Cellou Dalein : « Pourquoi Alpha Condé ne traite pas les citoyens de Ratoma comme des guinéens ? » (Interview)
CONAKRY- Malgré les engagements pris par le pouvoir de Conakry, la détermination de Cellou Dalein Diallo ne semble faiblir. Le leader de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée promet de ne point reculer dans leurs revendications. Jusqu’où est-il prêt à aller ? Quelle stratégie compte t-il mettre en place pour exiger la prise en compte de leurs revendications ? Cellou Dalein Diallo s’est confié ce mardi 27 février 2018 à une équipe d’Africaguinee.com. Dans cette interview, le Chef de file de l’opposition guinéenne aborde également le sujet lié à la grève des enseignants qui paralyse le secteur de l’éducation depuis plusieurs semaines. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : La CENI invite les acteurs politiques engagés dans ce processus électoral à une série de rencontres pour examiner les procès-verbaux mis en cause dans certaines circonscriptions électorales. Quelles appréciations faites-vous de cette démarche ?
CELLOU DALEIN DIALLO : Je pense que c’est le résultat des discussions qu’on a eues au niveau de la Présidence, où nous avions expliqué qu’on était vraiment frustrés par le comportement des magistrats dans les CACV (commissions administratives de centralisation des votes, Ndlr). Parce que pour aider le parti présidentiel on a dû annuler, falsifier beaucoup de Procès-Verbaux dans lesquels l’UFDG en particulier, l’opposition de façon générale, était largement majoritaire. Ceci était inacceptable. Puisque comme vous le savez, on a décidé de prendre très au sérieux cette élection. On a envoyé dans les bureaux de vote des délégués bien formés, bien motivés, qui ont pu avoir dans chaque bureau de vote, soit une copie de PV, soit une fiche de résultat.
Donc nous avons pu réunir tous les résultats issus des bureaux de vote. On a constaté que les résultats proclamés par les CACV ne reflétaient nullement les résultats qui ont été obtenus à l’issu du dépouillement des bureaux de vote. Nous avons fait les revendications auprès des juridictions compétentes. Malheureusement là aussi avec l’effet de l’intimidation et de la corruption, les juges n’ont pas dit le droit. On a estimé qu’il fallait qu’on fasse appel à la rue pour faire prévaloir nos droits parce qu’on ne peut pas faire en sorte que le pays soit l’otage de quelques individus.
Les militants se mobilisent aussi bien dans les quartiers que dans les districts. Il y a des maires qui ont vendu leurs domaines, vendu leurs bétails, pour payer les cautions et financer leur campagne, les citoyens ont voté pour eux. On a fait les dépouillements dans les bureaux de vote. Ils savent qu’ils ont gagné. Et lorsqu’on affiche des résultats différents de ceux sortis des urnes et bien naturellement tout le monde est mécontent. Vous avez vu combien de fois la ville-morte a été suivie. C’est parce que tout le monde se sent concerné par ce holdup opéré au niveau des CACV par ceux qui étaient chargés de procéder à cette centralisation.
Donc le Président de la République a demandé à la CENI (Commission électorale nationale indépendante, Ndlr) d’examiner les griefs que l’opposition a contre les CACV et de tenir compte s’il y a lieu de tenir compte des documents, des pièces à conviction que l’opposition est à même de présenter pour justifier les revendications que nous avons formulées.
Selon vous est-ce qu’il s’agit là d’une avancée suffisante pour que l’opposition suspende ses manifestations ?
Non pas du tout ! Ce n’est pas suffisant parce que ce n’est qu’un projet. Nous allons voir avec quel sérieux la CENI va traiter nos réclamations. S’il y a une volonté de corriger les fautes commises dans la centralisation des données où on a procédé à l’élimination, à la falsification des PV pour favoriser le parti du présidentiel, si on veut corriger cette injustice, si on veut rétablir la vérité des urnes, naturellement nos revendications vont s’arrêter. Mais si jamais ce n’est que pour gagner du temps, gérer la crise de cette manière comme le pouvoir sait le faire, naturellement l’opposition ne renoncera pas à son droit d’exiger la prise en compte des résultats issus des urnes.
Le communiqué de la CENI indique que l’UFDG sera reçue le 1er Mars. Que diriez-vous à l’institution ?
