Diogo Baldé fait le déballage: « Comment la date des législatives a été choisie… »
CONAKRY- Comment la date du 28 décembre a-t-elle été retenue pour l’organisation des élections législatives ? Dans cette interview qu’il nous a accordé, Diogo Baldé commissaire à la CENI fait des révélations sur la façon dont cette date été concoctée. Il évoque également les raisons qui ont amené les sept commissaires à se désolidariser de ce chronogramme.
AFRICAGUINEE.COM : Les commissaires de la CENI ne se sont pas entendus sur le chronogramme des élections législatives qui vient d’être dévoilé par le président de la CENI. Dites-nous où se trouve le point d’achoppement ?
DIOGO BALDE : Nous sommes retrouvés pour essayer de se mettre d’accord sur un projet de chronogramme avec une date qui allait être proposée ce lundi au premier ministre mais malheureusement on n’a pas pu s’entendre. Pour rappel, nous avons travaillé le jeudi soir avec l’ensemble des techniciens et des commissaires de la CENI qui étaient présents en réunion des départements. Nous avons actualisé le chronogramme et nous étions au mois de mars. Nous sommes entendus de nous retrouver vendredi toujours en réunion des départements pour essayer de continuer le travail. Je rappelle que le jeudi, nous travaillons sur un logiciel de planification connu qui s’appelle Microsoft projet sur lequel il y a une liaison entre les tâches. Donc tu ne peux pas faire ce que tu veux, tu ne peux pas les mettre en parallèle des tâches qui se font l’une après l’autre.
Le vendredi quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé que des commissaires issus de la mouvance avaient préparé un travail sur Excel dont projet des élections était prévu en décembre 2019.Quand ils ont présenté leur travail, nous avons démontré les incohérences, ils ont dit qu’ils étaient d’accord que c’était fait à la va vite mais qu’il fallait s’en tenir à ça. Nous avons dit NON ! Vous ne pouvez pas nous imposer cela. Ils ont répondu que le Président de la République a déclaréqu’il faut tout faire pour faire les élections en 2019, il faut qu’on reste en 2019. Ils ont indiqué que « La CENI a promis quand on était à Kindia d’organiser les élections en 2019 », nous avons rétorqué que c’était en avril et mai que le président de la CENI avait fait cette déclaration et que ce qui était vrai en Avril et Mai n’est pas forcément vrai au mois de septembre. Donc aujourd’hui nous n’avons pas suffisamment de temps pour organiser les élections en 2019.
Nous avons mis ensemble les délais opérationnels incompressibles, les délais légaux incompressibles et cela nous donnait plus de 100 jours à partir du 1er octobre date à laquelle l’opérateur a promis d’être là avec le logiciel. Donc c’est quasiment impossible, je ne parle même pas des petites tâches qu’il faut obligatoirement faire. Il y a eu un gros clash et on s’est séparé à queue de poisson. On est parti voir le Président de la CENI qui n’était pas dans la salle, on lui a expliqué et il a dit de revenir le lendemain. Donc hier pour essayer de rapprocher les positions et se mettre d’accord sur une date, quand on est arrivé, on a trouvé que le Président a pris quelques technicienspour travailler la nuit sur le chronogramme. Un travail qui projetait les élections au 28 décembre 2019. On a compris qu’il est dans le même état d’esprit des élections en 2019. Leur façon de travailler a été de se fixer une date en 2019 et ensuite de couper les délais même ceux qui incompressibles et légaux pour arriver à cette date. Il faut rappeler que c’est au département planification de proposer à la plénière un projet de chronogramme, cela ne reviens pas au président de la CENI.
Quelles sont les tâches techniques compressibles selon vous ?
