Cellou Baldé : « Nous n’accepterons pas que les prochaines élections soient organisées par le MATD »
CONAKRY-Un nouveau bras de fer se profile à l’horizon ! Alors que le chef de la junte a décidé de confier au ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation (MATD) la responsabilité d’organiser les prochaines élections, l’UFDG (union des forces démocratiques de Guinée) marque son désaccord.
Dans une interview accordée à Africaguinee.com, Cellou Baldé, responsable des Fédérations intérieures de la formation politique dirigée par Cellou Dalein Diallo prévient qu’il sera hors de question d’accepter que les élections soient organisées par le MATD. Dans cet entretien, l’ex député de la 8ème législature, membre du conseil politique de l’union de forces démocratiques de Guinée et coordinateur national des fédérations de l’intérieur du pays, a survolé les questions brulantes de l’actualité nationale.
AFRICAGUINEE.COM : Alors que le CNRD a interdit toute manifestation dans le pays depuis mai 2022, le dimanche 14 aout dernier, des jeunes ont organisé des manifestations de soutien au CNRD, à Kankan. Quelle est votre réaction ?
CELLOU BALDÉ : Depuis le début de la transition, le CNRD a brillé par son incohérence dans ses propos, son inconstance également par rapport aux engagements pris dès le départ. Le commentaire que j’ai à faire de ça, c’est que nous disons tout d’abord que l’interdiction des manifestations est totalement illégale. C’est ce qui fait que nous autres de la classe politique, les véritables forces vives de Guinée, les acteurs sociaux, nous ne nous sommes jamais pliés à cette décision parce qu’elle est totalement illégale. On ne peut pas suspendre les manifestations jusqu’à nouvel ordre parce qu’on est en période de transition. On ne doit pas abréger ou mettre entre parenthèses les droits et libertés, en tout cas fondamentaux du peuple de Guinée.
De l’autre côté, cela a également fait ressortir le vrai visage du CNRD. Nous qui avons dès le départ compris un peu l’élan pris par ces autorités de transition, à savoir clignoter à droite et partir à gauche. On comprend que la junte est dans un élan de constituer des mouvements de soutien. C’est ce qui fait que non seulement elle a travaillé pour avoir une multiplicité de coalitions politiques qui n’existaient pas. Ils ont également divisé l’ensemble de la classe politique, sinon il ne devrait pas y avoir dans le cadre de cette transition là des pros et des antis CNRD. La junte n’est pas une mouvance présidentielle, ni un parti politique qui a pris le pouvoir. Ce sont des militaires qui ont pris le pouvoir par les armes parce qu’il y avait quand même un coup d’État constitutionnel. Nous avions perçu leur acte comme étant une action réparatrice, surtout quand on a suivi toutes les déclarations qui ont été faites le 5 septembre et les jours qui ont suivi par le colonel Mamadi Doumbouya et son entourage.
Alors, ce qui s’est passé à Kankan fait que tacitement, toutes les manifestations, que ce soient des pros ou anti CNRD doivent être encadrées par les autorités de la transition, conformément à la Charte et aux lois supranationales auxquelles elle renvoie, et auxquelles nous avons souscrit. Pour notre part, nous n’avons jamais respecté, nous nous ne sommes jamais soumis à cette injonction illégale d’interdiction des manifestations et le moment venu, nous allons user de nos droits pour manifester sur les voies et places publiques. Le CNRD ne pourra pas nous en empêcher.
Les organisateurs de cette manifestation ont été tout de même interpellés, comment voyez-vous cela ?
Il n’y a pas une illégalité dans ce qu’ils ont fait (organiser des manifestations). C’est l’interdiction même des manifestations sur les voies et places publiques qui est illégale. Pour moi, leur interpellation n’est que de la démagogie. Ils vont commencer à donner des injonctions pour poursuivre ces jeunes aujourd’hui alors qu’il n’y a aucune manifestation spontanée de ces mouvements de soutien du CNRD, c’est du tape-à-l’œil. C’est des gens qui sont entretenus par l’argent public, ils se sont organisés et se sont mobilisés. C’était bien planifié.
