Conakry : A la rencontre des rescapés de l’enfer libyen… (Reportage)

CONAKRY-Plusieurs guinéens candidats à l’immigration clandestine ont regagné Conakry ce mardi 13 février 2018 dans la soirée en provenance de la Libye. Ils ont été accueillis à l’aéroport international Conakry-Gbessia par les autorités guinéennes et les services de l’organisation internationale pour les migrations (OIM).
Sur les 180 annoncés au départ, c’est finalement 157 passagers qui sont arrivés. Parmi eux, il y a des jeunes, des femmes, des mineurs et même des nourrices. Certains sont malades. Ils ont du mal à se remettre des tortures et d’autres sévices qu’ils ont enduré en terre libyenne.
A leur descente d’avion, des employés de l’OIM tendent à chacun un sachet plastique contenant une bouteille d’eau, un jus, un morceau de sandwich, du savon, une brosse à dent et une pâte dentifrice. L’émotion est saisissante. Le moment est pathétique. Au fur et à mesure que ces migrants descendent, on voit des femmes nourrices avec leurs bébés, d’autres des nouveau-nés. Elles sont frappées par la fatigue mêlée de gêne. Elles avaient quitté la Guinée sans enfants dans l’espoir d’arriver en Europe. Hélas !
Le rêve de vivre cet eldorado a viré au cauchemar. Difficile de trouver quelqu’un qui accepte de témoigner. Nous nous sommes approchés d’une femme dont le bébé a juste une semaine de vie. Elle nous aussitôt lancé : « je suis désolée, je suis désolée », dit-elle ajustant le voile sur son visage. Les autres aussi. Elles ne sont pas les seules à être hostiles au micro. Des employés de l’OIM nous ont signifié depuis le début des rapatriements les femmes ont toujours fui les micros. Les jeunes garçons par contre acceptent de partager leurs aventures.
Oumar Bah originaire de Dalein, 33 ans a fait 3 ans en Libye. Il n’était pas animé par la traversée pour atteindre les côtes européennes. Il voulait travailler en Libye mais son rêve s’est transformé en calvaire.
Pour moi, l’aventure c’est fini…
« J’ai vécu 3 ans en Libye, mon souhait était de travailler sur place contrairement à ceux qui veulent traverser pour l’Europe. C’est à la maison que des gens sont venus nous arrêter nous retirant de l’argent, téléphone et tout. Ils nous ont jeté dans des prisons, tous les 15 jours tu te lèves une seule fois, tout le monde est tombé malade faute de nourriture. Chaque matin on te donne un pain pour toute une journée, le lendemain aussi un pain. C’est la prison, on nous frappait, on nous torturait tous les jours. Nous avons souffert. Dans la semaine vous pouvez enregistrer entre 4 et 5 morts, certaines personnes tombent comme ça et redent l’âme. Moi c’est fini l’aventure je ne sors plus, même à un chien je ne souhaiterai pas d’aller en Libye, je resterai en Guinée maintenant, si je quitte Conakry maintenant c’est à Labé j’irai ou Boké, Kankan, N’Zérékoré en tout cas l’intérieur du pays, je ne sortirai plus de chez moi » a confié ce migrant qui demande à l’Etat guinéen de les intégrer dans les services de l’immigration pour aider le pays grâce à leur expérience acquise en Libye.
Visage masqué à moitié, le regard fixe pensant à ses compagnons d’infortunes, morts en cours de route, Camara Famoussa natif de Conakry regrette d’avoir quitté le pays sans réussir. Il explique sa mésaventure : « j’ai passé 7 mois en Libye dans l’espoir de traverser pour gagner l’Europe mais ce chemin n’est pas facile surtout pour les noirs subsahariens. La Libye est devenu un carrefour pour l’immigration est une prison. Les noirs ont toujours des problèmes dans ce pays. Chaque ville de la Libye compte au moins 5 à 6 prisons, dans ces prisons vous ne retrouvez que des noirs, j’ai séjourné dans deux prisons, c’est dans la deuxième qu’on m’a pris pour me ramener en Guinée aujourd’hui. Mon rapatriement a été un souhait qui s’est réalisé. L’essentiel est que nous sommes rentrés chez nous vivants parce que j’ai quitté la Guinée avec beaucoup d’amis, presque tous ont perdu la vie en cours de route sous mes yeux (il pleure à chaudes larmes NDLR). La Libye est un problème, ce qui passe dans ce pays ne se fait nulle part dans le monde. Si je n’avais pas vécu, jamais je n’aurais cru mais avec mon petit parcours j’ai appris une leçon qui restera à jamais dans ma tête», raconte-t-il, en pleurant. Il invite les prochains candidats de l’immigration de prendre un autre chemin qui n’est pas celle de la Libye.
Issa Kouyaté, 24 ans est de N’Zerékoré, il a failli perdre sa vie en haute mer dès sa première tentative de traverser. Sorti indemne, il se retrouve dans les mains des groupes armés. Malgré son échec il est tout heureux de retrouver son pays où il est certain de vivre sans restriction de liberté.
« C’est le 13 juillet 2017 que je suis parti passant par le Niger dans le désert d’Agadez, avant d’arriver à Saba (Libye) ensuite Tripoli. Un bon matin les passeurs nous ont mis à l’eau entre 5h et 6 du matin après un long parcours en mer, le moteur s’est éteint pour je ne jamais se rallumer. La météo n’était pas bonne, la mer était agitée, on s’est livré à nous-mêmes. Je ne sais pas par quel miracle on s’est retrouvé sur les côtes libyennes encore. Des hommes armés nous récupéré, ils ont pointé des fusils. Moi, ils m’ont le couteau au cou. Des balles qui nous passaient de travers. Heureusement Dieu nous a sauvés. Dieu merci je suis revenu chez moi, je n’ai plus le goût de l’aventure, je vais rentrer en forêt en toute fierté, j’ai été vraiment soulagé que je suis descendu de l’avion. L’air que j’ai respiré m’a rendu fort, il m’a guéri à moitié. Je comprends que ce n’est pas les soins qui me redonnent la santé mais c’est le fait d’être libre, d’aller là où je veux quand je veux », explique Issa Kouyaté.
Interrogé sur les femmes qui sont revenues avec des bébés, Issa Kouyaté a donné des explications. « Certaines filles ont eu ces enfants en cours de route parce qu’elles ont tissé des relations amoureuses avec des personnes. D’autres ont quitté la Guinée avec des débuts de grossesse espérant arriver à destination avant l’accouchement. Mais du fait que le chemin est difficile ils ont accouché en cours de route. Une catégorie aussi est installée en Libye avec leurs familles. Par contre d’autres filles ont subi des viols dans lesquels elles ont contracté des grossesses non désirées n’ayant pas le choix elles ont conservé », explique le jeune migrant.
Après l’accueil de ces migrants à l’aéroport, une étape de profilage est mise en place où chaque migrant sera enregistré avant de bénéficier d’un montant équivalent à 50 euros et un téléphone portable pour maintenir le contact avec eux afin de faciliter leur réinsertion à travers un financement de projet monté par les rapatriés eux-mêmes.
Sur les lieux, l’OIM et les autorités guinéennes essaient de remonter le moral des candidats malheureux à l’immigration tout en leur promettant que toutes les dispositions seront prises pour ne pas qu’ils soient abandonnés après.
Alpha Ousmane Bah
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 664 93 45 45
Créé le 14 février 2018 18:01Nous vous proposons aussi
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