Damantang Albert Camara : « il y a eu des fraudes et des irrégularités mais… » (Interview)
CONAKRY-Quelles sont les dispositions prises par le Gouvernement pour mettre fin aux violences post électorales ? Les élections communales ont-elles été entachées de fraudes ? Dans cette interview, nous avons évoqué avec le porte-parole du Gouvernement le déroulement du scrutin du 04 février et de ses implications. Si le ministre Damantang Albert Camara consent qu’il y a eu des cas de fraudes et des irrégularités à certains endroits, il indique qu'il y a des voies de recours légales. Dans cet entretien le ministre de l'enseignement technique, de la formation professionnelle, de l'emploi et du travail, répond égalemenet au PEDN qui demande l'annulation du scrutin ou encore à l'UFDG qui a menacé de ne pas accepter les résultats. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM: Monsieur le Ministre quel regard portez-vous sur les élections locales du 04 Février dernier ?
DAMANTANG ALBERT CAMARA : Je crois que tout le monde s’est accordé de dire que ces élections marquaient une nouvelle donne et obligeaient toutes les formations politiques mais également l’administration publique et la CENI (Commission électorale nationale indépendante, Ndlr) à tirer des conclusions. La première victoire est celle de la CENI pour avoir pu organiser au moment où elle a cité la date du 04 février ces élections. L’organisation en elle-même a été relativement satisfaisante, en tout cas selon ce qu’on a pu constater, en tout cas jusqu’au moment du dépouillement et de la centralisation des résultats. Une participation relative à certains endroits, à d’autres beaucoup moins (…), peut être une difficulté à comprendre le processus électoral lié aux élections communales avec la particularité du scrutin notamment pour la désignation des maires. Mais cela on le saura dans quelques jours lorsqu’il s’agira de désigner les maires. Pour le reste, l’on ne peut pas se taire sur les violences qui ont émaillé le début du dépouillement des résultats et qui continuent jusqu’à présent.
Au lendemain de ces élections locales certains acteurs politiques notamment le chef de file de l’opposition ont menacé de ne pas reconnaitre les résultats. Qu'en dites-vous?
On peut comprendre que des personnes doutent de la sincérité d’un certain nombre de circonscriptions ou ne soient pas satisfaits et contestent les résultats (…), il y a des voies légales pour ça. Malheureusement nous n’avons pas le choix sur les voies de recours, c’est soit, on accepte la loi des institutions dont on dispose et qui prévoient toutes les voies de recours, soit ce n’est même pas la peine de participer. Lorsqu’on dit qu’on ne reconnaitra pas les résultats, qu’est-ce qu’il y a derrière, cela veut dire quoi, on ne reconnaitra pas, qu’est-ce qui va en résulter ? Est-ce que les conseillers que l’UFDG a eu ne vont plus siéger? qu’est-ce qu’il y a derrière ? Sauf peut-être celui qui a proféré ces menaces veut dire qu’il va utiliser les voies de recours légales. Si c’est le cas, ça rentre dans le jeu politique normal et c’est bien de faire fonctionner tous nos mécanismes démocratiques y compris le contentieux électoral à travers les recours devant les juridictions qui sont prévues à cet effet.
Le PEDN par exemple appelle à une annulation pure et simple du scrutin…
Oui, il y a ce qu’on demande et ce qui va être accordé. Peut être accordé par la CENI ou les instances judiciaires. Ça, je ne le sais pas. Tout dépend de ce que le PEDN a constaté et pense être légitime à fonder un appel à l’annulation, c’est sa responsabilité. Et ensuite celle de la CENI et des tribunaux guinéens.
Est-ce que vous avez par endroit constaté des cas de fraude durant ce scrutin ?
Tout à fait ! Quand je suis allé le soir du scrutin au siège du RPG (parti au pouvoir, Ndlr) pour m’enquérir de ce qui se passait, il y avait assez de messages qui faisaient état de fraudes à plusieurs endroits. Le pool juridique du RPG se préparait à attaquer un certain nombre de résultats avec des arguments juridiques et des documents. Nous verrons alors après ce que cela va donner.
Vous rejoignez donc l’opposition qui dit que le scrutin a été entaché de fraudes ?
De fraudes et d’irrégularités à certains endroits. La preuve, c’est que chaque parti a porté plainte.
Comment expliquez-vous cette escalade de violences qui s’est malheureusement soldée par de nombreux cas de morts ?
Parce que les discours sont trop agressifs et prématurés. Au soir même du scrutin, avant même qu’on ait fini le dépouillement et la confirmation par exemple, on a dit que des votes ont été annulés, que d’autres n’ont pas été pris en compte, qu’il y a trop de procurations. Le soir on appelle à la mobilisation et que l’on dise, n’acceptez pas (…), et nous prévoyons de contester les élections y compris par la rue. Effectivement les militants se sentent fondés évidemment par la rue et à commencer à contester. On n’aurait pas dû en arriver là malheureusement.
