Dr Hamidou Diallo : « Il est primordial de diversifier l’économie guinéenne… »
Le financier franco-guinéen Hamidou Diallo souhaite la diversification de l’économie guinéenne et plaide pour qu’une attention particulière soit accordée au secteur informel, garant de stabilité sociale.
Il a récemment publié un article dans le « International Journal of Economics Management Engineering », intitulé « Predicting the Lack of GDP Growth: A Logit Model for 40 Advanced and Developing Countries » (en français Prédire le manque de croissance du PIB : un modèle logit pour 40 pays avancés et en développement).
Quels est l’intérêt de ses travaux ? Quelle est sa vision de l’économie guinéenne ? Comment le pays peut-il faire face aux conséquences économiques du Covid-19 ? Actuellement en séjour en Guinée, Hamidou Diallo répond à nos questions, à sa manière, pédagogique ou technique, c’est selon. Mais il répond.
Vous êtes guinéen. Vous avez fait vos études en France (Université Paris II Panthéon Assas), vous êtes Docteur en Économie. Vous avez travaillé au Canada, en France. Vous enseignez aux universités Paris Dauphine et Panthéon Assas, et puis vous avez rejoint la Banque Islamique de Développement, en quittant Paris pour Djeddah. Qu’est-ce qui vous a poussé vers cette aventure ?
DR. HAMIDOU DIALLO : Écoutez, j’avais eu une belle aventure dans le passé. C’était le moment de passer à autre chose. Cette opportunité est venue au bon moment car ça me permettait de repartir dans un secteur qui est intéressant, qui est la banque de développement où je n’avais pas été actif auparavant.
Aucune institution guinéenne ne vous a fait une proposition ?
Si je commence à parler des entreprises ou institutions qui ne m’ont pas fait de proposition ça risque d’être long.
La Guinée ne regrettera-t-elle de laisser partir des profils comme vous ?
Je l’ignore. En ce qui me concerne, ma position actuelle à la BID est un très beau défi que je suis content de relever. Si vous ajoutez à cela les enseignements que je donne à l’université, à Paris, voyez-vous, je suis bien occupé. Je suis heureux là où je suis.
Vous avez récemment présenté un article de recherche lors d’une conférence internationale. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un article co-écrit avec Madame Marianne Guille, du Laboratoire d’Économie Mathématique et de Microéconomie Appliquée (LEMMA) de l’Université Paris II Panthéon-Assas. Nous avons identifié les principaux déclencheurs d’épisodes de manque de croissance du PIB, en utilisant un modèle économétrique. Nous avons montré également les différences entre les pays en développement (PED) et les pays avancés (PA). Pour les PA, les principaux prédicteurs de la probabilité d’avoir un épisode déficitaire de croissance du PIB sont la détérioration des déséquilibres extérieurs et la vulnérabilité de la position budgétaire alors que les PED font face à différents défis qui doivent être pris en compte dont la faible capacité de payer la dette et l’appartenance ou non à une zone monétaire commune. C’est simplement une contribution au débat scientifique et un outil d’aide à la décision. Il permet en effet d’avoir des indicateurs clairs sur quand et comment prendre des mesures préventives afin d'atténuer ou de prévenir une crise économique et financière.
Alors parlons d’économie. On évoque la crise économique mondiale. Les prévisions de croissance sont cependant notables pour la Guinée. Pensez-vous que l’économie guinéenne est sur une bonne voie ?
Il y a plusieurs scénarios. Le plus probable, selon moi, est un « hard landing » comme on dit en anglais, c’est à dire un scenario difficile. Oui, la Guinée est engagée dans une croissance du PIB qui est réelle mais tous les économistes sont d’accord sur le fait que notre pays doit opérer une transition : d’un modèle basé sur l’exportation de minerais bruts, vers un modèle de croissance tiré par les investissements, les autres exportations et la consommation.
Est-ce que cela traduit un échec des politiques publiques ?
Dans tous les pays, face aux problèmes, l’opinion publique pense que c’est l’erreur du gouvernement, son impuissance. La croissance de la Guinée, de là où nous sommes, est une croissance très intensive en capital. Ouvrir des mines partout où cela est possible et charger de la terre rouge dans des bateaux c’est bien, mais simplement c’est beaucoup de capital. Et quand c’est aussi intensif en capital d’un côté, c’est que de l’autre côté, ce n’est pas très intensif en travail, avec des effets d’externalités négatives qui apparaissent très rapidement. On le voit d’ailleurs déjà.
