Déguerpissement à Kaloum : La grosse colère de Dr Mariam Sylla qui cite des « complices » à la Présidence…
CONAKRY-Madame Sylla Mariam fait partie de ces nombreuses familles menacées de déguerpissement de l’immeuble Printania situé au quartier Alamamy dans la commune de Kaloum. Cette dame qui occupe ce bâtiment depuis des années est en colère contre les autorités de son pays. Dans cet entretien qu’elle nous accordé, elle fait aussi des révélations sur l’identité des personnes qui seraient derrière leur malheur. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Le patrimoine bâti public menace de vous déguerpir de l’immeuble Printania. Comment êtes-vous arrivés à ce stade ?
DR SYLLA MARIAM : Je pense qu'il n'y a pas une genèse particulière de cette affaire. C’est que le Patrimoine Bâti Public abandonne ses clients. Ils nous ont délaissés. Ils parlent d'embellir la capitale, ils refilent le marché. Ils ont pensé que les maisons étaient vieillissantes et qu'il fallait les restaurer. C'est ce qu'ils nous avaient signifié dans le premier préavis qu'ils nous ont adressé. Cela date de trois mois. Mais nous nous sommes vus donné une sommation de libérer les lieux dans huit jours. C'est ce qui va arriver le lundi prochain.
Mais nous habitons ces lieux il y a longtemps. Il y a un décret de 1992 qui dit que si un guinéen a habité les locaux du patrimoine bâti pendant 10 ans, s'il veut s'en défaire, vendre ou bailler il doit d'abord s'en quérir auprès des personnes qui y habitent, au cas où ces gens-là ne seraient pas intéressés, ils viendront ailleurs. Mais nous n'avons pas été consultés au préalable. Nous avons vu seulement un préavis résiliant le contrat. Rien de concret ne nous a été dit. On a dit tout simplement qu'on a attribué le bâtiment à une certaine madame Gnouma Traoré.
Nous sommes très acculés. Chaque fois, ils viennent, ils nous mettent la pression, ils nous menacent. La menace n'est pas voilée. On nous a envoyé cette sommation par voie d’huissier, que si nous ne déguerpissons pas dans huit jours, ils ont d'autres moyens de persuasion plus forts. C'est une épée de Damoclès, nous travaillons, nous servons l'Etat dans le public. C'est un patrimoine bâti public. Nous avons le droit d'y habiter. Il y a d'autres dispositions dans le code foncier qui stipulent que quand quelqu'un a cotisé, parce que c'est une cotisation que nous faisons, pendant 30 ans, la maison doit te revenir. Si l'Etat en a besoin pour cause d’utilité publique, il doit te reloger. S'il n'a pas les moyens, il doit te mettre à l'aise pour que tu puisses acheter ton terrain au prix de l'État pour rebâtir l'espace que tu occupes sur ce petit terrain pour que tu vives décemment.
Vous n'êtes pas sans savoir que maintenant si tu veux prendre un loyer dans le privé, il faut payer de l'avance. C'est vraiment un cauchemar. Nous ne comprenons pas que cela puisse se passer dans un pays de droit, un pays démocratique comme la Guinée. Rien n'est respecté. Il y a vice de procédure partout. Et maintenant les gérants du patrimoine bâti, les gérants des locaux où nous habitons se relaient, ils sont à hue et dia. "Sortez ! Donnez-nous vos contrats, il y a une indemnisation". Ce n'est pas de l'indemnisation. C'est juste une somme modique avec laquelle on vous botte le train en disant "allez déguerpissez"! 50 millions, 40 millions, 20 millions, on donne ça à quelqu'un qui a passé sa vie là-bas. Imaginez !
Il y en a qui occupe cet endroit depuis 1972, ils ont servi l'Etat à de hautes fonctions. Il y a Elhadj Barry par exemple qui a géré même la présidence au temps du Président Sékou Touré. Il a été le DRH (Directeur des Ressources humaines, Ndlr), il payait le Président et tout le personnel de la présidence. On lui dit, tu dois sortir. On remercie comme ça lesmédecins, on remercie comme ça les sages-femmes.
