Bah Oury parle : « Comment les bérets rouges sont arrivés chez moi… »
CONAKRY-Bah Oury va-t-il se "refugier" à Dakar après la visite inopinée de bérets-rouges chez lui à Conakry ? L'opposant qui séjourne dans la capitale sénégalaise vient de trancher. Dans cette interview qu'il a accordée à notre rédaction, le leader de l'Union des Démocrates pour la Renaissance de la Guinée (UDRG), revient sur cet épisode. Bah Oury parle également de la récente visite de la mission conjointe "CEDEAO-UA-ONU" en Guinée. Fidèle à lui-même, l'opposant ne mâche pas ses mots. Interview exclusive.
AFRICAGUINEE.COM : Des bérets rouges vous ont rendu visite la semaine dernière à votre domicile. Dites-nous réellement qu'est-ce qui s'est passé ?
BAH OURY : J'ai quitté Conakry avant cela. Le lendemain de mon départ (vendredi 02 octobre, ndlr), ils se sont présentés. J'ai été alerté par mes voisins qui m'ont dit qu'il y a des bérets rouges et des civils qui sont là depuis un bon moment. Mais ils n'ont pas cherché à entrer. Par la suite, celle qui s'occupe de l'intendance de la maison m'a appelé pour me dire qu'il y a deux personnes étrangères qui sont venues un peu plutôt pour s'en quérir si j'étais présent. Une des personnes lui a dit si je n'étais pas là d'appeler mon assistant Goudoussy Diallo.
Je pense que ce sont des actes d'intimidations pour voir justement dans quelle mesure comment casser ceux qui s'opposent au troisième mandat et qui ne sont pas favorables à ce processus politique qui est en train de se dérouler sous nos yeux.
Actuellement vous êtes à l'étranger. Est-ce qu'en dépit de tout, vous comptez rentrer ?
J'ai un programme à l'étranger. Avec l'aide de Dieu dès que je finirai ce programme, dans deux à trois semaines, je rentrerais à Conakry insha Allah.
Une mission conjointe de la CEDEAO, de l’Union Africaine et des Nations-Unies vient de boucler des travaux à Conakry en prélude à la présidentielle du 18 Octobre 2020. Quelle lecture faites-vous de cette démarche ? N’est- ce pas là une démarche tardive ?
C’est triste de le dire, le constat est que cette mission vient valider un processus inique de confiscation du pouvoir. Mais ce processus s’est fait en violation flagrante de la charte de l’Union Africaine, notamment l’article 23 relative à l’alternance démocratique. Les autorités guinéennes ont procédé à un coup d’Etat avec le referendum du 22 Mars. La communauté CEDEAO, UA n’a pas bronché (…), des centaines de morts ont été enregistrées, la communauté CEDEAO et l’UA n’ont pas encore pipé mots sur cette tragédie. Ce processus d’élection présidentielle s’engage dans un contexte de vide constitutionnel puisque que le texte proposé au referendum a été falsifié. Nous avons porté plainte au niveau de la commission de la CEDEAO pour un manquement de la république de Guinée. Là aussi cette communauté n’a pas bronché et a répondu de manière lénifiante en nous remerciant pour notre sens de responsabilité mais tout en occultant la décision qui devait être leur ressort.
Il y’a eu une complicité factice pour laisser faire au détriment du respect des chartes, du respect des protocoles de la sous-région ou du respect des principes démocratiques élémentaires dans un Etat de Droit. Donc, la présence de cette mission à Conakry est un coup de massue pour tous les démocrates Ouest-Africains. C'est une validation d’un coup d’Etat, une validation d’un processus de 3ème mandat en dépit des violations constitutionnelles et le silence sur des morts. Et par conséquent, c’est la culture d’impunité qui vient d’être actée par le fait de la décision de la délégation de considérer que les autorités guinéennes organisent un scrutin crédible pour l’élection présidentielle à venir.
La ministre des Affaires Etrangères du Ghana a affirmé que la question du 3ème mandat et de la constitution est déjà ‘’ derrière Nous’’. Est-ce que cela ne sonne pas le glas pour le combat du FNDC ?
Pas du tout (…), nous sommes en train d’assister à la descente aux enfers de notre pays. Notre responsabilité est engagée. Ce qui vient de se faire c’est de rappeler aux guinéens qu’ils sont les seuls maitres de leur destin. Il ne faut pas compter sur cette CEDEAO qui bute. Il ne fallait pas s'attendre à une aide ou à une position plus cruciale susceptible de faire préserver la quiétude sociale et un apaisement politique. Tout au contraire, cette délégation a confirmé que c'est le rapport de force du pouvoir en place qui l’emporte sur des considérations démocratiques sur des considérations de justice sociale ou sur des questions d’intérêts caractéristiques en moyens et longs termes de l’ensemble de l’espace CEDEAO. C’est cela qu’il faut appuyer et nous n’allons pas flancher devant notre responsabilité d’acteurs politiques et des citoyens engagés pour la cause des populations aussi bien en Guinée que pour l’Afrique de l’Ouest.