Par exemple en terme opérationnel vous aviez le délai de révision. A Kindia nous avons établi un chronogramme qui indique que nous allons procéder à une révision avec les machines sur le terrain sur une période de 45 jours. Je rappelle que les acteurs politiques souhaitent toujours avoir 60 jours conformément au délai de révision ordinaire, ils ne sont pas d’accord avec le délai de 45 jours.Cela fait 4 ans depuis juin 2015 qu’on n’a pas fait de recensement dans ce pays donc il y a beaucoup de personnes qui sont devenus majeurs qu’il faut enregistrer dans le fichier électoral et en plus la recommandation 1 (R1) de l’audit dit que l’ensemble des électeurs doivent repasser devant la machine pour confirmer et compléter leurs données biographiques ou biométriques pour qu’ils soient maintenus dans le fichier. Donc ça veut dire que les 6 millions d’électeurs actuels plus tous les majeurs devront passer devant la machine. Il faut un temps adéquat pour pouvoir enrôler toutes ces personnes. Ce délai si vous le toucher vous aller avoir un problème. Ensuite vous avez le délai de dédoublonnage : une fois vous avez recensé, enrôlé ou révisé les gens, vous allez comparer leurs empreintes biométriques et faciales pour s’assurer de l’unicité de chaque électeur. L’opérateur nous a dit qu’il lui faut 25 jours. C’est un délai incompressible, c’est des machines qui travaillent. Les délais d’affichage des listes provisoires, une fois que vous avez votre fichier électoral provisoire il faut afficher dans le tout pays pour que les électeurs vérifient leurs informations et s’assurer que cela est conforme. C’est l’article 14 du code électoral qui dit qu’il faut 15 jours et à partir du dernier jour d’affichage il y a un délai de 8 jours pour que les électeurs puissent saisir les tribunaux s’ils sont omis ou s’il y a un problème sur leur nom ou sur leurs données, ce délai de 8 jours-là aussi est incompressible. Ensuite vous avez le délai de distribution des cartes d’électeurs. Ce délai aussi, c’est la loi qui le fixe à 30 jours. Donc ces délais que je viens de citer là simplement font plus de 100 jours. Donc si vous partez du 1erOctobre, c’est impossible de le faire au courant 2019.
Quels sont les risques d’organiser les élections courant 2019 ?
Nous avons déjà exprimé notre position hier soir quand on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas s’entendre. Quand on a démontré que leur chronogramme ne tient pas, on leur a dit qu’on ne peut pas s’associer à la violation de la loi en diminuant des délais légaux, nous avons dit que ce chronogramme ne nous engage pas et que nous ne pouvons pas nous y associer. Nous nous sommes désolidarisés. Donc maintenant, c’est leur chronogramme ce n’est pas le nôtre, nous ne sommes pas d’accord avec ça. Et derrière, la conséquence on va bâcler des opérations électorales importantes pour juste une date. Je rappelle que la CENI est une institution indépendante et la loi dit que c’est à la CENI de proposer la date des élections au président de la république et non l’inverse. Ce n’est pas à un autre acteur extérieur à la CENI, partis politiques ou Président de la République de dire que vous devez organiser les élections à telle date. C’est à la CENI d’analyser et de dire que nous pouvons organiser les élections à telle date et ensuite le Président de la République prend un décret pour confirmer ou infirmer cette date. C’est ce que dit la loi. Nous avons vu ici, les CENI antérieures donner des dates sans pouvoir les tenir, c’est une question de crédibilité aussi.
Nous sommes une nouvelle CENI, nous devons regarder de façon objective ce qui est faisable, si ce n’est pas faisable nous le disons. A mon avis, la seule échéance importante pour nous, c’est la date du 5 avril pour la rentrée des députés à l’Assemblée Nationale. Que vous élisez vos députés le 30 Novembre, le 31 décembre, le 31 janvier, le 1er février ou le 1er mars, ces députés ne feront leur rentrée qu’à la session du 5 avril. Donc à mon sens il y a aucun intérêt à bâcler des opérations électorales, à violer la loi pour élire des députés en décembre ou Janvier qui ne rentreront qu’en Avril. Pourquoi ne pas prendre deux mois supplémentaires pour organiser des bonnes élections ? Si vous élisez vos députés en mars vous avez un mois pour gérer un contentieux et les installer pour qu’ils rentrent en avril.
Qu’est-ce que vous envisagez de faire ?
Nous sommes au moins sept commissaires qui partageons le même avis, qui se sont désolidarisés de ce chronogramme unilatéral dès sa présentation. Nous avons fait un communiqué pour exprimer de façon claire auprès de l’opinion et du peuple que nous ne sommes pas d’accord, que nous ne sommes pas engagés par ce chronogramme et que nous nous en désolidarisons. Ensuite nous allons expliquer dans les médias les raisons avec toute la pédagogie qui sied. Nous terminerons probablement par une conférence de presse pour présenter quels sont les risques si on précipitait les élections dans ce pays. Voilà ce que nous envisageons de faire dans les jours avenir.
