Comment les « fournitures scolaires » sont détournées à Matoto?
CONAKRY- C'est une histoire à dormir debout ! Un vaste réseau très bien imprégné des rouages de l’Éducation sévit depuis plusieurs années à la Direction Communale de Matoto, une des plus grandes communes du pays. Il est spécialisé dans le détournement des fournitures scolaires (livres, craies, tenues, livrets) qu’ils revendent pour ensuite se partager les sous, au grand dam des écoliers auxquels ces fournitures sont destinées. Gratuitement. La magouille est spectaculaire. Beaucoup de cadres ont réussi à construire, d’autres acheter des terrains. A quand remonte cette pratique ? Comment travaille-t-il ? Mme Mamadou Binta Diallo, magasinière à la direction communale de l'éducation de Matoto a ouvert la boîte de pandore sur la gestion opaque qui gangrène cette Direction.
Cette dame est aujourd’hui accusée par son chef (le DCE) d'avoir vendu des manuels scolaires destinés aux élèves de la commune. Et que de cette vente, elle aurait versé une somme de 10 millions de francs guinéens au directeur communal de l'éducation de Matoto dans le but de le corrompre. Alors que selon elle, la vente des manuels scolaires a été approuvée par le DCE qui avait encaissé les 10 millions comme sa part du gâteau avant finalement de se rétracter et vouloir lui faire porter seule le chapeau de cette magouille à grande échelle. Ne voulant couler seule, elle a décidé de briser le silence. Son récit est digne d’un film hollywoodien. Explications (première partie).
"Monsieur le DCE de Matoto qui a été nommé il n'y a pas très longtemps m'a trouvée en service. Depuis fin 2018, j’étais en poste. Quand j'ai été mutée là-bas sous l'ex DCE Daouda Doumbouya, à ma venue, j'ai trouvé un clan en place. Ce qui avait fait que j’étais restée pendant une semaine sans qu'il n'y ait passation de service avec ma collègue. Et quand j'ai pris fonction, je n'avais pas trouvé grand-chose dans le magasin. Lors de la passation, le directeur à l'époque M. Tounkara m'avait dit de faire beaucoup attention parce qu'il y avait des fournitures ans le magasin, mais ils les ont vidés. J'ai demandé qu'est-ce qu'il y avait dans le magasin, où est-ce qu’ils ont envoyé ce qu'il y avait ? Il m'a dit qu'il y avait beaucoup de rouleaux de ténue (bleu, blanc et kaki). Il m'a montré où c'était stocker, il y avait quelque chose de 300 rouleaux. Il m'a dit qu'il y avait d'autres dans son bureau et que c'est le SAF (Service administratif et financier) qui le lui avait confié. Il y avait près 46 rouleaux.
J'ai demandé qu'est-ce qu'il fallait car j'ai trouvé un magasin vide. Il m'a dit d'aller voir le DCE. Je suis allée voir M. Daouda Doumbouya pour le lui signifier. Le peu de choses que j'ai trouvé était stocké dans les toilettes. Il y avait des vélos pour handicapés offerts par une ONG. Le DCE, au lieu de me suivre pour aller faire le constat ensemble, a préféré me faire accompagner par un cadre qui est aujourd'hui à la retraite. On a été ensemble faire le constat et on est revenu chez le DCE à qui il l'a notifié.
Je suis revenu au magasin. Le gardien m'a dit que si je n'enlève pas ces rouleaux dans le magasin, Mme Rama qui a fait là-bas près de 15 ans va les prendre pour envoyer revendre. Je suis allée informer le DCE mais il ne s'est pas bougé. Finalement, Mme Rama est venue prendre ces rouleaux et les mettre dans un minibus et partir avec. J'en ai fait cas au DCE, il n'a encore rien dit. Un jour, étant seule avec Mme Rama, je l'ai interpellé sur ces rouleaux car elle n'a rien dit après les avoir pris. Elle m'a dit que si le DCE même n'a rien dit, c'est parce qu'il en sait quelque chose. Ensuite, il y a eu la venue des livres à la DCE de Matoto. Parmi les 10 conteneurs que la DCE a reçu en fin 2018, les 9 ont été débarqués dans les magasins où était ma collègue, un seul a été débarqué chez moi.