Vous dites que vous n’allez pas abdiquer. Que reste-t-il alors à faire au FNDC ?
De toutes les façons vous savez que la lutte du peuple guinéen et la lutte des peuples africains n’ont jamais bénéficié du soutien majeur d’une organisation régionale pour parvenir à faire bouger les choses. Donc, ce serait une illusion de penser que le contraire pourrait se faire en Guinée. Mais ce que je déplore dans un contexte de climat sécuritaire aggravé sur l’ensemble du sahel, où il y a des menaces Djihadistes qui menacent les fondements de l’Etat de Droit et certains pays sont dans une logique d’Etats faillibles, que la CEDEAO garante de la stabilité régionale, se comporte ainsi en encourageant par devers elle, d’autres attitudes aventureuses pour la confiscation du pouvoir ou pour la conquête du pouvoir. Donc, les facteurs d’instabilités sont aggravés de par une position assez molle ou assez complaisante vis-à-vis des responsables et dirigeants qui ne se conforment pas aux principes et aux protocoles de l’espace sous-régionale ou d’organisations continentales. C’est très grave ce qui vient de se faire (…), cela donnera des idées à d’autres de se dire qu’on s’en fout maintenant de tout cela, de ce qu’on appelle communauté internationale. C’est une collectivité des méthodes peu orthodoxes pour parvenir au pouvoir. Et c’est la violence qui vient d’être engagée par cette attitude de la délégation de la communauté de la CEDEAO.
La campagne électorale a déjà été émaillée de violences où nous enregistrons déjà au moins deux morts. Est-ce que vous vous attendiez à une telle escalade de violence ?
Pour le moment on peut dire malheureusement que ceci n’est que les prémices de ce qui pourrait arriver, si l’irresponsabilité continue à dominer les débats politiques, quel que soit les camps qui sont en lice dans cette élection présidentielle. Lorsqu’on développe, disons des critères de "Trois contre Un" ou lorsqu’on met le débat politique uniquement sous l’angle de l’ethnie, il va de soi que cela va dégénérer. La responsabilité de tous les acteurs, qu’ils soient de l’opposition ou de la mouvance qui sont en lice pour cette élection, leur responsabilité est engagée. La cour pénale Internationale doit acter cela et de prévenir au cas où il y aurait des dérapages, leurs responsabilités seraient engagées au niveau de cette juridiction internationale. Parce que la Guinée en a assez d’avoir toujours des morts et que par la suite on enterre et le lendemain on recommence et on oublie les morts pour refaire encore d’autres bêtises beaucoup plus importantes que ce qui a été vu. Il faut qu’il y ait de ce point de vue, un arrêt net et clair sur ce genre de déviance qui ne fait que de retarder l’évolution sociale et économique de la Guinée.
Beaucoup ont flétri le premier discours du candidat Alpha Condé à l’occasion du lancement de la campagne électorale et bien entendu la réplique de son principal adversaire Cellou Dalein Diallo. N'est-ce pas ce cocktails de dérapages langagiers qui a envenimé les choses ?
Ils sont tous deux responsables (…), peut être le président de la république est le premier responsable de cette situation parce que, de par les textes règlementaires et institutionnels de la Guinée, il est le garant de l’unité du pays. S'il est le premier à considérer ses citoyens sous l’angle purement ethnique en opposant les uns et les autres, il endosse l’entière responsabilité de ce qui pourrait arriver. Maintenant qu’un responsable digne de ce nom ne s’engagerait pas dans la même dérive au risque d’être encore beaucoup plus coupable que l’initiateur. Il faut occulter systématiquement le piège ethnique et de faire preuve de plus de responsabilité que ces dirigeants politiques qui sont prêts à sacrifier leurs compatriotes uniquement pour leurs intérêts personnels. Les autorités morales des quatre régions naturelles doivent mettre cela en avant pour indiquer qu’aucune provocation à caractère ethnique ne doit être tolérée. De prendre le bâton de pèlerin pour dire aux populations de ne pas tomber dans le piège de ceux qui veulent les opposer uniquement pour leurs intérêts personnels.
Un dernier message ?
Je suis triste pour mon pays, parce que nous fêtons le 62ème anniversaire de la Guinée. Mais depuis 62 ans c’est toujours ces contradictions ethniques qui sont mis en avant pour opposer les uns et les autres pour qu’une seule poignée d’individus s’enrichisse au détriment de l’ensemble de la communauté nationale. Il faut que les guinéens se sentent beaucoup plus conscients pour ne pas que cela puisse contribuer à verser du sang et des larmes.
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel: (00224) 655 311 112
Créé le 5 octobre 2020 12:27Nous vous proposons aussi
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