Vous avez pris fonction en début d’année. Est-ce que depuis tout ce temps vous avez senti réellement l’indépendance de la CENI ?
Je pense que l’indépendance de la CENI il faut la mitiger puisque qu’à partir du moment où nous sommes obligés d’attendre l’argent auprès de l’exécutif pour exécuter nos opérations électorales c’est un vrai problème. Quand nous avons été installés, le Président de la CENI et la direction financière de la CENI ont fait beaucoup de démarches auprès du ministère du budget et auprès du Président de la République afin qu’on débloque les fonds pour organiser les élections. Si on avait débloqué les fonds en début d’année on aurait certainement pu organiser les élections en 2019. On nous fait trainer pendant tout ce temps et c’est au mois d’août qu’on débloque les fonds pour dire organiser les élections en 2019. Cela n’est pas possible. Donc cette indépendante elle est vraiment relative.
Est-ce que vous voyez là une sorte de division au sein de la CENI à cause justement à ces élections législatives ?
Le constat est là. C’est dur de le constater mais c’est la vérité. Aujourd’hui nous avons deux blocs au sein de la CENI. Un bloc qui veut imposer une date en 2019 aux autres et un autre bloc qui ne l’accepte pas, qui veut analyser les activités comme cela se doit, de façon objective. La planification il y a des fondamentaux, si vous les ratez, vous ne pouvez pas faire une élection et il y a toujours une petite marge à prévoir, vous ne pouvez pas mettre des tâches qui se font successivement en parallèle pour dire que vous allez arriver à une date, ce n’est pas possible. La réalité vous rattrapera. Et donc l’avenir est là, nous savons que c’est impossible sauf si on réduit des tâches qu’on ne peut pas réduire. Par exemple là ce qu’ils envisagent de faire, c’est de ramener à 25 jours le délai de révision ce qui ne s’est jamais fait ici. Une révision aussi importante au lendemain d’un audit qui nous dit que nous avons 1 500 000 électeurs sans données biométriques, des électeurs sans photos, des électeurs avec des données alpha numériques qui ne sont pas bonnes, des décédés qui sont encore dans le fichier, des majeurs depuis plus de de 4 ans qui ne sont pas dans le fichier, donc on veut réduire ce délai-là. Le délai d’affichage qui est légale de 15 jours on veut le ramener à 5 jours donc violer la loi. Donc nous commissaires, qui avons prêté serment nous ne pouvons pas nous associer cela, notre serment nous l’interdit. Donc s’il y a des gens qui veulent le faire, qu’ils le fassent mais nous, nous ne pouvons pas le faire.
Vous comptez rester à la CENI mais ne pas vous associer à ces opérations ?
Nous n’allons pas nous associer à une opération qui viole la loi, aucune. Egalement, nous nous n’associerons pas au bâclage d’aucune opération majeure. Il y a des opérations qu’il faut faire, on va être là pour exécuter ensemble ces opérations mais les délais légaux si on veut les réduire on ne va pas accepter, on nous entendra, l’opinion et le peuple nous entendra et je pense qu’il y a des tribunaux et de Cours dans ce pays qu’il faudra saisir. Quand on a indiqué que le délai légal du contentieux de 8 jours n’était prévu nulle part dans leur chronogramme, leur réponse a été de nous dire : « nous l’avons loupé mais nous ne pouvons pas l’intégrer car on sortira de 2019, si les acteurs politiques saisissent leurs tribunaux et que ces dernières nous notifient par décision et demande de l’intégrer, nous le ferons ». En gros, ils vont violer la loi en toute connaissance de cause et se remettre à la décision du tribunal. C’est extrêmement grave pour le pays. Cela démontre encore jusqu’où ils tiennent à 2019 sans objectivité car le fait de rajouter les 8 jours, ferait sortir leur chronogramme de 2019. Je suis définitivement convaincu que le problème de ce pays est moins un problème de compétences mais plus un problème de moralité et de responsabilité.
Entre réalisé par Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 17 septembre 2019 12:26Nous vous proposons aussi
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