Fabien Offner : « L’élection d’Alpha Condé en 2010 avait porté l’espoir, mais hélas… »
CONAKRY-Alors que le gouvernement guinéen rejette le récent rapport d'Amnesty International sur les récents crimes commis en Guinée, Fabien OFFNER, chercheur au Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale de l'organisation maintient leur conclusion. Dans cet entretien qu'il a accordé à notre rédaction, ce défenseur des droits humains explique comment Amnesty International a mené son enquête. D'autres sujets relatifs à la situation des droits de l'homme mais aussi de la tension qui prévaut en Guinée à la veille de la présidentielle, ont également été a abordés. Entretien exclusif!!!
AFRICAGUINEE.COM : ‘’Au moins 50 personnes tuées en toute impunité dans des manifestations en moins d’un an’’ affirme Amnesty International dans son récent rapport sur les violences en Guinée. Comment êtes-vous parvenus à cette conclusion ?
FABIEN OFFNER : Concernant le chiffre que nous avons avancé dans le rapport, c’est un chiffre qui repose sur le croisement de plusieurs sources et qui sont propres à Amnesty International. Des délégués d’Amnesty International se sont rendus à Conakry en Novembre 2019. Des recherches sont aussi faites à distance depuis Dakar avec des contacts que nous entretenons depuis un certain temps en Guinée. Et des parents et des victimes qui ont été contactées, comme elles peuvent contacter des organisations nationales pour dénoncer tout simplement ces crimes et toutes les violations des Droits Humains. Il y’a également des chiffres du FNDC et des autorités guinéennes. Nous avons croisé toutes ces données pour arriver à ce résultat sachant évidement que l’idéal aurait que les autorités guinéennes puissent elles-mêmes tenir un décompte des chiffres précis et exhaustifs de tous les citoyens guinéens tués dans le pays.
‘’Marcher pour Mourir’’, pointe du doigt la responsabilité des Forces de l’ordre. Quel rôle ont-elles joué ?
Par rapport au rôle des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), encore une fois, le rapport repose sur des dizaines de témoignages, des personnes que nous avons rencontrées, des personnes qui nous ont contactées, des sources que nous avons croisées. Tous ces témoignages accusent des éléments des FDS, que ça soit des gendarmes, des policiers et des militaires. Le plus souvent il s’agit des gendarmes qui sont pointés du doigt et cela ne repose pas uniquement sur des témoignages. Il y a également eu des vidéos qui montraient que des membres des FDS qui tiraient sur des manifestants ou d’autres portaient des armes.
Le gouvernement guinéen a rejeté en bloc ce rapport le qualifiant d'enquête à charge. Qu’en dites-vous ?
Comme vous le dites, les autorités guinéennes ont récusé en bloc ces accusations, je pense qu’elles sont dans leur rôle. Amnesty International est coutumier du fait que les pouvoirs en place critiquent les recherches qui sont faites à partir du moment où ces dernières ne vont pas dans leurs sens. C’est n’est pas seulement le cas en Guinée. On peut douter du bien-fondé de ces accusations dans la mesure où les autorités guinéennes ont nié à plusieurs reprises et publiquement que des membres des FDS étaient armés. Or, de nombreuses photos et vidéos et évidemment des témoignages le montrent.
C’est un peu le serpent qui se mord la queue puisque les autorités guinéennes nous disent que personne n'a pu identifier de tireurs ou identifier des plaques d’immatriculation des véhicules. Or ce que nous dénonçons justement, bien souvent les membres des FDS qui tirent sont cagoulés et sont à bord de véhicules banalisés. Un autre argument utilisé par les autorités, c’est de dire que les balles qui sont retrouvées dans certains corps, étaient des balles de kalachnikovs or, nos FDS ne portent pas de fusils kalachnikov, cela ne peut pas être d’elles. Ce raisonnement est un tout petit peu simple, puisque les FDS guinéennes portent des armes de guerre de type kalachnikov, des photos le montre, nous les avons diffusé dans le rapport. Donc voilà une fois encore, notre rapport repose sur une méthodologie prouvée et sur des arguments sérieux. Nous regrettons effectivement que les autorités guinéennes battent encore en touche et en ne réagissant pas sur des éléments factuels mais sur un discours beaucoup plus politique.
Les violences de tout genre entrainant souvent des victimes, sont récurrentes en Guinée, un pays que vous suivez de près depuis plusieurs années. Comment l'expliquez-vous étant chercheur ?
Effectivement la Guinée est un pays malheureusement qui est habitué aux violences politiques. Il y’a tellement des éléments à prendre en compte pour comprendre cela. Ça serait sans doute un petit peu long. Je ne prétends pas tout connaitre. Ce que nous pouvons dire en tant qu’Amnesty International, c'est qu’assurément nous pensons que l’impunité emmène l’injustice et l’injustice contribue à faire perdurer les violations des Droits Humains. Dans le temps, l’injustice était la règle des régimes précédents. L’élection d’Alpha Condé en 2010 avait porté l’espoir d’un changement à ce niveau-là. Nous constatons que malheureusement ce changement n’est pas intervenu. Les crimes du 28 septembre restent impunis, le procès était censé s’ouvrir et ce n’est toujours pas le cas.