Une fois, ils ont sorti une dame là-bas qui était une sage-femme, soi-disant qu’elle est à la retraite. Le gérant du patrimoine bâti de Kaloum, M. Koumbassa, est venu sortir manu militari cette pauvre femme qui était malade, ils l’ont mis dans le couloir, elle est décédée là. Madame Fanta Sano sage-femme de son état a servi à Ignace Deen toute sa vie et c’est le Président Sékou Touré qui l’avait logée là-bas. Koumbassa est venu déloger cette pauvre dame parce qu’elle était malade et l’a laissée mourir dans le couloir.
C’est arrivé quand ?
Il y a cinq ans je crois. Elle est morte là devant tout le monde. Cette femme guinéenne, sage-femme de son état n’avait-elle pas le droit de vivre dans ces locaux ? Elle a dû faire des accouchements de certains ministres aujourd’hui. On l’a remercié comme ça. Je m’occupais de cette femme, je la bassinais, je la soignais, il m’est arrivé de passer ses perfusions dehors. Elle est morte-là au su et au vu de tout le monde. Il y’a des témoins oculaires. Ils veulent tuer tout le monde de stress. Imaginez cette épée de Damoclès sur la tête de tout le monde.
Il y a combien de familles qui vivent dans cet immeuble ?
Il y a au moins 32 familles. Mais c’est une honte pour une République. Nous sommes outragés, nous sommes estomaqués, nous sommes fustigés, nous sommes frustrés. Les termes sont très faibles j’aurai voulu trouver quelque chose de plus fort. Tenez-vous bien, moi qui vous parle, j’ai été frappée à cause du Président Alpha Condé.
A quelle occasion ?
M. le Président Chirac (ancien président français) devait venir en Guinée. En ce moment le président Alpha Condé était incarcéré à la maison centrale. On nous a donné des photos. Nous étions le long de la route pour les exhiber au cas où Monsieur Chirac passerait, il les verrait pour l’interpeler en faveur du Président. J’étais sur le même alignement que Nnah Fanta, une vielle de 80 ans environs, mère du célèbre musicien du Bembeya Jazz National, Salifou Kaba. Nous qui avions les photos, ils nous ont donné des cravaches, je porte encore la marque, la vielle femme cravachée, puis nous avons été manu-militari conduites au commissariat central. Ces gens qui nous mettent dehors là, ils n’ont pas milité plus que nous dans le RPG. Non. Nous avons milité, tout le monde nous a vu soutenir le Président Alpha Condé et soutenir ses idéaux. Et maintenant c’est pour nous remercier comme ça. Non. Ils sont sans gêne. Ils manquent de pudeur. Ce n’est pas comme ça. Si on a donné ce bâtiment à dame Gnouma, on ne nous a pas demandé. Au moins qu’ils aient la décence d’indemniser les gens correctement et de donner du temps que chacun se retrouve ailleurs. Mais nous donner des coups de pieds comme ça ? Cette sommation de déguerpir sans voiler la menace.
L’autre fois j’étais dans une radio où je parlais de cette affaire en langue locale soussou. Il y a un monsieur Sangaré, inspecteur du patrimoine Bâti qui est intervenu. Il a eu le toupet de dire qu’ils n’ont pas une ligne de crédit pour indemniser personne. Je lui ai dit que moi, je valais mieux que lui qui est carré entre les quatre murs d’un bureau. Moi je sers l’Etat, je sers mon pays, je soigne des gens, j’empêche les gens de mourir. Je suis aux côté des malades. Combien d’enfants je soigne par mois, par jour ? Est-ce qu’il connait toutes ces années pendant lesquelles j’ai travaillé ? Il ne vaut pas mieux que moi. Il y a des enseignants avec nous. Il y a des artistes, il y a des journalistes, il y a des enfants qui vont à l’école qui sont dans des classes d’examen. Vous vous imaginez le stress, le chao que cette menace peut faire ? Ils sont sans cœur. Nous ne les supplions pas. Nous voulons être rétablis dans nos droits. Nous avons des droits comme tout guinéen. Ce pays-là nous appartient. Et puis ce n’est pas un héritage familial pour qu’on nous sorte comme ça. On dit patrimoine bâti public. Ce sont les blancs qui ont construit ces maisons. Dans le contentieux franco-guinéen, ces maisons-là ont été rétrocédées à la Guinée. (…). Il y a de ces bâtiments qui ne doivent pas du tout disparaître pour l’histoire du pays. Ce sont des vestiges. Mais comment ils peuvent venir dire nous allons faire de Printania un fleuron architectural, on va construire des immeubles, faire des tours de 20 étages. Mon œil ! C’est du toc tout ça là. On nous menace. Mais nous ne quitterons qu’à coups de baïonnettes, de chars et de mitraillettes. Nous n’allons pas partir comme ça.
