié alors la Guinée est en pleine chantier, il y a plein de boulots partout en Guinée aujourd’hui sauf si tu ne veux pas le faire. Moi j’ai mon magasin ça ne marche pas très bien mais cela ne m’a pas empêché de mettre un restaurant dehors. Je me dis il faut bien que je mange. J’ai demandé à intégrer l’armée guinéenne, j’ai demandé d’intégrer les hôpitaux, j’ai demandé à rencontrer le Président pour l’instant les portes sont fermées, tout ça c’est en stand bail. Mais ce n’est pas autant que je vais me décourager, je vais aller encore plus loin, je vais me battre, je vais rencontrer le Président de la République, il va m’entendre, je veux qu’il écoute mes proposions, je veux qu’il écoute l’effort que j’ai fait, jusqu’où je suis venue et jusqu’où il peut m’aider.
C’est bien beau de dire aux gens de t’aider mais et si tu commençais d’abord toi et quand on te voit faire ensuite on t’aide. Moi j’ai besoin de l’aide de l’Etat, j’ai envie de créer des sociétés où je vais mettre beaucoup plus des femmes pour leur montrer pleines de choses que j’ai acquis avec des formations et des expériences. Tout ce que je peux dire aux jeunes filles, aux femmes c’est d’arrêter, ce n’est pas en buvant de l’alcool et en fumant de la cigarette qui va faire qu’on n’oublie nos problèmes. Les problèmes c’est juste le moment que tu vas boire mais quand tu seras dessaoulé, les problèmes seront toujours là. On ne règle pas les problèmes avec l’alcool ni avec la cigarette. On règle les problèmes en réfléchissant pour trouver des solutions qui te sortiront dans ces engrenages.
Quels sont ces projets que vous avez pour la Guinée ?
Je veux créer une société de sécurité de gardiennage et de ménage industriel. Parce qu’ici j’ai vu de beaux appartements, des bureaux mais tout ce qui concerne le ménage industriel poussé en nettoyant pour faire briller n’existe pas. J’ai envie de former des gens pour ça parce qui moi-même j’ai fait le ménage, j’y connais très bien. Et la sécurité, j’ai envie que les gens fassent la sécurité, qu’ils aillent plus lion dedans. C’est bien de mettre quelqu’un à une porte en tant que gardien mais s’il ne sait pas se défendre ? Donc c’est sur ces aspects que j’aimerai bien qu’on m’aide et je veux trouver les moyens d’aller plus loin sans qu’on ne me vole mes projets. Parce qu’ici en Guinée les gens sont très forts dans le vol des projets des autres. J’ai remarqué ils aiment les projets mais ils n’aiment pas réfléchir. Dès que vous dites un projet, le lendemain vous entendez que quelqu’un a créé ce projet parce qu’il a entendu l’autre dire. Moi j’ai envie de créer mais je veux aller plus loin, pas seulement de créer parce que j’ai envie de créer. J’ai envie de créer pour que ça soit durable, quand j’apprends à d’autres, que ceux-ci aussi apprennent à d’autres pour qu’ils puissent ouvrir leurs sociétés et aller plus loin.
Comment observez-vous la gestion des manifestations de rue en Guinée ?
Les manifestations ça c’est partout. Vous savez lors des manifestations il y a des dégâts collatéraux envers les militaires et envers les civils. Ça, ça toujours été comme ça, on ne peut pas nier. Au fait, ça dépend du débordement. Ça c’est un peu difficile de dire parce qu’on est militaire mais je suis désolée on n’est pas là aussi pour se faire frapper. Quand il y a des débordements on ne peut pas faire autre que de se défendre parce qu’on est fait pour ça aussi. Mais les populations doivent toujours savoir pour quelle raison ils sortent pour les manifestations (…). Moi je dis aux militaires de faire attention parce que partout où il y a la population, on est amené à faire attention à ce que ça ne déborde pas, à ce qu’il n’y ait pas de morts ou de blessés, c’est notre souhait. Mais si ça arrivait on ne peut pas faire autrement, c’est des dégâts collatéraux, c’est soit eux ou nous. En ce qui concerne le débordement des armes, des gaz, ça des choses qu’on devrait tester parce que dans ces cas comme ça ce n’est pas des balles réelles, il faut que ça soit des balles en caoutchouc pour que la population ne soit pas mise à pied. (…)Parce que ce n’est pas le but du militaire de faire du mal. Mais on n’est pas là non plus pour se laisser malmener alors qu’on a des familles aussi.
Entretien réalisé par Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 666 134 023
Créé le 9 février 2019 10:58
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