Dr Faya : « Comment éviter les morts pendant les manifestations… »
CONAKRY-La Guinée renoue avec les manifestations de rue. La dernière mobilisation lancée par les forces vives a été réprimée dans le sang. Les organisateurs déplorent un bilan de sept morts. Comment mettre fin à ces violences meurtrières pendant les manifestations ? Dr Faya Milimono parle sans détours et fait des propositions?
AFRICAGUINEE.COM : Quelle est votre position par rapport à l’organisation des manifestations par les Forces Vives ?
DR FAYA MILIMOUNO : Ce n’est pas une question de raison ou de tort. Il est clair que la charte en vigueur consacre les droits et libertés parmi lesquels le droit de manifester.
La crise guinéenne a pris une autre tournure ces derniers jours, des manifestations réprimées, des activistes libérés, quelle analyse en faites-vous ?
Il faut d’abord se féliciter de la libération de Foniké Mengué et ses compagnons parce que la liberté c’est la norme, la prison l’exception. Lorsque quelqu’un a perdu sa liberté, quel que soit la raison et qu’il en vienne à la retrouver on peut se féliciter. Il faut se féliciter pour Foniké et compagnie. On est content pour eux et leur famille.
Cependant, il y a un aspect sur lequel nous devons faire très attention. J’aurais personnellement souhaité que cette libération se fasse par un acte d’un juge parce que c’est l’acte d’un juge qui les a conduits en prison. Un acte d’un juge les sortirait de prison. Ça veut dire que la procédure aurait été conduite avec le respect de toutes les normes en la matière. C’est-à-dire le respect de la présomption d’innocence, de la procédure etc.
Mais là où nous nous trouvons, c’est des pressions sociales qui ont permis cette libération qui ne suspend pas ou n’annule pas les poursuites et qui donne de facto le droit à l’exécutif d’interférer avec la justice. Ça c’est très dangereux dans la construction d’un Etat de droit. Parce que si l’exécutif peut intervenir aujourd’hui pour influencer la justice pour la libération d’un acteur politique ou de la société civile, l’exécutif peut aussi influencer la justice pour mettre un homme politique ou un acteur social en prison, c’est en cela que se trouve le danger. C’est pourquoi nous devons faire très attention.
Quelle est votre réaction sur ces cas de tueries enregistrées lors des manifestations du 10 et 11 mai à Conakry ?
Il faut vraiment déplorer ce qui est en train de se passer. Sept (7) morts, une mort est une mort de trop. Nous condamnons ces crimes et nous exigeons qu’il y ait une enquête qui puisse situer les responsabilités. Nous l’avons toujours réclamé, nous continuerons à le faire pour que nous ne continuions pas à vivre ces statistiques macabres de morts surtout des jeunes gens, parce que la plupart c’est des jeunes gens qui n’avaient rien à voir avec une manifestation. Or, on n’a pas encore tous ses droits civiques quand on n’a pas 18 ans.
Les manifestations sont-elles opportunes ?
Est-ce que c’était opportun ? Ça ne se pose pas en termes d’opportunités. Ce qui est important aujourd’hui, nous sommes en période transitoire, ce n’est pas aujourd’hui que nous avons commencé à enregistrer des morts à l’occasion des manifestations, c’est pourquoi le Bloc Libéral (BL), durant cette période transitoire a invité tout le monde à se prêter à un exercice.
Parmi les acteurs qui constituent les Forces Vives, on a un ancien président, qui, il y a encore quelques mois, interdisait aussi les manifestations au cours desquelles il y avait des morts. On a des anciens premiers ministres qui l’ont fait aussi lorsqu’ils étaient aux affaires. Un débat aurait permis de comprendre les deux côtés. C’est-à-dire on a l’expérience de l’opposition mais aussi l’expérience de l’exercice du pouvoir. Cela nous permettrait de trouver un équilibre, aujourd’hui, dans la façon de vouloir exercer ces droits, pour nous éviter toujours qu’il y ait des morts.
Mais personne ne veut se prêter à ce jeu. Que ce soit quelqu’un comme Alpha Condé, qui aujourd’hui demande, aux gens de descendre dans la rue pour une manifestation, est ahurissant. On a encore fraichement dans nos mémoires des fosses communes, des gens qui ont été fauchés à la fleur de l’âge parce qu’ils ont exercé leur droit constitutionnel de marcher sous son règne.
En tant qu’élite de ce pays, nous devons faire face à nos responsabilités et essayer de nous asseoir pour parler franchement sur la façon d’exercer les droits et libertés sans que ça ne conduise à la mort de quelqu’un.
Avec ces cas de tueries par balle, beaucoup pensent que la refondation tant prônée par Colonel Mamadi Doumbouya est en train de rater sa trajectoire. Qu’en pensez-vous ?
C’est déplorable. Mais encore une fois les responsabilités sont partagées. Je reviens encore là-dessus parce que si on ne met pas l’accent sur la qualité des hommes qui composent les Forces vives on ne comprendrait pas le sens du message qu’on veut faire passer. Il s’agit d’un ancien président, de deux anciens premiers ministres, ce sont eux qui constituent les Forces vives.
Mais pas que les trois, seulement !
Il y a quelques trois autres acteurs. Mais les acteurs majeurs, il y a un ancien président, de deux anciens premiers ministres. On peut compter dans leur histoire les mêmes situations que nous sommes en train de vivre. C’est pour cette raison en ce qui nous concerne, nous pensons que si chacun tient à tenir compte de ce qui est un intérêt supérieur du pays, si chacun tenait compte de l’intérêt supérieur parce que ce qui nous amène à ça, il faut repenser ces préalables que demandent les forces vives.
Les membres de ces forces vives demandent l’abandon des poursuites les concernant au lieu de demander que les procédures soient diligentées, conforment aux lois, mais eux réclament qu’elles soient abandonnées. Ça, c’est un intérêt personnel par rapport à l’intérêt général. Mieux, nous l’avons dit par le passé, lorsqu’on informe l’autorité qu’on veut marcher, elle a le droit de dire ‘’ce jour-là, la manifestation n’est pas possible à tel endroit ou à telle heure’’, ce n’est pas la fin de la procédure. On a la possibilité d’attaquer cette décision devant les Cours et Tribunaux.
C’est ce qu’on déplore en fait avec la démocratie qu’on veut construire en Guinée, on veut construire la démocratie sans faire recours aux Cours et Tribunaux. Je me demande quelle démocratie, et quel Etat de droit on veut construire ?
Pendant ce temps les Foniké Mengué et Cie ont fait 9 mois de détention sans être jugés alors que pour certains juristes, leurs droits n’ont pas été respectés. Dans ce cas, ne croyez-vous pas que les forces vives ont leur raison ?
Il y a des choses que j’ai reprochées aux Cours et Tribunaux quand il s’agit du cas de Foniké Mengué et ses collègues. Ils sont restés en prison pendant 9 mois, je crois que la procédure ne le prévoyait pas comme ça. Mais, nous avons continué à exiger parce qu’on a vu le ping-pong entre la Cour Suprême, la Cour d’Appel et le Tribunal de Première Instance. Est-ce que toutes les procédures ont été respectées sur toute la ligne ? Je ne crois pas.
Dans ce cas, vous direz quoi de la position des leaders des Forces vives ?
La justice dans notre pays, c’est un idéal qu’on est en train de poursuivre. Dans tous les pays où on a voulu construire un Etat de droit, ce n’est pas parce qu’il y a eu violation de procédure qu’on ne peut plus faire confiance en la justice.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 664 72 76 28
Créé le 15 mai 2023 09:31Nous vous proposons aussi
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