En France on crée de l’emploi autour de 1% de croissance du PIB. En Guinée on n’absorbe pas la cohorte d’âge à 6% de croissance du PIB. Pourquoi ? Parce que la croissance est très contenue en capital. Et donc il va falloir des politiques publiques extrêmement volontaristes pour aider le secteur informel et lui ouvrir des droits. Ce secteur emploi quand même 90% de la force de travail du pays, ce n’est franchement pas rien.
Pourriez-vous expliquer davantage votre vision de l’état de l’économie guinéenne ?
C’est une question vaste que l’on peut discuter pendant des heures. Il va falloir être dans la synthèse pour répondre vite.
A mi-2021, l’économie mondiale se trouve dans un désordre total et la Guinée n’est pas en marge de cette situation. On note un désordre conjoncturel assez exceptionnel à cause du Covid-19. En Guinée, la croissance économique, qui était jusque-là élevée, se trouve fragilisée car structurellement le pays est très dépendant de la demande mondiale de bauxite. Ceci est, quelque part, révélateur de l’échec des politiques publiques mise en place ces dernières années.
La Guinée a par ailleurs besoin du retour d’épargne de nos migrants. Les chiffres démontrent que ce volet est très important pour l’économie guinéenne, car complément essentiel. Il apporte jusqu’à 6 points de PIB en plus d’un effort d’épargne interne qui est de l’ordre de 15% du PIB. Cela permet à la Guinée d’avoir un niveau d’épargne nécessaire à la prolongation de l’effort d’investissement et de croissance. Pour ce faire, les diasporas ont besoin d’évoluer au sein d’économies suffisamment saines pour que leur retour d’épargne demeure significatif. Ce qui n’est pas le cas en raison de la contraction de la richesse en Europe aux USA et partout ailleurs.
La Guinée étant assez dépendante des facteurs extérieurs, on doit se préparer à une crise économique et financière guinéenne, si on n’y est pas déjà. Le choc peut être très fort. Ce sont des raisons sérieuses qui valident totalement la vision de donner une vocation plus inclusive à la croissance en Guinée. Il faut être visionnaire pour comprendre qu’il est primordial de diversifier l’économie guinéenne.
En résumé, nous vivons un désordre lié à la conjoncture mondiale mais qui, naturellement, s’est aggravé par les lacunes structurelles de l’économie guinéenne. La Guinée, se reposant sur elle-même, pourrait trouver des éléments pour amortir le choc, mais pas suffisamment. C’est pourquoi, je souhaite vivement que la diversification de l’économie soit une réalité de plus en plus importante. Cette voie de la diversification, établirait un ordre guinéen dans le désordre du monde. Il est impératif de la mettre en œuvre très rapidement pour rendre l’économie guinéenne plus résiliente, car, sur un cycle économique, la probabilité d’avoir un choc est de 100%.
Quels sont les risques que ces chocs pourraient engendrer pour la Guinée ?
Écoutez, il est empiriquement prouvé que les chocs créent ou amplifient les inégalités dans un pays. En Guinée, le sujet d’inégalité/égalité est de plus en plus marqué, clivant et complexe. C’est donc un des éléments dans lequel il va falloir s’inscrire pour toutes les entreprises.
J’insiste sur un point. Nous avons une inégalité fondamentale en Guinée qui est le fait que notre jeunesse est frustrée, d’un bout à l’autre du pays, de la faculté de construire son destin en entrant aisément sur le marché du travail. Plus nos jeunes sont qualifiés plus il leur est difficile d’entrer sur le marché du travail. Cela est un scandale, c’est même impensable. La mobilité sociale c’est l’école, et c’est le passage par l’université. Aujourd’hui, ça ne vous délivre pas l’aptitude et le droit d’entrer sur le marché du travail. Parce que l’économie guinéenne n’a pas encore cette faculté d’accueillir, même les plus qualifiés. Donc oui, il faut beaucoup travailler sur l’éducation, mais il reste que, en Guinée, nous sommes d’autant plus au chômage que nous sommes plus qualifiés. C’est l’inverse du reste du monde. Et là nous avons un problème terrible avec des conséquences politiques qui évidemment se voient très rapidement. C’est une situation insupportable, et surtout totalement paradoxale. Le scandale français ou occidental c’est d’avoir paupérisé les jeunes non qualifiés. En Guinée, nous paupérisons aussi les jeunes qualifiés. Voilà la double peine. Cette inégalité-là, ce sont les entreprises qui peuvent aider à la dépasser.
