Condamné à 20 ans, A.B.D libère ses épouses : témoignage émouvant du plus vieux détenu de la prison de Labé…

Image d’illustration

LABE- A.B.D est un prisonnier pas comme les autres ! Arrêté et mis sous mandat de dépôt le 9 septembre 2006, ce détenu au destin atypique est plus vieux prisonnier de la maison d’arrêt de Labé.


A.B. D a été jugé et condamné en 2013 à 20 ans de prison pour « assassinat » de son frère. A date, il a déjà purgé 16 ans. Alors que sa peine devrait arriver à terme en 2026, récemment il a bénéficié d’une réduction de peine de 3 ans 5mois. Il ne lui reste plus qu’un an un mois à purger désormais. Il se distingue des autres détenus par son caractère.  Propre, le quinquagénaire est familier à tout le monde dans ce milieu carcéral. Africaguinee.com l’a rencontré.

A.B.D regrette son acte et en fait une leçon de vie. Son passé familial est chargé. Stigmatisation, brimade, résume sa vie de jeunesse en famille. « Répudié », considéré comme un étranger dans sa propre famille au village, il n’avait droit à rien. Ses parents biologiques sont décédés quand il était très jeune. Il a vécu en retrait de son lieu de naissance avec sa famille. Un jour, une rixe avec son frère a mal tourné. Ayant porté sa main à son unique grand-frère, celui-ci décède. A.B.D est arrêté puis accusé de meurtre.

Au moment des faits, ABD était marié à deux femmes et père de 5 enfants. Suite à sa condamnation à 20 ans de prison ferme, il décide de libérer ses deux épouses, et les encourage à se remarier de peur qu’elles commettent l’adultère à son insu. A l’intérieur de la maison centrale, il a développé des activités commerciales qui ont prospéré. Il arrive à subvenir à ses besoins et soutenir ses cinq enfants. Sa bonne conduite et sa familiarité avec les gardes pénitenciers, ses codétenus lui a valu le respect de tous.

Leçons de vie

« Des leçons de vie j’en ai la tête pleine désormais. Je n’ai pas connu mon père et ma mère ils sont décédés tôt, c’est quand j’ai grandi que je me suis rendu compte que je suis orphelin des deux côtés. Mes deux femmes nous avons vécu ensemble en ville ici. Elles ont fait 5 enfants pour moi. Même pour célébrer les baptêmes je laissais les femmes et le bébé ici pour aller au village seul pour la cérémonie. La raison : j’étais stigmatisé par mes proches. J’étais quelqu’un qui n’avait droit à rien, ni à l’héritage. C’est après 7 ans de détention préventive ici que j’ai été condamné à 20 ans. Avant, c’était la cour d’assise qui faisait les procès, ce qui m’avait retardé avant d’être situé sur mon sort. C’est après cette condamnation que les proches au village m’ont reconnu comme un héritier à travers la justice.

Mes parents directs accompagnés des notables sont venus déclarer à la justice qu’elle peut aller identifier les biens qui peuvent me revenir comme héritage et donner à mes enfants. Un geste qu’on m’avait refusé durant toute ma vie pourtant je suis père de 5 ans enfants et marié à deux femmes. Nous avons vécu toujours loin du village pour ne pas que les enfants découvrent cette stigmatisation dont je faisais l’objet. Pourtant au village chacun hérite directement, mais mon cas était autre chose, quand j’y vais, personne ne me prête de maison, je n’ai nulle part où construire un bâtiment, tout m’a été refusé. Mes femmes aussi sont du même village que moi, mais quand nous partions ensemble là-bas, mes épouses étaient obligées de passer la nuit dans leurs familles respectives.

Ce droit d’appartenance et de propriété m’a été reconnu quand j’ai été conduit en prison, finalement on a attribué les biens à mes enfants. Sinon avant le problème j’étais considéré comme un étranger. Ce poids m’a rongé toute ma vie. Au village personne n’achète la terre on dit souvent c’est là où son père a laissé ou son grand-père c’est là-bas chez lui. Pour moi ça n’a pas été le cas, quand j’ai grandi alors que mes parents sont décédés sans que je les connaisse, ce qui me revenait était détenu par d’autres personnes. On attend que je sois condamné pour me rendre officiellement ce qui me revenait (larmes NDLR).  