Les nombreux homicides illégaux qui se sont produits depuis l’élection d’Alpha Condé, il n’y a pas eu de justice. C’est ce que nous dénonçons dans ce rapport sur les homicides illégaux qui se sont déroulés entre octobre 2019 et Juillet 2020. Il n’y a eu aucune condamnation et les enquêtes ne débouchent quasiment sur rien. Les guinéens meurent et se font tuer de façon banale sans qu’aucun auteur ne soit identifié et condamné. Il est difficile d'entendre que les autorités guinéennes disent : passez votre chemin, il n’y a rien à savoir, ou c’est trop compliqué de faire des enquêtes ou bien c’est la faute des familles des victimes qui déplacent le corps.
Comment demander à la famille qui voit un de ses enfants se faire tuer sous ses yeux et qui est en train de mourir et ne pas le transporter à l’hôpital ? Les autorités disent de ne pas toucher les corps et que ces corps doivent rester sur place. Mais la logique d’une manifestation dans laquelle les FDS sont accusées de tirer sur les gens comment peut-on espérer que les familles aillent chercher les FDS qu’elles accusent elles-mêmes d’être les auteurs de ces crimes ? Voilà donc, il y’a tout un processus malsain qui contribue in fine à l’impunité et nous pensons que cette impunité contribue inexorablement à la perpétuation de la violation des Droits Humains.
Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations-Unies aux Droits de l’Homme a déclaré le mercredi 07 Octobre qu'elle est profondément inquiète et qu’il y a des signes sérieux d’une augmentation de l’intolérance et des affrontements. Partagez-vous ces craintes ?
Nous avons suivi le communiqué de Michelle Bachelet et d’autres personnes aussi s’inquiètent de la situation en Guinée. A chaque fois que des élections approchent, on réveille des discours clivants sur des bases ethniques de la part d’hommes et de femmes politiques. Malheureusement, c’est quelque chose de récurrent en Guinée à chaque fois que les enjeux électoraux sont là. On utilise souvent ce genre de propos pour raffermir sa base électorale qui, souvent est malheureusement hermétique. La classe politique guinéenne contribue à faire en sorte que ce découpage électoral recoupe aussi un découpage ethnique, c’est malheureux. Le pouvoir a dénoncé ces mêmes discours mais contribue lui-même à les attiser. On est encore là dans une forme d’un double discours, de deux poids deux mesures. Effectivement Amnesty International et d’autres organisations s’inquiètent de cela, d’autant plus qu’en 2010 ces discours existaient déjà et cela avait amené des violences à la fois en Haute-Guinée et en Moyenne-Guinée. On a vu ce qui s’est passé aussi à N’Zérékoré avec un équilibre très fragile entre les communautés avec des contextes locaux très différents. Les situations ne sont jamais les mêmes et il suffit en général de peu pour pouvoir réveiller certaines violences intercommunautaires. Donc les responsables politiques sont les premiers responsables de cela et malheureusement ils savent très bien ce qu’ils font. L’appel de Michelle Bachelet est évidement quelque chose que nous suivons de près.
Auriez-vous des recommandations à formuler aux autorités guinéennes ?
Les recommandations ce sont celles que nous avons formulées dans le rapport. En trois points principaux : d’une part qu'il y ait des enquêtes indépendantes et impartiales pour identifier les auteurs des homicides illégaux commis entre octobre 2019 et juillet 2020. Au-delà, depuis l’élection d’Alpha Condé afin de les traduire en justice et de les condamner. Cela permettra de lancer cette justice, ce que nous avons également suggéré, c'est qu’il y ait des observateurs indépendants qui puissent être déployés lors des manifestations pour prendre les autorités guinéennes au mot. Elles expliquent que les membres des FDS sont fouillés avant les manifestations, que celles-ci ne sont pas armées et qu’elles ne tirent pas sur les manifestants. Une force d’observateurs pourrait être déployée afin de pouvoir observer tout simplement le comportement des manifestants et les FDS pour que tous les acteurs soient évidemment de bonne foi.
La troisième et dernière recommandation, compte tenu du nombre importants de blessés suite aux manifestations en Guinée, qui sont des blessés par balles, paraplégiques ou handicapés à vie. Des handicaps qui impactent leur quotidien et leur capital économique, qu’un fond soit constitué par les autorités guinéennes et éventuellement amendé par des partenaires internationaux afin de subvenir aux frais médicaux de ces personnes. En faire de même pour le cas des gens qui sont blessés ou pour le cas des familles de victimes qui ont eu à faire des frais par rapport à certaines hospitalisations ou frais médicaux.
Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 311 112
Créé le 10 octobre 2020 15:19
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