Covid-19 : Quel impact sur le processus électoral en Guinée ?

CONAKRY-A l’instar des autres pays du monde, la Guinée est durement frappée par la pandémie de Coronavirus (COVID-19), qui a fait près de 300.000 morts et des millions de personnes d’infectées. L’épidémie a été déclarée officiellement dans le pays à la mi-mars alors que les guinéens s’apprêtaient à se rendre aux urnes pour le double scrutin législatif et référendaire. Deux mois après son apparition, la crise peine à être contrôlée. Plus de 3000 cas positifs de Covid-19 ont été enregistrés dans le pays, faisant de lui l’un des plus touchés en Afrique de l’Ouest derrière le Ghana et le Nigéria respectivement avec plus de 7000 et 8000 cas recensés.
Face à la progression rapide de cette maladie, l’on s’interroge sur l’impact que le Covid-19 pourrait avoir sur le processus électoral en cours cette année en Guinée. Va-t-elle bouleverser le calendrier électoral prévu en 2020 ? La question taraude l’esprit de nombreux analystes et acteurs politiques.
Alors que la page du référendum et des législatives peine encore d’être tournée, la Guinée doit faire face à l’organisation de l’élection présidentielle. Ce vote majeur doit se tenir en octobre prochain.. L’incertitude plane sur ce scrutin qui arrive dans un contexte de crise sanitaire associée à celle politique déjà latente. Même les avis sont partagés sur la question, de nombreux acteurs impliqués dans le processus sont unanimes que l’impact de cette maladie est multiforme.
« Nous avons organisé les élections législatives au mois de mars alors que tout le monde savait déjà que la pandémie de Covid-19 avait fait ses effets dans les autres pays et que la contagion était inévitable. Politiquement peut-on justifier la non-tenue des électionsprésidentielles par la présence du Coronavirus ? Non pace qu’on a organisé des élections pendant la pandémie. Mais si organisait des élections en période de pandémie, la première conséquence politique c’est que le taux d’abstention sera fort parce que beaucoup ne prendront pas le risque d’aller voter », analyse Alhassane MakanéraKaké, directeur du département juridique de la CENI, interrogé par Africaguinee.com.
Selon lui, même l’organisation de la campagne électorale ne se fera pas comme d’habitude.
« Peut-être que certains diront qu’elle se fera sur les réseaux sociaux et sur les medias, mais l’écrasante majorité de ceux qui votent se trouvent à l’intérieur du pays. Souvent ce sont des analphabètes. Or, on sait que l’élection ne signifie pas une minorité de personnes, elle vise une majorité. Donc l’impact du Covid-19 sur le processus électoral si la pandémie n’est pas maitrisée, c’est à l’infini. Chaque aspect du processus sera impacté. Comment regrouper des gens pour les former sur la sensibilisation ? Plusieurs pans du processus électoral seront abandonnés. Finalement ce qu’on va retenir du processus c’est le jour des élections. Et si tout ce qu’on retient du processus, c’est le jour du scrutin, c’est que c’est une élection bâclée », a averti ce commissaire de la CENI.
Dansa Kourouma président du Conseil National des Organisations de la Société Civile en Guinée (CNOSCG) ne se fait pas d’illusions. Pour lui, une urgence sanitaire a toujours une incidence sur les agendas électoraux parce que les votes sont des grands moments de regroupements de personnes, de débats et de confrontations d’idées.
« Les mesures prises pour lutter contre la Covid-19 ne cadrent pas avec cette situation. Il y a une incompatibilité entre les urgences sanitaires et les agendas électoraux », déclare cet activiste de la société civile.
Dansa Kourouma explique cependant qu’il y a des réflexions en cours au niveau de la CEDEAO (Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Ndlr) pour voir comment organiser les élections en période de crise sanitaire et remodeler la manière de conquérir les suffrages. « Au lieu de faire la campagne sous forme de caravane, il faut que l’accent soit mis sur les confrontations d’idées dans les medias et que des mesures soient prises le jour du vote pour permettre d’avoir des kits de lavage des mains devant chaque bureau de vote », préconise Dr. Kourouma.
Pour le cas spécifique de la Guinée, cet acteur de la société civile souligne que l’un des impacts visibles de la Covid-19 sur le processus électoral, sera la difficulté pour les gouvernants de se concentrer sur des solutions pour lutter efficacement contre l’épidémie.
« Les orientations politiques changent. Au lieu de se concentrer sur la maladie, on se concentre sur les élections. Il est important qu’avant d’aller vers un agenda électoral, qu’on maîtrise les cas. Pour le moment la Guinée a un avantage parce qu’il n’y a pas une explosion de cas à l’intérieur du pays comparativement à Conakry qui constitue l’épicentre. Le Benin vient d’organiser des élections (…), il y a agendas électoraux majeurs qui sont prévus cette année sur le continent. La Guinée ne doit pas faire exception », avance le président du CNOSCG.
Comment concilier la lutte contre la pandémie et le respect des agendas électoraux en Guinée ? Les acteurs politiques admettent tous la difficulté à résoudre cette équation à plusieurs inconnus. Pour le député Aly Kaba, président du groupe parlementaire RPG arc-en-ciel, priorité est donnée à la lutte contre la pandémie pour l’atteinte des objectifs politiqueset économiques. Cependant, il craint que cette maladie ne soit un frein à ce processus.
« Nous souhaitons ardemment que la CENI puisse continuer à travailler et concocter un chronogramme par rapport à la tenue des élections et ensemble examiner sa faisabilité. Il faut voir comment parallèlement à la lutte contre la Covid-19, s’atteler aux préparatifs des élections comme beaucoup d’autres pays sont en train de le faire. Beaucoup d’autres pays comme le nôtre sont conviés à ce rendez-vous. Pour le moment, il n’y a aucun report envisagé. Donc, notre souhait est de voir comment organiser les élections à date », explique ce député du parti au pouvoir.
La Guinée est plongée dans une crise politique née de la volonté du président Alpha Condé de changer la constitution de mai 2010. Plusieurs manifestations contre cette réforme constitutionnelle ont été organisées. De nombreux cas de morts, de blessés et de dégâts matériels ont été enregistrés dans le pays, avant, pendant et après le double scrutin du 22 mars dernier. Un scrutin non reconnue par l’opposition. Pour Bah Oury, la priorité aujourd’hui est de résoudre ce contentieux avant d’aller à la présidentielle.
« Il y’a eu un contentieux extrêmement lourd dont la création incombe totalement au pouvoir actuel en place. Le fait de violer la loi constitutionnelle en changeant la constitution de 2010 et le fait d’organiser des électionslégislativesavec un fichier totalement corrompu posent de sérieux problèmes qu’il faut résoudre fondamentalement avant de parler de quoi que ce soit », souligne cet opposant.
L'impact du COVID-19 sur le processus électoral est une réalité évidente. Le Chef du Bureau des Nations-Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel en est plus que convaincu. Il a déclaré que la pandémie en cours pourrait avoir de graves répercussions sur les processus électoraux à forts enjeux prévus pour la fin de l'année, en particulier les élections présidentielles au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Ghana, en Guinée et au Niger. Mohamed Ibn Chambas indiqué qu’il est nécessaire de déployer des efforts concertés pour garantir un consensus sur les effets du COVID-19 sur le processus électoral.
Cette production est une initiative de l’ONG Search for Common Ground en collaboration avec le NDI (National Democratic Institute) sur financement de l’USAID.
Créé le 29 mai 2020 21:59
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