Crimes en Guinée: Qu’en pense Ilaria Allegrozzi de Human Rights Watch?

ILARIA ALLEGROZZI  chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch

NEW-YORK-Les violences qui ont secoué ces derniers mois la Guinée interpellent les organisations internationales de défense des droits humains. C’est le cas de Human Rights Watch  qui a publié le 10 avril dernier un rapport accablant sur la Guinée.


Face à la persistance de l’impunité, l’organisation qui interpelle la communauté internationale, préconise des sanctions ciblées contre certains hauts responsables du régime Condé. Votre quotidien en ligne a interrogé ILARIA ALLEGROZZI  chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. Exclusif !

 

AFRICAGUINEE.COM : Comment observez-vous la situation des Droits de l’Homme en Guinée au cours de ces six derniers mois ?

ILARIA ALLEGROZZI : Depuis que des manifestations généralisées contre la nouvelle constitution ont commencé en octobre 2019 à Conakry et dans d’autres villes en Guinée, la situation s’est dégradée : les forces de sécurité ont souvent fait un usage excessif de la force, ont eu recours aux gaz lacrymogènes et aux armes à feu contre les manifestants qui, de leur côté, se sont aussi montrés violents, en lançant des pierres et d’autres projectiles sur les policiers et les gendarmes. Des nombreux membres et supporteurs de l’opposition ont été arrêtés et détenus de manière arbitraire ; des personnes soupçonnées d’être proches de l’opposition ont aussi fait l’objet d’abus, y compris de disparitions forcées. Nous exprimons de sérieuses préoccupations pour ce qui concerne le comportement des forces de sécurité et nous allons monitorer la situation de près aussi en vue de l’imposition de l’état d’urgence pour lutter contre la pandémie du COVID-19.

Votre organisation a publié un rapport le 10 avril dernier dans lequel vous avez affirmé que  les forces de sécurité ont réprimé dans la violence des partisans de l’opposition avant et pendant la tenue, le 22 mars 2020, du référendum constitutionnel et des élections législatives. Comment êtes-vous arrivés à ces conclusions ?

Les conclusions de Human Rights Watch s’appuient sur des entretiens téléphoniques menés en mars et début avril avec 60 victimes, membres des familles des victimes et témoins de violations décrites dans notre rapport, ainsi qu’avec 15 personnels soignants, journalistes, avocats, membres des partis d’opposition et représentants de la société civile. Human Rights Watch a également analysé des photographies et des séquences vidéo pour corroborer les récits des victimes et des témoins. 

Vous évoquez aussi des arrestations arbitraires et des cas disparitions forcées…

Oui, nous avons documenté des cas d’arrestations et détentions arbitraires des membres et supporteurs de l’opposition pendant des rafles aveugles opérées dans des quartiers contestataires de Conakry. Nous avons demandé aux autorités de libérer toutes les personnes arbitrairement arrêtées sans condition.
Certains dignitaires du pouvoir de Conakry ont qualifié votre rapport de « tendancieux ». Quelle est votre réaction ?

Nous pensons que les organisations nationales et internationales de défense des droits humains ont un rôle important à jouer pour observer et rapporter la situation des droits humains, non seulement en Guinée mais partout. 

Avez-vous cherché à avoir l’avis du gouvernement sur les faits que vous avez décrit avant la publication de votre rapport ?  Si « oui » quelle a été sa réaction ? 

Nous avons contacté Albert Damatang Camara, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, par téléphone et WhatsApp, et partagé avec lui par e-mail nos conclusions le 23 mars, en lui posant des questions spécifiques, auxquelles Camara n’a pas répondu à la date d’aujourdh’ui, 13 avril.

Vous avez interpellé les partenaires internationaux de la Guinée et autres institutions, en particulier l’Union africaine, la CEDEAO, le Conseil de sécurité de l’ONU, l’UE et les États-Unis afin d’accroître la pression sur le président Condé et son gouvernement et exiger l’ouverture d’enquêtes et de poursuites judiciaires crédibles pour les violations récentes. L’attitude de ces institutions vous semble-t-elle timide vis-à-vis du pouvoir de Conakry ?

Les partenaires internationaux de la Guinée ont levé leurs voix à plusieurs reprises en condamnant et/ou en exprimant leur inquiétude devant les violences avant et pendant le référendum. Ils peuvent accroitre leur pression davantage sur le gouvernement et exiger l’ouverture d’enquêtes et de poursuites judiciaires crédibles pour les violations récentes.

Human Rigths Watch affirme que les États-Unis devraient envisager des sanctions ciblées contre les hauts responsables gouvernementaux responsables de violations, notamment des interdictions de voyager et des gels d’avoirs. Pourquoi ? Dans la même optique vous dites que l’UE et ses États membres devraient envisager d’élargir le régime de sanctions en vigueur à l’encontre de la Guinée. Est-ce suffisant quant on sait qu’en Guinée la violation est devenu presqu’endémique ?

Des sanctions ciblées contre les hauts responsables gouvernementaux responsables de la répression violente et d’autres atteintes graves aux droits humains, notamment des interdictions de voyager et des gels d’avoir, peuvent être une mesure importante pour lutter contre l’impunité et lancer un signal fort que toute atteinte aux droits de l’homme a des conséquences. L’impunité persistante attise le risque d’abus commis par les forces de sécurité.

La violence comme arme de répression est très présente en Guinée. Selon vous qu’est-ce qu’il faut concrètement pour y mettre fin ?

Il faut mettre fin à l’impunité. Le gouvernement a promis à plusieurs reprises d’enquêter sur les allégations de mauvaise conduite de la part des forces de sécurité lors des manifestations et dans d’autres situations.

Mais le gouvernement a régulièrement failli à sa responsabilité d’enquêter sur les décès et sur les autres abus survenus lors de manifestations politiques, etc. Nous avons recommandé l’année passée (voir ici : https://www.hrw.org/fr/news/2019/04/17/guinee-creer-une-entite-judiciaire-chargee-denqueter-sur-les-deces-survenus-lors-de)  – et nous continuons de le faire – que le gouvernement met sur pied une cellule spéciale d’enquête afin d’enquêter sur les violences survenues lors de manifestations, notamment sur les allégations de meurtres commis par les forces de sécurité…

Quel est votre mot de la fin ?

Le gouvernement guinéen doit faire en sorte que ses forces de sécurité fassent preuve de retenue et de discipline lorsqu’ils contrôleront les manifestations.  Les dirigeants de l’opposition devraient aussi faire tout leur possible pour aider à mettre fin à la violence.

 

Interview réalisée par Diallo Boubacar

Pour Africaguinee.com

Tél. : (00224) 655 311 112

Créé le 15 avril 2020 11:11

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