Boké-Québo ou la route de l’impossible : Plongée au cœur d’un voyage au « bout de l’enfer »…
CONAKRY-La route Boké-Québo a une dimension régionale. Cette voie longue de 45 kilomètres qui relie la République de Guinée à la Guinée Bissau jouit d’une importance capitale. Car dessert une zone à fortes potentialités minières et agricoles. Depuis l’indépendance de la Guinée en 1958, elle est l’une des rares routes à dimension nationale voire régionale à n’avoir jamais connu un kilomètre de goudron. Cet état de fait, prive une bonne partie de la région de Boké à accéder aux servies de base comme la santé, l’éducation et empêche le commerce transfrontalier de se développer.
En saison des pluies, la situation empire pour les usagers de cette voie, confrontés à toute sorte de difficultés. En plus du mauvais état de la route, les usagers sont victimes de toute sorte de tracasseries. Racket, corruption, menaces…les agents postés sur les postes de contrôle sont sans pitié. La nature des bagages transportés les soucie peu. « C’est le prix du thé qui intéresse ici… », glisse un agent qui rajoute qu’il aurait bien voulu rester à Conakry que de trimer dans cette zone perdue.
Emprunter cette voie relève d’un véritable de parcours de combattants. Ce sont des centaines de citoyens en provenance de Boké qui empruntent chaque jours cette route de l’impossible pour rallier la Guinée Bissau et vice-versa. Nous avons effectué ce voyage au bout de l’enfer à bord d’une moto. Le calvaire est indescriptible. Nous sommes vendredi 07 juillet à la gare voiture de Boké.
C’est là où tout se négocie. De téméraires conducteurs de motos taxi sont stationnés dans l’attente de clients prêts à affronter la route de l’enfer. C’est un raccourci pour rallier la Guinée Bissau. Il suffit d’un peu plus d’une demi-journée pour arriver à la frontière, si par coup de chance, l’engin ne tombe pas en panne. Ce qui est qualifié de route régionale n’est en réalité à ce stade qu’un petit sentier qui serpente des champs d’acajous et de marais. Il faut être armé d’un courage cornélien pour affronter ce tronçon. A certains endroits, la traversée se fait par pirogue. Comme par exemple au fleuve Kogon.
Ibrahima Diallo pratique cette route depuis 20 ans. Il partage son calvaire. « Nous souffrons énormément sur cette route. Elle est complètement dégradée. En plus, sur le fleuve Kogon on emprunte des pirogues en bois pour traverser. C’est un grand risque pour nous. Donc, nous avons besoins d’aide surtout pendant cette saison pluvieuse. La route Boké (Guinée) -Québo (Bissau) est trop fréquentée. Nous nous demandons à l’Etat guinéen de nous aider à reconstruire cette route puisque les guinéens souffrent énormément ici. Depuis 20 ans je suis sur cette route. Au début, j’avais un vélo. Je prenais des marchandises et j’accompagnais même des gens entre Kountabani (Bissau) et Mangodjè (fleuve Kogon) ici. C’est après ça qu’on a commencé à utiliser les motos encore mais je vous assure nous vivons le même calvaire », soupire Ibrahima Diallo.
Le 23 Juin dernier, le Gouvernement de transition a procédé à la pose de première pierre des travaux d’aménagement et de bitumage de ce tronçon stratégique financé à hauteur de 41 800 000 euros. Officiellement, la durée des travaux est 24 mois (deux ans). En lançant ces travaux, le Gouvernement s’est fixé comme objectif d’améliorer l’accessibilité des zones rurales, assurer un accès aux marchés en toute saison, éviter l’interruption du déplacement des populations rurales, faciliter les échanges entre la Guinée et la Guinée Bissau et beaucoup d’autres pays de la sous-région. Un mois après le lancement des travaux, le chantier peine à démarrer. En tout cas, nous n’avons constaté aucun indice.
En plus de sa dégradation très poussée, cette route d’enfer est caractérisée par une autre réalité. La corruption, les rackets. Les usagers de Boké-Québo sont confrontés à un calvaire sans fin du côté de la Guinée. Les tracasseries des agents de sécurité (armée, gendarmerie mobile, douaniers et policiers) qui sont postés au niveau des barrages sur le territoire guinéen.
Sur la route Boké-Québo, que tu sois passager ou conducteur d’un engin, tu es obligé de glisser des dessous de table. Que tu aies les documents de voyage au complet ou pas, c’est la règle. ‘’Nous sommes dans la brousse ici. Donnez-nous un peu avant de passer’’ ou encore ‘’on a faim, aidez-nous à avoir le prix pour s’acheter à manger. Donnez-nous le prix du thé’’. Des apitoiements pour susciter la sympathie des usagers. Ça ce sont les agents modérés.
Mais par contre, certains agents ne donnent même pas le temps aux gens de s’expliquer. Arrivé au niveau des barrages, chaque passager qui a un bagage doit payer un petit montant qualifié de ‘’prix de dédouanement’’. Cet argent ne va nullement dans les caisses de l’Etat. D’après nos constats, on ne délivre pas un reçu. Ce n’est pas tout, si par malheur le passager n’a pas un carnet de vaccination contre le COVID-19, là également, il faut mettre la main à la poche sans discussions. C’est la règle.
‘’Nous, nous sommes en pleine brousse ici, on aurait aimé rester à Conakry aussi comme les autres mais l’armée c’est les ordres. Nous on s’en fout de la presse, on ne regarde pas la télé, on n’écoute pas la radio, même si on a déclaré la fin de COVID-19 tant qu’on ne reçoit pas l’ordre au niveau du rassemblement ça ne nous intéresse pas. Si quelqu’un vient ici sans son carnet de vaccination contre le COVID-19 alors l’intéressé va payer 20 mille Gnf avant de passer, ce sont les ordres », rouspète un officier trouvé à un barrage.
Du côté de la Guinée Bissau, le contraste est saisissant. C’est là où soupirent les voyageurs, car toute cette tracasserie n’est constatée uniquement que du côté de la Guinée. La suite de ce reportage en série…c’est pour bientôt : ‘’la traversée du fleuve Kogon’’. Une toute autre histoire.
Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 666 134 023
Créé le 23 juillet 2023 15:07Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Boké, Reportage, Reportages, Travaux Publics