Quand est venue la distribution, ils ont commencé par chez moi en compagnie de ma collègue. Il s'agissait de distribuer ces livres, mais elle n'acceptait pas de m'associer. J'étais la 4ème personne affectée là-bas qu'elle n'acceptait pas d'associer. C'était en complicité avec le DCE et le SAF. Ils ont finalement distribué tous les livres. A l’époque, c’est l'inspecteur par intérim Monsieur Morlaye Yattara qui avait remplacé Mme Néné Fatou qui avait décidé de venir distribuer les livres dans tout Conakry sous instruction du ministre d'alors Mory Sangaré. C'est pendant cette distribution que le DCE a constaté ma marginalisation par leur clan. Il les a déconseillés et leur a demandé d'arrêter. C'était d'ailleurs la meilleure inspection que j'aie constatée car d'autres quand ils venaient, ils n'arrivaient même pas aux magasins. On leur tendait seulement des enveloppes et ils quittaient où même s'ils vont dans les magasins, ils prenaient des photos des cartons de livres, regardaient le matériel qui est là-bas et puis ils prenaient leur prix de carburant et repartaient. C'est ce que j'ai observé. Il n'y a jamais eu une vraie inspection.
Finalement, la retraite massive a emporté le DCE Daouda Doumbouya et le SAF. Maintenant, il y avait deux SAF pendant près d'un an à la DCE. Deux SAF qui ne conjuguaient pas le même verbe. Ils se sont finalement entendus, en complicité avec le ministre Dioubaté, qui envoyait l'argent au nom du dernier SAF, un certain Ibrahima Sory Baldé. Après, monsieur Samoura a été pris comme intérim. Un bon cadre qui voulait redresser la gestion au niveau de la DCE parce qu'il y avait de la pourriture. Il a commencé par rétablir dans leurs fonctions. Et c'est suite à ça qu'on m'a rétabli dans ma fonction de magasinière.
A la veille de son installation, il m'a dit de laisser les clés de mon magasin au SAF, Monsieur Baldé. Et a dit que désormais quand quelque chose arrive pour la DCE, on doit le débarquer dans mon magasin. J'ai laissé les clés avec le SAF, M. Baldé. Je suis partie en voyage. J'ai fait deux semaines, je suis revenue. A mon retour, j'ai réclamé les clés à M. Baldé il a refusé de me les remettre. Pendant 4 jours je courrais derrière lui. Il a fallu que je j'aille voir le DCE qui lui a ordonné de me restituer les clés.
J'ai trouvé que monsieur Kenda Bailo Diallo qui est l'actuel DCE de Matoto est muté là-bas en tant que DCE à la surprise de tout le monde. M. Samoura qui avait pourtant des bonnes réformes à la DCE n'a pas été maintenu. Je suis allée saluer le nouveau DCE car il avait reçu tout le monde sauf moi. Je me suis présentée à lui à sa demande. Et, quelques jours après, je suis allée prendre des échantillons de livres pour venir lui montrer et dire que ceci a été débarqué dans mon magasin.
Entretemps, ça trouvé que ma collègue Rama a été surprise avec deux camionnettes de livres dans une école à Simbaya, à côté de notre DCE. Il y a une gendarmerie à côté de cette école. La gendarmerie a mis main sur elle. Le problème est venu jusqu'à la DCE. M. Baldé qui est notre SAF actuel s'est déplacé pour aller la retirer dans les mains de la gendarmerie comme pour dire que la gendarmerie n'avait pas le droit d'arrêter un cadre si ce n'est pas la DCE qui a donné l'instruction. La presse s'en est saisie de l'affaire. Et le DCE par intérim Samoura avait écrit en la rendant à l'IRE (inspection régionale de l’éducation), chez Léontine, l’inspectrice régionale de l'éducation de la ville de Conakry.