Quelles sont les autres inégalités qui caractérisent la Guinée ?
Les inégalités sont absolument universelles, nous les partageons avec les pays avancés. En Guinée, il y a des inégalités d’âge, de genre, de secteur que vous retrouvez dans tous les territoires du pays avec un risque de fracture. Par exemple : entre le littoral (Basse Guinée) et la savane (Haute Guinée) il peut y avoir des différences significatives de revenus, de taux d’alphabétisation ou de taux natalité. Or, la distance qui sépare ces deux zones est de seulement 500 km. Et si sur cette petite distance on construisait 2 États, alors nous allions constater des problèmes terribles de démocratie et de sécurité de manière générale. On ne peut pas avoir les caractéristiques de plusieurs pays en un seul, or c’est le cas de la Guinée, chaque zone démontre des caractéristiques différentes de niveau de développement.
Mais en fait, comme l’Afrique est plus flexible, plus jeune, on peut trouver des solutions locales que l’on pourrait même exporter vers les pays riches. L’Afrique de l’Est l’a déjà montré sur les moyens de paiement ou le digital d’une certaine manière. En Guinée, on a une infinité de possibilités, de productivité inexplorée et de solutions. Il faut les explorer sérieusement.
Les autorités guinéennes sont-elles capables de relever ces nombreux défis ?
Je l’espère ! Ce serait une très bonne chose pour les Guinéens. Pour y arriver en tout cas, il faut, à mon sens, au moins 3 éléments : faire le bon diagnostic, avoir le sens des priorités et disposer d’une bonne capacité d’exécution. A défaut, je prédis à 100% un traumatisme sévère de l’économie guinéenne.
Quels sont vos recommandations aux décideurs guinéens ?
Je n’ai aucune leçon à leur donner. Ce n’est pas mon travail. Je pose simplement le débat sur l’allocation optimale des ressources en Guinée où la consommation est trop basse en raison de la pauvreté structurelle, où le taux d’épargne intérieur est faible et où il n’y a pas ou peu de protection sociale.
Sans forcément prendre parti, par exemple, à mon avis, en Guinée, on peut ajouter chaque année l’équivalent de 5% du PIB pour le mettre au service des investissements. On se situerait alors autour de 700 millions de dollars par an d’investissements supplémentaires. C’est à peu près l’équivalent du montant nécessaire pour construire 800 km de route chaque année. Pour faire simple, si on comblait ce gap, en 5 ans, la Guinée aurait eu 4000 km de route dont la construction serait entièrement financée ; soit Conakry-Nzérékoré, Koundara-Siguiri, Siguiri-Yomou, Mamou-Koundara, Kindia-Forécariah, en plus de quelques voiries urbaines et pistes rurales. En plus de soutenir la croissance avec les échanges commerciaux, ces infrastructures contribueraient au désenclavement interne et externe, et faciliteraient l’intégration sous régionale. Qui pourrait contester que ceci serait un énorme coup de pouce pour les territoires ruraux qui représentent plus de 75% du pays ?
Vous voyez donc que l’allocation adéquate des ressources est un enjeu absolument majeur.
Le gouvernement est plus optimiste que vous. Qu’en-pensez-vous ?
Je ne sais pas si le gouvernement est plus ou moins optimiste parce que je ne lui parle pas. Ceci dit, c’est bon d’être optimiste mais cela n’est pas équivalent à dire qu’il ne reste plus rien à faire. Je pense que les problématiques des Guinéens sont réelles et suffisamment préoccupantes. C’est toujours dans l’intérêt des populations d’avoir des acteurs et des politiques publiques qui mesurent de manière juste et précise les enjeux du moment et qui les adressent convenablement.
On dit que vous êtes candidat à un poste en Guinée ?
Non. Il ne faut jamais être dans la spéculation. J’ai un job ; on peut en parler pendant des heures. Il est prenant et me satisfait.
Donc, vous ne pensez pas à un poste en Guinée ?
Très simplement, Non !
Merci d’avoir répondu à nos questions.
Merci.
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