Est-ce que vous avez des preuves de ce que vous dites ?
Mais vous avez le FNDT (Front National pour la Défense de la Transition) de Bogola Haba. En quoi la transition a besoin d’être défendue? Si le Colonel (Mamadi Doumbouya, Ndlr) était dans les dispositions de ces premières déclarations à savoir : organiser des élections dans un processus totalement inclusif, sans exclusion aucune, et rendre le pouvoir aux civils dans le délai raisonnable, pensez-vous qu’il allait avoir des opposants jusqu’à avoir besoin de mouvements de soutien ?
Alors, pour résumer ce qui s’est passé à Kankan, la manifestation de ces gens n’est pas illégale, mais elle n’est pas correcte parce que le CNRD nous avait promis qu’il n’allait pas solliciter des mouvements de soutien. Le Colonel Mamadi Doumbouya nous a dit qu’ils ne sont candidats à rien et je ne vois pas donc en quoi ils ont-besoin de mouvements de soutien. Sinon les manifestations sur les voies et places publiques ne sont pas des infractions.
Le 09 août dernier, le Colonel Mamadi Doumbouya a pris un décret modifiant désormais les critères de choix des chefs de quartier. Quelle appréciation faites-vous de cette décision?
C’est le schéma de confiscation du pouvoir. Aujourd’hui, ce n’est quand même un secret pour personne que le CNRD a envie de continuer à rester au pouvoir et de préparer celui qui viendra, en tout cas après la transition; Soit quelqu’un du CNRD soit quelqu’un qui soit dans cet esprit. C’est une manière de mettre en place tous les dispositifs, tous les mécanismes pour confisquer le pouvoir. Les conseils de quartier ou de district, c’est un maillon important dans le dispositif du processus électoral dans notre pays. Les années passées, nous nous sommes beaucoup battus pour que ce maillon de la fraude ne puisse pas continuer à opérer. D’ailleurs c’est ce qui a fait qu’en 2016, parce que moi j’ai été membre du dialogue politique, membre du comité de suivi de l’accord politique Inter guinéen du 12 octobre 2016, et j’ai été signataire de cet accord-là, nous avons travaillé, parce que la loi électorale qui a découlé de la constitution du 7 mai 2010 stipulait clairement que les conseils les quartiers des districts qui étaient des circonscriptions électorales, c’était des sections des collectivités locales et donc des élections au suffrage universel devraient avoir lieu à ce niveau-là.
Mais pendant toutes ces années, le régime d’alors, le RPG arc-en-ciel, nous avait opposé avec la CENI à l’époque, des arguments comme quoi il était pratiquement impossible sur le plan logistique et opérationnel au vu de toute la logistique qui devrait être déployée dans les 4000 quartiers, districts d’y organiser des élections. Nous avons réfléchi avec l’appui des partenaires techniques et financiers, notamment les Nations unies et l’Union européenne, l’ambassade de France des États-Unis. Nous sommes parvenus à un accord pour faire en sorte d’abord de respecter la légitimité du choix des présents, des conseils de quartier, de district et de leurs conseils, mais également que cela repose sur le suffrage universel. Alors, qu’est-ce qu’on a trouvé comme mesure médiane et qu’on a transformé en loi à l’Assemblée nationale ?
C’est qu’il y a des candidatures indépendantes et des candidatures des partis politiques lors des élections communales et que les élections ont lieu d’abord au niveau des secteurs, au niveau des quartiers vous avez les bureaux de vote dans chaque secteur, dans chaque quartier. Et donc, chaque liste qui venait en tête dans un quartier où district donné, c’est elle qui désigne, c’est-à-dire, c’est cette candidature qui doit désigner le président du Conseil de quartier ou de district. Maintenant l’ensemble des listes, c’est qu’elles ont obtenu au suffrage universel et au prorata de ces résultats-là, le Conseil est mis en place. S’il y a dans un quartier 5 listes qui ont complété et que ces 10 conseillers qui doivent être mis en place en dehors du président du Conseil, chaque liste au prorata de ce qu’elle aurait obtenu dans le quartier où le district elles désignent les conseillers en fonction de ça.