Certains observateurs estiment que l’Etat affiche une certaine faiblesse vis-à-vis de ceux-là qui incitent à la haine ainsi qu’à la violence…
Depuis qu’on est aux affaires, par moment on nous a accusé de faiblesse, par moment on nous a accusé de de faire usage de la force par rapport à une certaine situation. C’est vrai que peut être tout cela joue sur la manière par laquelle les forces de l’ordre interviennent. Qui, elles aussi sont en pleine construction et qui sont en train de réapprendre un certain nombre de méthodes pour le maintien d’ordre. Parfois moi-même je reçois des messages sur ce que l’Etat fait, il y a trop de chienlits ou un laisser faire (…), nous faisons le maximum possible avec les moyens que nous avons. Mais quand il y a plusieurs foyers qui se lèvent au même moment, il est assez difficile de déployer toutes les forces de l’ordre et d’avoir la même efficacité dans le maintien d’ordre partout où des troubles se produisent.
Est-ce que l’appareil judiciaire va être mis en branle pour identifier ces auteurs et les commanditaires des violences ?
C’est vrai que souvent on n’a pas eu trop de résultats. Il faut quand-même que la justice aille au bout de certaines enquêtes et retrouve des coupables. Je conçois que c’est très frustrant et même révoltant (…), je peux comprendre la révolte de certaines familles, quand moi-même qui suis aux affaires et qui ne soit pas directement concerné par ces victimes-là, en lien directe, je suis très frustré de savoir que ces coupables ne sont pas retrouvés.
Je sais par exemple en ce qui concerne les deux victimes que nous avons eu hier (lundi 12 février 2018, Ndlr), très rapidement, des officiers de police judiciaire se sont rendus dans les hôpitaux de Donka et de Kipé pour commencer à recueillir les premières informations. Espérons que cette fois les coupables seront retrouvés comme la dernière fois lorsqu'un policier a été identifié et nous espérons que cette fois-ci que ça sera le cas.
Quelles ont été les dispositions prises par le Gouvernement par rapport aux évènements violents survenus à Kalinko, dans la préfecture de Dinguiraye?
Déjà en termes d’appui aux victimes il y a de l’argent qui a été envoyé le lendemain. Ce début de semaine, des vivres et des produits ont été convoyés je crois vers là-bas. Je sais que le lendemain, environ 100 millions ont été envoyés en urgence. La justice a interpellé une cinquantaine de personnes dans la zone, certains même en lien avec ce qui s’est passé à Kalinko (…), je pense que la justice va s’y pencher.
Quel appel avez-vous à lancer à l’endroit des guinéens en ce qui concerne ces élections locales ?
Qu’ils comprennent que nous sommes tous à l’école de la démocratie, nous sommes à la huitième année de cette ouverture démocratique et de cet ancrage démocratique. Toutes les élections que nous avons tenues dans leurs catégories étaient les premières, à part la présidentielle, qui était celle de 2010. Donc nous n’étions pas encore aux affaires, nous subissions les évènements et c’est à partir de 2011, toutes les grandes élections que nous avons eues étaient des premières organisées par cette troisième république, organisées par tous les acteurs, aussi bien le Gouvernement que l’opposition et la société civile. Parfois nous étions appuyés par les partenaires internationaux mais c’est nous même qui sommes responsables de cette démocratie, autant par la manière dont nous organisons que par la manière dont nous acceptons ou refusons les résultats.
Tout ceci en faisant fonctionner nos mécanismes. Donc cela demande du temps et de la patience, et ça demande de prendre sur soi et d’accepter parfois qu’on peut être victime d’injustice (…), mais on peut comprendre que tous les outils ne sont pas ensemble, toutes les mentalités ne sont pas préparées à accepter un certain nombre de choses. Le plus important c’est la Guinée et la manière par laquelle nous allons céder nos institutions lorsque nous ne serons plus aux affaires à ceux qui vont nous succéder. Et nous sommes tous responsables du respect que les guinéens doivent avoir pour ces institutions et pour leurs lois.
Que pensez-vous de la menace de votre collègue Gassama Diaby qui promet de transmettre à la Cour Pénale Internationale le nom de toute personne qui se rendrait coupable d'incitation à la haune et à la violence?
Je crois que c’est une sortie nécessaire, elle est autant dissuasive, fondée dans sa quintessence et son essence. Lorsqu’il est venu lancer ce message au siège du RPG, pour ceux qui étaient présents, tout le monde a vu malgré l’inquiétude et malgré l’étonnement puisque ce n’est pas très souvent que les partis politiques soient habitués à une telle vérité, les gens l’ont applaudi. Il a pris le soin de préciser que tous sont concernés, même les cadres du RPG (…), et il a été applaudi quand-même.
Je crois que ce que Gassama a fait était utile et nous espérons que ce ne sera pas mis en œuvre parce que les guinéens vont prendre conscience que les choses ne doivent pas se passer d’une certaine manière. C’est dommage que ça soit maintenant qu’on s’en rend compte. Parce qu’il y avait quelque chose à faire et je pense qu’il l’a bien fait.
A suivre…
Interview réalisée par SOUARE Mamadou Hassimiou
Pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 111
Créé le 13 février 2018 19:25Nous vous proposons aussi
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