Comme je vous l’ai dit, nous avons les PV des bureaux de vote dûment signés par les présidents et les assesseurs désignés par la CENI au niveau des bureaux de vote. Ce sont des documents qui reflètent le dépouillement qui a été fait au niveau de chaque bureau de vote. Nous allons les présenter, on a les résultats qui sont proclamés. Puisqu’on on avait nos représentants également au niveau des CACV. Parfois ils ont été expulsés parce qu’ils ont refusé d’être complices des falsifications et des éliminations abusives des PV ; Et nous allons présenter tout ça. Nous avons des dossiers complets. Si on accepte d’en tenir compte pour rétablir la justice, naturellement on renoncera aux recours de la rue. Mais si ce n’est pas ça nous sommes décidés, déterminés, à exiger le respect de la vérité des urnes telle qu’elle s’est dégagée à l’issue du scrutin
Quel bilan dressez-vous de la journée ville-morte qui été émaillée par des violences qui ont fait au moins un mort ?
D’abord pour la ville morte, il faut se réjouir du succès du mot d’ordre lancé par l’opposition. Parce que comme je l’ai dit les gens se sentent concernés. Imaginez un chef de quartier qu’on a coopté qui dit à la tête de liste d’une mairie, écoutemoi je vais soutenir ta tête de liste dans mon quartier si tu gagnes, tu me désignes comme chef de quartier. Parce que la loi dit que la liste arrivée en tête dans le quartier désigne le chef de quartier. Ce candidat au poste de chef de quartier mobilise ses relations, vend parfois ses biens, finance sa propre campagne, suit le scrutin, assiste au dépouillement, obtient une fiche de résultat. Il sait qu’il a gagné. Mais au niveau de la CACV on dit que c’est un autre qui a gagné. Ce candidat est naturellement frustré.
Si la ville morte est massivement suivie par l’ensemble des citoyens, certains c’est par solidarité avec l’opposition mais d’autres c’est parce que leurs droits à la victoire sont lésés. Ils ont voté, on a voulu détourner leur suffrage au profit d’une autre liste ou parti pour lesquels ils n’ont pas voté. Donc il faut encore féliciter les guinéens qui ont répondu à notre mot d’ordre pour exiger la justice. Mais je leur dis de rester aussi mobilisés pour exiger le respect de la vérité des urnes au cas où la CENI ne jouerait pas le jeu voulu par le Président de la République qui lui a demandé d’écouter et de vérifier le bien-fondé de nos revendications.
Vous l’avez dit, on a perdu encore un citoyen. C’est vraiment triste. En tant que croyant, on sait qu’on est rappelé à Dieu à l’échéance. Mais en tant que citoyen, ce qu’on va déplorer c’est que ce monsieur est la 90ème victime depuis l’avènement d’Alpha Condé au Pouvoir. Ils n’auront pas droit à la justice. Pourquoi M. Alpha Condé ne veut pas traiter les militants de l’UFDG, les citoyens de Ratoma comme des citoyens guinéens ? Pourquoi lorsque l’un d’eux perd la vie par la faute d’un agent de l’Etat qui est payé, formé, équipé par l’agent du contribuable, jamais même une sanction administrative ne lui est adressée ? Pourquoi jamais une enquête n’a été ouverte ? Pourquoi jamais personne n’est interpelé pour justifier ces actes criminels ? C’est sa haine contre ces gens. Mais pourquoi ? Il est le Président de tous les guinéens. Il devrait se comporter en défenseur de tous les guinéens. Le premier Droit de l’homme, c’est le droit à la vie. On ne peut pas ôter la vie à plus de 90 personnes sans que jamais on n’enregistre ni la compassion du Gouvernement, ni l’ouverture d’enquête, ni la justice en leur faveur. Nous sommes dans un pays extraordinairement anormal.
L’UFDG et l’opposition dans son ensemble prendront des dispositions parce qu’on ne peut plus accepter que ces assassinats continuent d’être perpétrés dans notre pays. Ce n’est pas acceptable.
Quelles vont être ces dispositions ?
L’opposition décidera. On va se retrouver et décider d’organiser des manifestations dédiées à la lutte contre l’impunité. On l’avait déjà fait avec les femmes. Mais on va organiser de grandioses manifestations pour attirer l’attention de la communauté nationale et internationale sur ce comportement d’Alpha Condé qui est en fait le véritable commanditaire. C’est pourquoi il ne sanctionne jamais les fonctionnaires qui relèvent de son autorité lorsqu’ils commettent des crimes comme ça contre une catégorie de la population.
Vous avez eu des échanges avec le nouveau médiateur de la République Mohamed Said Fofana. De quoi avez-vous parlé ?
Il m’a fait part de sa nomination comme médiateur de la République et m’a demandé ma pleine coopération. Mais je dois le dire, en ce qui concerne mes relations avec M. le Président de la République, il y a quelqu’un qui est désigné. C’est M. Tibou Kamara. Pour tout contentieux, toute discussion entre lui et moi, c’est Tibou qui est son représentant. J’ai dit que je n’ai pas de problème.