Maintenant, pour qu’il y ait la nomination, ceux qui sont désignés sur la base de cette loi-là, le maire prend un arrêté communal pour pouvoir les nommer. Non seulement il y a le lien hiérarchique entre le maire et les conseils de quartier, de district qui relèvent en tout cas de la commune, de la collectivité, et il y a également un lien fonctionnel. Bref ce que j’ai envie de dire, le décret du colonel vient violer la loi, une disposition législative, c’est un acte totalement illégal qui est fait et qui nous amène à nous poser la question aujourd’hui sur la différence entre les matières relevant du domaine de la loi et celles relevant du domaine réglementaire. On ne peut pas prendre un décret pour nommer les chefs de quartiers et de district par les gouverneurs alors qu’il y a une disposition législative d’une loi organique qui encadre cela.
Mais les mandats de ces maires ont déjà expiré. N’est-ce pas logique ?
Non pas du tout. Les mandats ne sont pas terminés. Vous savez que les maires ont été élus le 4 février 2018, leurs installations a pris du temps. Le CNRD s’est dit disposé à organiser les élections en commençant par la base, c’est-à-dire les quartiers, les districts, les communes après les législatives et la présidentielle. Dans ce cas, quel était l’urgence de prendre un tel décret ? Surtout qu’on nous annonce l’avant-projet de constitution de la nouvelle constitution. Alors qu’est-ce qu’on nous réserve dans cette nouvelle Constitution ? Nous sommes en train de nous rendre à l’évidence que ce qui est en train d’être préparé sera tout sauf une constitution consensuelle au niveau du peuple de Guinée.
A votre avis, est-ce que le délai de 24 mois pour chronogramme de la transition sera respecté ?
Ce sont nos attentes. Il y a eu quand même l’agenda dynamique des 24 mois, même s’il a été concocté en dehors des acteurs politiques que nous sommes. C’est pourquoi nous avions en tout cas demandé qu’après l’adoption de cet agenda dynamique, que nous nous retrouvions conformément à l’article 77 de la charte pour discuter des modalités liées à sa mise en œuvre, que les questions fondamentales qui sont incontournables pour le mettre en œuvre soit à discuter dans le cadre d’un dialogue inclusif sous l’égide de la communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO). Aujourd’hui, où en sommes-nous par rapport au fichier électoral ? où en sommes-nous par rapport à la Constitution ? par rapport au code électoral ou en sommes-nous par rapport à l’organisation et pratique c’est-à-dire opérationnelle sur le plan matériel et logistique des élections ? A cela sans compter ce qui est en train d’être fait, les décrets qui sont pris en violation flagrante des lois de la république ?
Nous n’accepterons pas l’organisation des élections par le MATD. Ce que nous attendons, qu’il y ait un retour rapide sur la base de l’agenda des 24 mois. Mais ce que nous sommes en train de voir parce qu’il ne faut pas se mentir ni se voiler la face, c’est qu’aujourd’hui, il y a des indices réels que nous tendons vers un glissement de l’agenda dynamique des 24 mois. Je crois que bientôt le peuple de Guinée comprendra la duperie dans laquelle nous sommes avec le CNRD. J’ai longtemps dit que la transition est dans un naufrage. Aujourd’hui ce n’est un secret pour personne que les autorités de la transition ne veulent pas partir. Le peuple de Guinée prendra ses responsabilités pour exiger le retour à la normalité constitutionnelle et le respect des engagements pris avec la CEDEAO.
A suivre…
Interview réalisée par Mamadou Yaya Bah
Pour Africaguinee.com
Créé le 17 août 2023 09:50Nous vous proposons aussi
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