Elhadj Momo Bangoura : « Comment la France complotait contre Sékou Touré… »
COANKRY-Dans quelles circonstances, la Guinée s’est-elle libérée du joug colonial français ? Comment Sékou Touré a-t-il pu déjouer les complots visant à déstabiliser son régime ? Elhadj Momo Bangoura, compagnon de l’indépendance, fait des révélations.
L’octogénaire qui garde encore une lucidité inouïe lève un coin du voile sur l’histoire tumultueuse de son pays. Dans cette interview, le Doyen Momo Bangoura parle de l’arrivée du général Dé-Gaulle à Conakry à la proclamation de l’indépendance tout en passant par le NON du 28 septembre 1958. Il parle aussi avec passion de la Guinée d’après 1958. Lisez plutôt !!!
AFRICAGUINEE.COM : La Guinée célèbre ce 02 octobre 2019 l’an 61 de son indépendance. Parlez-nous de cette date historique que vous avez vécue ?
ELHADJ MOMO BANGOURA : Cette date marque la gloire que nous avons eu à remporter à l’occasion du vote référendaire du 28 septembre 1958. En fait le général De gaulle avait un projet de constitution à l’intention des colonies de la France et de la France elle-même. Ce vote devait avoir lieu le 28 septembre 1958. Pour faire donc cette campagne, le général De-gaulle devait faire escale ici à Conakry le 25 Aout de la même année. Il a été reçu de manière grandiose avec une grande foule qui s’est massée de l’Aéroport jusqu’à Kaloum. Le général De-gaulle en était très fier et très heureux. C’est à l’occasion maintenant de la conférence qui a eu lieu au conseil territorial de la Guinée française, la Guinée avait soixante conseillers territoriaux élus le 31 mars 1957. Sur les soixante, le PDG-RDA présidé par Ahmed Sékou Touré avait 57 conseillers. Au nom du PDG-RDA, le président SékouTouré a indiqué que nous voterons NON à l’inégalité, nous voterons NON à l’irresponsabilité.
A partir du 29 septembre nous serons un pays indépendant. Avec la célèbre phrase que je cite « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage ». Alors cela a beaucoup frustré le général De-Gaulle, il a compris que par-là, la Guinée va résolument voter NON le 28 septembre (…), conséquemment, il s’est adressé à sa délégation en disant « Messieurs, voilà un individu avec lequel nous ne pourrons jamais nous entendre (…) Nous n’avons plus rien à faire ici. Le 29 septembre au matin, la France s’en ira ».
Parlez-nous de vos souvenirs du 02 octobre qui marque la date de la proclamation de l’indépendance de la Guinée ?
Cette proclamation a été faite par le président du conseil territorial qui était Saifoulaye Diallo le 02 octobre 1958. C’était une journée d’ambiance et de manifestation à travers toute la Guinée.
Vous, spécialement où étiez-vous ?
En ce jour historique, j’étais président d’un bureau de vote dans la zone de Forécariah en Basse-Guinée. Aujourd’hui la Guinée a évolué parce qu’elle a eu 61 ans.
Parlez-nous de moments que vous avez eu à passer en compagnie de Sékou Touré ?
C’était d’abord le père fondateur de la nation guinéenne. C’est lui qui a décidé avec son parti de voter NON le 28 septembre 1958. C’est pourquoi j’ai adhéré à son idéal.
Après ce vote tonitruant la Guinée a subi quand même les conséquences de cette brusque séparation avec l’ancienne métropole qu’était la France ?
Pierre Messmer, qui était le gouverneur de l’AOF à l’époque (Afrique Occidentale Française), faisait partie de cette délégation a, trois jours avant le vote du 28 Septembre, fait envoyer un commando à Conakry (…), il indique dans un témoignage que je cite « j’envoi le 25 septembre 1958, un commando à bord d’un navire de la marine nationale une compagnie de parachutistes dans laquelle un solide commando à l’ordre reçu et signé de ma main de se faire remettre les milliards et de les transmettre aussitôt à bord du navire qui les ramènera à Dakar . Le recours à la force est autorisée jusqu’à l’ouverture du feu. J’étais et suis encore certain qu’il était nécessaire en 1958 de traiter la Guinée sévèrement ».
Ce commando a ainsi débarqué et il a pris tout l’argent à la Banque de la Guinée-Française. Donc le jour du vote, la Guinée n’avait aucun franc pour payer ses travailleurs. Après le vote, la France a subi un désastre inqualifiable. Les conséquences du vote de la Guinée a disloqué l’empire colonial français qui a perdu 12 colonies(…), c’est-à-dire que l’AOF avec ses huit colonies n’existait plus et l’AEF avec ses quatre colonies (Afrique Equatoriale Française) non plus. Cela a donc beaucoup fâché la France qui nous a livré une guerre atroce.