En ce qui concerne les discussions qu’on a eues par rapport à la ville morte et à la série de manifestations annoncées par l’opposition, c’est avec Tibou que j’ai discuté. Même la question de la décision de la CENI de recevoir les revendications de l’opposition par rapport aux élections du 04 février.
Quel regard portez-vous sur la gestion par le Gouvernement de la grève des enseignants qui paralyse les cours dans les écoles depuis trois semaines ?
Je déplore d’abord le comportement du Gouvernement qui a décidé au départ de ne pas discuter avec Soumah (leader des syndicats grévistes, Ndlr) alors qu’il a mis en évidence sa légitimité. On l’a mis en examen, on a voulu l’arrêter, il a été soumis à beaucoup d’actes injustes ; mais il est resté ferme. Il faut saluer son courage. Il faut saluer aussi ces enseignants qui lui sont restés fidèles. Aujourd’hui, il est une personnalité respectée.
Mais le problème en Guinée, c’est que les institutions ne fonctionnent pas. Parce que j’apprends que le Président de la République va le recevoir, plaider coupable d’avoir nié sa légitimité et que désormais il est interlocuteur valable. Alors qu’il y a des institutions qui auraient été chargées de faire ça. Il y a les ministères, des fonctionnaires, des conseillers. Mais que ce soit le sommet qui va obtenir sa reconnaissance, je me réjouis pour lui, mais lorsque le Président va plaider coupable devant lui, ce n’est pas très agréable. Si les institutions avaient fonctionné à temps, c’est une revendication syndicale, on aurait pu évaluer très tôt pour savoir quelle est sa force. Parce qu’un Etat dispose de beaucoup de moyens, même si c’est au niveau du Président de la République, les services de renseignement avaient réussi à dire attention ce monsieur compte, on aurait délégué un ministre de prendre des dispositions pour l’écouter et essayer de négocier avec lui. Mais aujourd’hui je me félicite pour lui. Il va être reconnu par le Président de la République.
Le Président de la République n’est pas une personne, c’est une Institution. La première Institution qui est chargée de veiller au bon fonctionnement des autres institutions. Je crois que si la rencontre entre Soumah et le Président de la République s’avère vraie, ça serait une bonne chose pour le syndicaliste, mais c’est une honte pour la République. Parce qu’il y a beaucoup de structures qui auraient fonctionné pour que sa reconnaissance soit faite à des niveaux qui correspondent à son statut et non auprès de la plus haute Institution du pays.
Il y a une guéguerre entre responsables locaux de l’UFDG à Mamou pour le contrôle de la mairie. Comment allez-vous trancher cette crise ?
C’est une réalité. Il y a eu des velléités. L’ancien président de la délégation spéciale souhaite être maintenue, celui qui a été désigné comme tête de liste estime qu’il a la légitimité pour diriger la commune. Mais l’UFDG est un grand parti. Pas seulement par le nombre de ses militants, mais aussi par son organisation et la discipline dont ses militants vont faire preuve lorsque le Président s’implique. Je me suis déjà impliqué, ça va se passer très bien.
El hadj Mamadou Sylla, le leader du parti « UDG » nous a parlé d’un prochain rassemblement des « Contéistes » au lendemain de votre rencontre. C’est quoi l’objectif d’un tel rassemblement ?
On en a parlé. Vous savez, nous furent des adversaires tous les trois. Aujourd’hui on est passé à la réconciliation. Depuis longtemps nous avons en commun d’avoir été des gens très proches du Président Conté et pour la réhabilitation duquel on travaille ensemble. Et au plan politique on pense qu’il y a quelque chose à faire entre les anciens contéistes.
Est-ce pour s’inspirer un peu de la Côte d’Ivoire où les houphouétistes se sont retrouvés pour conquérir le Pouvoir ?
C’est différent (…), nous on était opposé parce qu’on était tous des collaborateurs du Président, pour des questions de leadership ou parfois pour des questions d’intérêts. Le Président Conté n’est pas là aujourd’hui, nous avons chacun un devoir vis-à-vis de lui. Parce que c’est un grand homme qui a joué un grand rôle pour le développement de ce pays et pour la préservation de la paix. Beaucoup de guinéens sont aujourd’hui nostalgiques du Président Conté. Nous n’avons à rougir de son bilan qui est élogieux. Il faut que nous puissions nous organiser pour le réhabiliter et voir si politiquement on peut faire quelque chose ensemble.
M. Cellou Dalein Diallo merci.
Merci à vous.
Interview réalisée par Diallo Boubacar et
Alpha Ousmane Bah pour Africguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 27 février 2018 17:57Nous vous proposons aussi
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