Mais quelques jours après, Mme Léontine a rétabli Mme Rama dans ses fonctions. Alors que la décision prise par le DCE par intérim avait dit de lui retirer même les clés de son magasin. De par ses cadres, Mme Léontine a envoyé le chargé des matériels M. Fodé Camara et M. Sacko, le chargé des ressources humaines de l'IRE. Le nouveau DCE, connaissant qu'il y a une possibilité de vendre ses matériels scolaires suite à l'affaire de Mme Rama, m’a demandé de voir la situation des livrets parce que les livrets ne sont pas tellement utilisés dans les écoles. Si j'ai bonne mémoire, Matoto seulement doit recevoir près de 40 milles livrets. Mais il dit que c'est rare qu'un élève change de livrets. Quand c'est ton chef qui te dit de le faire, il est difficile de refuser. Je me suis à la tâche, je suis allée à Madina j'ai payé deux livrets dont un est fabriqué par un commerçant et le second, c'est ce que l'Etat a fabriqué qui a un encadrement rouge jaune vert.
Je suis allée chez lui après 19h, à Petit Simbaya côté de Demoudoula. Je me suis présentée avec les deux livrets, II m'a dit, allons au dehors. Du premier étage où il habite on est allé derrière la cour. Il m'a dit qu'il ne veut pas parler de ses affaires devant sa femme. De là-bas, on s'est entendu de vendre ces livrets et avoir un peu d'argents. Je me suis retournée chez moi et par la suite je suis passée à l'acte (vente des livrets scolaires), conformément à ses instructions. Quelques jours après, je l'ai appelé pour lui dire que je veux aller chez lui, il a marqué son accord. Ce jour aussi, c'était après 19h, au dehors. Là où on avait conclu d'aller vendre les livrets. Il était habillé en culotte et en débardeur.
Je lui ai dit : " j'ai eu 10 millions de francs guinéens pour vous ". Il me dit " vous les avez ici ? " j'ai dit non. Pour une question de sécurité, comme c'est la nuit je n'ai pas amené. Il m'a instruit d'amener l'argent le jour suivant, à son bureau. Et il m'a dit ensuite, " n'oubliez pas que c'est demain le cachetage des livres". J'ai dit d'accord. Ça c'était toujours à Simbaya.
Mais tout ça, c'est après le problème de ma collègue Rama qu’i a pris toutes ces décisions de cacheter les livres. Sinon certains de ces livres sont arrivés depuis 2018 (…). Le nouveau DCE qui a quitté une école pour être nommé à ce poste ne pouvait savoir qu'on vendait ces livres. Ainsi, le jour J je suis venu au centre de cachetage avec l'argent dans mon sac. On était assis deux à deux. J'étais avec M. Ousmane Sow de Tougué. Et, c'est même monsieur Sow qui est allé dire au DCE que moi je suis en train de construire. Et ce M. Sow est le deuxième témoin de l'achat de mon terrain que j'ai commencé ça fait huit (8) mois. La dame qui m'a vendu le terrain est encore vivante. Et 75% de l'argent déboursé pour l'achat de ce terrain provident de marchandise (habits, wax) et le chantier est à Bawa.
J'ai parlé à Sow parce que lui aussi c'était un magasinier. Mais qu'est-ce qui l'a enlevé dans ça, au temps d'Ebola, il a détourné lui seul un camion de savon qui lui a permis de construire sa maison à Coyah. Je connais là-bas car il m'y a envoyé. Et c'est ce Sow là que le DCE a envoyé dans son bureau pour lui donner des détails sur moi. Et pourtant il m'a dit beaucoup car il m'a dit que c'est au temps de feu K au carré (l’ex ministre de l'éducation) qu'il a détourné ce camion. Il m'avait même dit qu'il a eu de la chance. Car lorsqu'il a détourné le camion et a vendu le savon, la même Rama avait nié car c'était leur marché à deux. Et c'est Sow qui avait conduit le camion à Madina. Quand il a eu ce problème, il a quitté dans le magasinage.
Il avait eu de la chance car quand K au carré (paix à son âme) est arrivé, il y a eu un mur d'un magasin qui est tombé ce qui a fait croire que c'est suite à cela que le savon aurait été pris par la population. C'est ce Sow qui m'a expliqué ça. Après je l'ai quitté parce que j'avais un rendez-vous avec le DCE. J'ai pris un taxi motard mais avant de bouger, j'ai appelé le DCE pour lui dire que je venais avec l'argent. Il m'a dit de venir au bureau et de rentrer par la petite porte. Je suis arrivée dans son bureau, il m'a ordonné de fermer la porte, je l'ai fermée. J'ai soutiré l'argent dans mon sac et je lui ai remis. Il l'a pris et mis dans un sac à dos et placé dans un tiroir. Il a quitté sa place et est venu auprès de là où j'étais assise pour me dire : " Madame que cela reste entre nous". Je lui ai dit que sauf si lui trahirait notre accord, pas moi. Mais je lui ai dit toutefois : « si tu parles, je vais parler". C'est avec ces propos que je l'ai quitté pour rentrer au centre de cachetage.
