Bouteflika muet aux HUG malgré la colère à Alger
Les Algériens attendent de savoir si leur président, en séjour médical en Suisse, renoncera à briguer un cinquième mandat.
L'Algérie entrait dimanche dans une journée cruciale pour la présidentielle d'avril avec le dépôt attendu de la cinquième candidature d'Abdelaziz Bouteflika, malgré les appels de la rue pour qu'il y renonce.
Samedi, le président Bouteflika a limogé son directeur de campagne Abdelmalek Sellal, au lendemain de manifestations massives réclamant qu'il renonce à se présenter aux éléctions du 18 avril, un mouvement de contestation sans précédent en vingt ans de pouvoir.
M. Sellal, un ancien Premier ministre qui avait animé les trois précédentes campagnes victorieuses (2004, 2009, 2014) du candidat Bouteflika, a été remplacé par le ministre des Transports, Abdelghani Zaalane, a annoncé simplement l'agence APS, citant «la direction de campagne» du chef de l'Etat.
Aucune explication n'a été donnée à ce changement à quelques heures de l'expiration du délai de dépôt des dossiers de candidature à la présidentielle, dimanche minuit (23H00 GMT). Plusieurs centaines d'Algériens ont également manifesté en France samedi, notamment à Lyon (sud-est).
Aucun responsable algérien n'a jusqu'ici réagi officiellement à l'imposante mobilisation des Algériens pour dire leur rejet de la perspective d'un cinquième mandat de M. Bouteflika, qui a célébré samedi ses 82 ans.
Le chef de l'Etat est hospitalisé aux HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève) depuis sept jours, officiellement pour «des examens médicaux périodiques». Son retour en Algérie n'a toujours pas été annoncé. Aucune disposition légale ne semble cependant obliger un candidat à se présenter en personne au Conseil constitutionnel pour y déposer son dossier. D'après la TDG, Abdelaziz Bouteflika a reçu la visite de son petit frère Nacer en fin de semaine.
«Fusible»
En l'absence physique de M. Bouteflika, qui ne s'est pas adressé aux Algériens depuis un accident vasculaire cérébral en 2013 et qui n'apparaît plus que rarement en public, M. Sellal se retrouvait en première ligne depuis le début de la contestation. Il pourrait avoir servi de «fusible», a expliqué à l'AFP un observateur ayant requis l'anonymat.
«Son limogeage pourrait être une première réponse» à cette contestation qui vise directement M. Bouteflika depuis une semaine, «mais ça risque d'être un peu court», a-t-il estimé.
Son remplaçant Abdelghani Zaalane, haut fonctionnaire de 54 ans qui a fait carrière dans l'administration préfectorale, en tant que secrétaire général de wilayas (préfecture) puis de wali (préfet) notamment d'Oran, deuxième ville du pays, est peu connu du grand public.
Toute la semaine, le camp présidentiel a réaffirmé que la contestation n'empêcherait pas le scrutin de se tenir dans les délais et que le dossier de candidature du chef de l'Etat serait remis dimanche au Conseil constitutionnel.
Les autorités «espèrent tenir jusqu'à dimanche, avec l'espoir qu'une fois la candidature de Bouteflika actée et rendez-vous donné dans les urnes, la contestation s'essoufflera», expliquait à l'AFP, avant les derniers défilés en date, un autre observateur sous le couvert de l'anonymat.
Difficile de savoir si la mobilisation exceptionnelle de vendredi peut changer la donne. «Ce n'est pas dans les habitudes de ce régime de céder à la rue», note cet observateur, «s'il recule sur la candidature, jusqu'où devra-t-il reculer ensuite?».
Opposition inaudible
En revanche, le risque que M. Bouteflika se retrouve sans adversaire crédible apparaît réel, alors que son camp entend démontrer la légitimé du chef de l'Etat dans les urnes le 18 avril.
Seuls quatre petits candidats ont jusqu'ici déposé leur dossier de candidature, tandis que trois figures de l'opposition semblent tergiverser et que le Parti des Travailleurs (PT), petite formation d'extrême-gauche, a renoncé, en raison de la contestation, à présenter un candidat pour la première fois depuis 2004.
Le plus connu des candidats enregistrés est Abdelaziz Belaïd, 55 ans: transfuge du Front de libération nationale (FLN) – formation du président Bouteflika -, qu'il a quitté en 2011 pour créer le Front Al-Moustakbel, il a recueilli 3% des voix à la présidentielle de 2014.
Un ancien ministre du Tourisme, Abdelkader Bengrina, président du Mouvement El Bina (islamiste), a annoncé avoir déposé samedi son dossier de candidature auprès du Conseil constitutionnel.
Les deux autres sont des quasi-inconnus: Ali Zeghdoud, président du microscopique Rassemblent algérien (RA) et Abdelkrim Hamadi, un indépendant. Déjà candidats déclarés lors de précédentes présidentielles, leur dossier n'avait pas été validé. L'opposition, inaudible et totalement absente du mouvement de contestation né des seuls réseaux sociaux, a brièvement tenté et en vain de se mettre d'accord sur un candidat unique.
«IIe République»
Principal adversaire de M. Bouteflika aux présidentielles de 2004 et 2014, son ancien Premier ministre Ali Benflis devait annoncer dimanche s'il se porte ou non candidat. Tout comme Abderrezak Makri, président et candidat déclaré du Mouvement de la société pour la paix (MSP), principal parti islamiste qui a rompu en 2012 avec l'alliance présidentielle.
Ali Ghediri, général à la retraite débarqué sans parti fin 2018 de façon fracassante sur la scène politique en promettant notamment une «IIe République» et qui était extrêmement discret ces dernières semaines, devait déposer son dossier dimanche matin, a annoncé son coordinateur de campagne, Mokrane Ait Larbi sur Facebook.
L'homme d'affaires Rachid Nekkaz, omniprésent sur les réseaux sociaux et qui draine des foules de jeunes enthousiastes, semble ne pas remplir les conditions d'éligibilité. Il dit avoir obtenu la perte de sa nationalité française, mais la loi électorale prévoit qu'un candidat ne doit jamais «avoir possédé une autre nationalité» qu'algérienne.
Une fois les dossiers déposés, le Conseil constitutionnel statuera dans les dix jours sur leur validité.
AFP
Créé le 3 mars 2019 11:52