De quelle sorte de guerre s’agit-il ?
Dans un livre intitulé la Piscine, en sa page 245, des agents secrets français ont indiqué que : le Général De-Gaulle donne le feu vert pour une action global de déstabilisation. Pendant 20 ans, les complots vont se succéder en Guinée. Le leader guinéen a contre lui l’ensemble du dispositif occidental du renseignement. La décision était prise d’éliminer Sékou Touré et d’installer par la force un nouveau régime à Conakry. Tout ça pour vous dire que les complots dont vous entendez parler, sont organisés et exécutés par les agents secrets français.
Vous voulez dire que les autres compagnons de Sékou Touré ont fait partie des complots pour déstabiliser le régime de Conakry ?
Comment les complots se faisaient, le gouvernement français recrutait des guinéens sur place pour l’exécution de ses complots.
Pouvez-vous citer quelques noms de guinéens qui ont participé à déstabiliser la Guinée à cette époque ?
Vous devez certainement le savoir (…), il y a eu beaucoup de ses recrutés qui ont été emprisonnés au camp Boiro. La plupart d’entre eux ne sont plus de ce monde donc je me réserve de citer un nom, quand bien même que je connais certains d’entre eux. Comme les complots ont échoué, ils ont préparé une attaque armée le 22 Novembre 1970. Cette agression a été préparée et exécutée par trois nations européennes…
Quelles sont ces nations ?
Il y avait la France, le Portugal et l’Allemagne fédérale (…). Chacune des nations avait ses raisons. Le Portugal par exemple, la Guinée-Bissau avait pris les armes contre elle pour son indépendance. Le PAIGC (parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert) avait pour base Conakry. Donc pour le Portugal, le gouvernement de Sékou Touré devait disparaitre. Ce pays donc était à la tête de l’agression du 22 Novembre 1970. Quant à la France, c’est le vote historique du 28 septembre 1958. Pour l’Allemagne Fédérale, c’est après sa défaite de 1945, divisée en deux nations (…), à notre indépendance, nous avons reconnu les deux Allemagnes et donc, l’Allemagne fédérale n’était pas contente de cela. C’est pourquoi ce pays faisait partie de cette agression. D’autres complots ont bien entendu suivi (…).
Est-ce que cette situation d’agression ou de complot dont vous faites allusion a continué après cette date ?
A la mort de Sékou Touré, la France a changé de comportement, parce que tout simplement c’est à Ahmed Sékou Touré qu’elle en voulait à mort.
Le débat actuellement se cristallise autour du changement de la constitution voire d’ailleurs pour un 3ème mandat. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?
Je ne me prononce pas là-dessus (…), parce que je ne l’ai pas encore vu. Donc je ne puis pas adhéré à cette constitution-là ni lutter contre elle parce que je n’ai pas pris connaissance.
Avez-vous un dernier message ?
C’est pour dire aux guinéens que la gloire que nous avons eu le 02 octobre 1958 soit pérenne et que tout le monde adhère à l’indépendance de la Guinée dans une nation une et unie. A l’heure actuelle il y a des dispositions que je n’approuve pas du tout (…), Ahmed Sékou Touré a eu le privilège d’unir le peuple de Guinée. De la capitale jusqu’à Yomou, le peuple était un et indivisible. Cette union s’est manifestée à deux occasions incontestables, il s’agit du vote de plus d’un million de guinéens contre 50 mille personnes pour dire NON à la communauté française et la résistance du même peuple contre les agresseurs du 22 Novembre 1970. Donc l’unité nationale, le président Sékou Touré l’a réussi.
Vous-voulez dire que cette unité s’est effritée au fil du temps ?
Je suis contre une disposition que nous sommes en train de vivre de nos jours (…), il s’agit de cette histoire de chefs coutumiers qui foisonne dans le pays, à savoir l’association des régions autours de leurs chefs coutumiers. Je ne suis pas d’accord avec ça et très sincèrement je suis contre cette disposition. Ce que je souhaite, c’est l’union des fils de Guinée.
Qu’est-ce qu’il faut alors pour ramener cette unité entre guinéens ?
Il faut par exemple éviter de créer une formation politique à connotation ethnique. S’il existe un parti politique qu’il soit représentatif de toutes les composantes de la nation guinéenne.
Ce qui veut dire que vous prônez le retour d’un parti –Etat pour garantir l’unité entre les fils de Guinée ?
Non, le Parti-Etat est terminé avec Ahmed Sékou Touré. Je ne parle pas de ça.
Entretien réalisé par BAH Boubacar LOUDAH
Pour Africaguinee.com
Tel : (+224) 655 31 11 13
Créé le 3 octobre 2019 10:36
Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: 02 octobre, Interviews