On est resté pendant 21 jours. Il m'a appelé pour me dire d'aller vite à son bureau. Bien que j'avais une urgence, je suis allée vite, mais je ne suis pas rentrée directement dans son bureau. Je suis allée dans un autre bureau ou j'ai trouvé le SAF sur pieds, paniqué en train de réunir de l'argent. Il a réussi à mobiliser 10 millions de francs guinéens. Ça m'a tiqué. Il a mis l'argent dans un sachet et l'a déposé chez le DCE. Mais il se trouvait que moi, c'est dans un sachet blanc, prix dans ma boutique que j'avais mis l'argent. Et l'argent n'était pas éparpillé en des billets, c'était des billets de 20 mille uniquement.
Quelques minutes après, on m'appelle, on appelle Mme Ana, la directrice des ressources humaines de la DCE, ensuite le SAF, on était quatre dans le bureau du DCE. Il a fermé les deux portes. J'ai compris que quelque chose se préparait.
Il a pris la parole pour dire, " à l'intention de tout le monde c'est Mme Binta Diallo qui m'avait offert cet argent avec une chemise, je les lui restitue". J'ai dit non : la chemise, je l'ai envoyée chez vous pour la vendre. Mais puisque les autres habits ne correspondaient pas, je peux vous l'offrir. J'ai dit ah monsieur DCE, ça c'est le début d'un feuilleton. L'argent là je vous ai remis à deux, pourquoi aujourd'hui vous avez appelé des témoins pour me le rendre ?
Finalement j'ai pris l'argent. Et ce jour aussi, il avait dit à nous quatre qu'il ne voudrait jamais entendre qu'il m'a une fois rendu l'argent. J'ai pris l'argent, je suis venu jusqu'à Cosa, mais en voulant acheter des mangues, j'ai échangé des plastiques et j'ai fini par perdre les 10 millions que le DCE m'a restitué dans un taxi.
On s'était entendu de ne rien dire à quelqu'un ! Je suis allée à Fria. Et le lendemain, M. Kader Ousmane Camara, qui est directeur national adjoint de l'enseignement fondamental m'appelle au téléphone pour me dire que monsieur le DCE l'a appelé à son bureau pour lui dire qu'il y a eu des livres qui ont disparu dans mon magasin et que je lui avais donné une somme de 10 millions qu'il m'a retournée. J'ai dit c'est affirmatif. Il ajoute qu'il a demandé au DCE de gérer le problème à l'interne mais que le DCE lui a dit, " vouloir trop laver le blanc, un jour on arrivera à une tache noire". J'ai appelé le DCE pour lui dire, en Poular, " si weldoubhè habhii, Goundoodji fèègnaye" (quand deux amis se font la guerre, beaucoup de secrets seront révélés). Je lui ai dit qu'il a commencé à violer notre accord en divulguant notre secret. C'est ainsi que je lui ai dit : "Sachez que s'il y a eu vol, c'est vous qui m'avez dit de voler".
"Peut-être que c'est une grosse erreur de ma part d'accepter de voler et de vous apporter de l'argent mais c'est comme ça se passe entre un subordonné et son chef. Mais si vous continuez sur ce chemin, c'est tous les patrons de la Guinée ou du monde qui vont prendre l'exemple sur nous deux car je n'ai jamais agi seule et souvent les subordonnés n'agissent pas seuls. Vous m'avez dit que vous avez appris qu'il y a de l'argent à Matoto mais que vous, vous ne voyez pas cela. Je vous ai dit de patienter et vous m'avez même apprécié à cause de ma transparence. En ce moment il n'y avait de complicité entre lui et le SAF mais quand il y a eu cette complicité, il a décidé de me détruire et se sauver".
Affaire à suivre…
Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
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