Dans ma famille j’étais seul chez ma mère, je n’avais qu’un frère compère qui détenait tout (larmes NDLR).  C’est avec lui que j’ai eu des altercations, malheureusement nous sommes arrivés aux mains. Ça a coïncidé à la fin de ses jours, il a rendu l’âme. Je regrette ce jour parce que j’avais enduré tout et gardé en moi durant des années jusqu’à ce jour du mois de septembre 2006. Ce jour-là nous sommes arrivés aux mains qui lui ont été fatal. C’est la raison de ma condamnation.  

Adieu à ses épouses après sa condamnation

L’initiative est partie de moi, quand j’ai été condamné à de lourdes peines (20 ans de prison), je me suis dit garder ses femmes à mon domicile alors que je suis absent, je serai responsable de tout acte d’adultère qu’elles commettraient derrière moi. J’ai trouvé judicieux de les libérer. Le responsable qui était au tribunal de Labé au moment où je prenais cette décision l’avait mentionné dans un document et puis il a gardé. Quand son successeur est venu, il a sorti le document pour me demander s’il était de moi. J’ai répondu par Oui. Il dit pourquoi un acte si courageux, c’est du jamais pour lui. Je lui ai dit que mes épouses ne sont pas des vieilles, c’est plutôt des jeunes dames en âge de faire des enfants.

Il était impossible pour elles de vivre sans un homme. Si un homme n’est pas auprès d’elles légalement, elles risquent d’aller voir ailleurs. Donc, le mieux c’était de leur demander pardon pour avoir écourter leur amour à mon endroit et leurs dire de chercher des maris légaux pour ne pas avoir des péchés. J’ai trouvé que vouloir les garder, c’était de les punir. Si elles commettent l’adultère, j’en serais encore tenu pour responsable devant Dieu.

Quand j’ai expliqué tout ça, il me dit que c’est sage. Heureusement les deux femmes se sont remariées. La première a fait un enfant. Avec l’accord de son mari, elle me rend visite de temps en temps avec son enfant.

Projet de vie après la prison

Si je me retrouve dehors en bonne santé et que je jouisse de mes facultés mentales, je chercherais à vivre dans un endroit où je serais tranquille loin de mon village où j’ai eu des problèmes avec la famille où je n’avais aucune considération presque. Maintenant quand je finirai l’année qui me reste, je n’irai plus au village de peur que les gens se rappellent du drame en me voyant surtout. Je n’ai plus un parent proche là-bas, aucune femme mes enfants aussi c’est un seul qui est là-bas mais chez sa grand-mère maternelle aussi. Donc j’éviterai d’irriter la colère des gens du village contre moi. C’est vrai peut-être qu’ils ne vont pas oublier, mais si on ne me voit pas ils seront moins touchés. Même si je termine ma peine je ne souhaite plus aller vivre au village bien que tout mon héritage m’ait été rendu finalement. A moins que je sois malade ou fou, je resterai loin du village. Je peux reprendre mon métier d’installation de panneaux solaires, à côté de mon petit commerce. C’est ce que je faisais avant. Les postes de santé et beaucoup de concessions autour de mon village c’est moi qui ai monté les panneaux pour eux ».

Vie et survie en Prison

En prison ABD n’a pas croisé les bras. Il se réinsère et fait un petit commerce à l’intérieur de la maison centrale pour sa survie et vient au secours de la famille dehors parfois. Il se fait remarquer par tous à travers sa bonne conduite et sa familiarité avec ses codétenus

« Je ne travaille pas ici parce que je n’ai pas un soutien externe, je profite de mon état de santé pour travailler, un moment les médecins m’ont dit rester seulement assis n’est pas bien pour moi. Je suis hypertendu. Depuis, je donne des conseils aux détenus, et je travaille dur avec les mouvements internes. Je gagne un léger revenu qui me permet de prendre en charge certains besoins et j’envoie aussi un peu pour mes enfants qui sont dehors. Je suis obligé de les prendre en charge puisque ce sont mes enfants.