Partout c’est la même menace. Sanderwalia, Almamya, Coléah on menace les paisibles citoyens. Ces gens-là ont des motivations politiques. Ils veulent nous déguerpir pour que nous partions dehors dans la rue et que nous manifestions pour troubler la quiétude de la cité. Et nous allons le faire. Nous n’allons pas nous retenir parce que c’est de l’injustice. Gnouma est privée. Nous pouvons aussi reprendre l’immeuble. Est-ce qu’ils nous ont demandé ? On ne nous a même pas posé la question. C’est sortez ! Mais je suis désolée. Nous refusons cette menace-là. Nous refusons ces stress. Nous refusons cette épée de Damoclès. Il y a des gens qui sont malades. Il y a une dame madame Camara et madame Barry qui n’arrivent même plus à avaler quoique ce soit depuis cette sommation. Vous vous imaginez ! Où on va avec ça ?
Si le Président ne le sait pas, qu’il le sache parce que c’est de la présidence que l’ordre est parti. Il y a des bandits à col blanc à la présidence qui sont dans ça. Le chef protocole et toute son équipe, on les connait. C’est eux qui se refilent les bâtiments de l’Etat. Où on va avec ça ? Dans dix ans on ne reconnaitrait plus Kaloum. Parce que tu n’aurais pas de repères. On gomme comme ça notre histoire, on change tout au nom de quoi ? De l’argent blanchi. Le blanchiment d’argent fait légion. On connait. Nous ne sommes pas les sans voix. Nous subissons une domination, une sorte de dictature machiavélique des nouveaux riches, des parvenus. Mais nous gardons de la dignité, nous sommes dignes, nous sommes fiers d’être guinéens parce que nous savons que quelque part, il y aura quand même de la Justice. Il y a un tantinet de groupe de personnes qui savent OUI que la Guinée est aux guinéens, que tous les guinéens se valent sur ce territoire. Ils doivent partager équitablement ce qui est à la Guinée.
Si on avait des logements sociaux de construit, beaucoup de choses allaient se passer comme un bateau sur de l’huile, ça va glisser facilement. Mais on n’a pas pensé à ça. Quand quelqu’un est à la retraite aujourd’hui, il devient misérable. Ils se réservent les plus grosses parts du gâteau. Et nous alors ? Nous sommes de ce pays-là. En tout cas nous n’allons pas démordre. Nous n’allons pas baisser les bras. Si le Président ne sait pas, qu’il le sache, qu’il soit informé qu’il y a des gens qui veulent saper sa politique. C’est très vicieux ce qu’ils font pour que les gens se soulèvent pour qu’on dise tout le temps qu’il y a des factions de dissidents par-ci et par-là. C’est vicieux. Ils n’aiment pas le Président. Chacun tire sa couverture vers soi.
Comptez-vous engager des actions judiciaires pour être rétablis dans vos droits ?
Nous avons pris des avocats, nous sommes déjà là-bas. On a été convoqué une fois. C’est après ça figurez-vous qu’ils ont envoyé la sommation. Ils passent outre. Ils pensent qu’ils ont les moyens pour acheter tout le monde à la justice. Mais moi je sais qu’il y a des honnêtes fonctionnaires juridiques qui ne vont pas se laisser acheter. Ils vont dire le droit.
Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 13 avril 2018 13:05Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Interviews, Kaloum