Je n’ai ni frère, ni une sœur qui soient de même père ou de même mère dehors ou des parents vivants qui s’occupent d’eux. Heureusement depuis que je suis là, je respecte toutes les consignes de la détention, je n’ai aucun problème de ce côté. Le respect est mutuel avec mes codétenus et les gardes. Je ne veux pas que mes amis ou mes proches souffrent pour me prendre en charge en prison, pour ça je me débrouille, peut-être leur préoccupation sera pour la libération et non un poids pour eux, le reste je gère moi-même. D’où la création de ce petit commerce ici. Ce n’est pas un commerce vaste comme certains le prétendent.

C’est du café, du bouillon, du pain parfois, c’est juste pour combler des besoins. Avant il fallait commissionner des gens loin pour faire des achats. Il arrivait des moments sans trouver quelqu’un pour ces courses, je n’ai fait que rapprocher les choses ici. On peut acheter la viande à la boucherie faire des petits morceaux pour 5000gnf. Tout ça facilite la tâche aux gens, sinon tu peux garder ton argent sans avoir un morceau de viande locale qui n’est pas importé ou du haricot. Je travaille de 8heures à 17heures tous les jours, ça permet aux détenus de compléter la ration fournie au sein de la maison centrale » raconte ABD, le plus vieux détenu de la maison d’arrêt de Labé.

Témoignages de gardes

Les gardes pénitenciers sont marqués par le comportement d’ABD. Un d’entre eux témoignent. « Si le destin vous conduit en prison, si vous ne faites pas des choses qui vont vous faire souffrir, vous ne souffrirez pas avec nous. Si vous êtes là alors que vous pouvez exercer un métier sur place, nous ne vous en privons pas du tout, c’est un droit. Pour le Détenu ABD, il exerce un commerce. Chaque petit matin, il fait du café, du haricot, du pain même du bouillon, il sert sa clientèle à l’interne ici. Ses fournisseurs envoient sa commande, dès que la prison est ouverte le matin, il prend pour commencer à servir. Il s’installe au milieu de la cour avec ses fourneaux, ses thermos et tout. C’est là qu’il travaille toute la journée.

Parfois même nous chahutons avec lui avec l’argument qu’il doit payer les taxes d’occupations des lieux qui appartiennent à l’Etat. Il est familier à tout le monde ici. A cause de sa bonne conduite, j’ai particulièrement porté son cas auprès du juge d’application des peines qui a échangé avec lui. Le juge l’a convoqué à son tour, finalement ils ont passé à l’audience de nouveau, ABD a bénéficié d’une réduction de peines de 3ans 5 mois sur les 20 ans qu’il devrait purger, il ne lui reste qu’un an un mois, sinon sa peine devrait aller jusqu’en 2026, il est en détention depuis 2006 », témoigne Alhassane Diallo, régisseur adjoint de la maison centrale de Labé.

Ibrahim Sampil, un autre agent en service à la maison centrale de Labé abonde dans le même sens au sujet de A.B.D : « Concernant ce détenu, à cause de son caractère, il se distingue de beaucoup de détenus. Il n’a aucun problème, aucune plainte de lui ne nous parvienne. Il est animé d’une sagesse exemplaire. Il exerce un petit commerce dans la cour de la prison, il est en bon terme avec tout le monde. Nous-mêmes gardes pénitentiaires parfois c’est avec lui que nous payons notre petit-déjeuner ici. Sa propreté est impeccable. Il est tellement jovial et ouvert, on ne sent pas le poids de la détention en lui. Il n’a pas le poids de la vie sur sa tête. On chahute avec lui souvent ici. C’est un détenu exceptionnel parmi les autres ».

 

Alpha Ousmane Bah (AOB)

Pour Africaguinee.com

Tél. : (+224) 664 93 45 45

Créé le 21 janvier 2022 11:57

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